OUMAR SANKHARÉ
PORTRAIT DE L'AGRÉGÉ DE LETTRES CLASSIQUES ET DE GRAMMAIRE ET AUTEUR DU LIVRE CONTROVERSÉ "LE CORAN ET LA CULTURE GRECQUE"
À 64 ans, Pr Oumar Sankharé, monogame endurci et père de cinq enfants, propriétaire d'une seule maison depuis 1983, libre d'esprit autant qu'amoureux viscéral de l'antiquité grecque, est une perle académique rare. Mais sa “passion pour le savoir” et son “manque d’humilité” ont failli faire basculer sa vie. Lui qui, dit un de ses amis, n'a pas vocation à renverser les ordres établis.
“Je tiens à adresser mes sincères remerciements au Khalife général des mourides, Serigne Sidi Moukhtar Mbacké. Je ne peux en dire plus”.
Avec des trémolos dans la voix, le professeur Oumar Sankharé qui s’exprimait ainsi hier au téléphone avec EnQuête, nous renvoie un homme très affecté par le tollé et les menaces suscités par la parution de son ouvrage si controversé, “Le Coran et la culture grecque”. Un homme fatigué, pressé sans doute de refouler aux calendes...grecques cet épisode fâcheux de sa vie. Mais soulagé quand même que le Khalife général des Mourides ait demandé aux musulmans, lors de la cérémonie officielle du Magal de Kazu Rajab, célébré ce lundi, d'accepter les excuses de l'helléniste.
Une sortie qui a réconforté amis, parents et collaborateurs du Pr Oumar Sankharé. Dont le Pr Hamidou Dia, tout heureux de pousser un grand ouf de soulagement. ‘’Je me réjouis du geste de pardon du Khalife des mourides qui montre que l’islam est une religion de pardon et d’amour. C’est un geste de haute portée que je salue. L’islam soufi et confrérique est une chance pour le Sénégal’’, a-t-il annoncé à EnQuête hier.
Cependant, le philosophe n’en dédouane pas pour autant son ‘’ami, frère et collègue émérite‘’ à “la légèreté de cœur” légendaire, mais dont une certaine argumentation considérée comme légère lui a valu autant d'ennemis. ‘’C’est un ami, un frère à qui je voue une grande estime mais il a commis des erreurs. Il est un excellent lettré mais n’en est pas (forcément) un bon arabisant pour décortiquer la grammaire arabe”, explique froidement Hamidou Dia.
Un grand naïf
Oumar Sankharé n’est pas, pour ses proches, ce monstre à abattre au milieu de l'Agora dakarois. Selon plusieurs sources concordantes, derrière l'éminent chercheur qui gît en lui, il est en réalité un “innocent”, pour ne pas dire un “naïf”, qui peut être aisément perdu par sa ‘’crédulité déroutante.’’ Le même portrait est revenu moult fois dans les différents témoignages que nous avons recueillis. “C’est un homme incapable de nuire ou faire du mal à qui que ce soit”, indique Pierre Sarr, assesseur à la Faculté des Lettres de l'Ucad.
“On partage le même département des Langues classiques depuis 1989. Je peux certifier qu’il n’a jamais eu l'idée de chercher à remettre en question le contenu où le côté sacré du Coran.” Ses déboires actuels, il les doit à une “liberté d’esprit acquise grâce à une longue fréquentation des auteurs de l’Antiquité et leur penchant critique”, relève Pierre Sarr. L'Antiquité seraitelle une “religion” chez Sankharé ? “Dans tout ce qu’il fait, il y a des relents de l’Antiquité.’’
Élément brillant...
Né un mois de mars 1950 dans la région de Thiès, Oumar Sankharé est un monogame endurci père de cinq enfants, peu attiré par les mondanités et fier d'être propriétaire d'une seule maison achetée en 1983 après l'obtention de l'agrégation en Lettres classiques, rapporte un de ses proches.
Sankharé, c'est d'abord un physique de rugbyman qui semble sortir tout droit d'une équipe de gladiateurs du sud-ouest de la France. De nature calme, olympien même, un nez bien en évidence au milieu du visage paraît se sacrifier pour supporter de grosses lèvres, tandis que son crâne plus ou moins souvent dégarni est de taille à composer avec des pommettes fortes.
C'est à 19 ans qu'il devient bachelier après “un cycle primaire et secondaire extrêmement brillant”, souligne une source proche de sa famille. “Du C.I. à la Terminale, soit il se classait premier, suivi de son ami intime, le défunt Pr Oumar Diagne, ancien directeur du Cesti ; soit c'était l'inverse. Ils ont partagé les bancs de l’école Grand-Thiès avant de se retrouver au lycée El H Malick Sy puis à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. C'est un homme très rigoureux, qui tient à l’ordre et à la discipline. C'est pourquoi il n’est pas du genre à renverser un ordre déjà établi’’, affirme un de ses collègues.
En 1980, Sankharé décroche un Doctorat de 3e cycle à la Faculté de Lettres de Dakar. Son maître à penser, Léopold Sedar Senghor, lui fait obtenir une bourse pour la France. Il venait d'être admis comme auditeur libre à l’Ecole normale supérieure de Saint-Cloud. En 1983, c'est la fameuse agrégation de Lettres classiques à Paris qui l'émerveille. C'est le début, un an plus tard, de son parcours d'enseignant à la faculté des Lettres de l'Ucad. Il y est depuis maintenant trente ans.
Senghorien pur et dur, fidèle et serviable, Sankharé rejoint en 2006 le Parti socialiste dont il devient membre du Bureau politique. Il veut être sur les pas de Senghor. Sur ce dernier, il rédigera un ouvrage en 1999, ‘’Notes sur Ethiopiques de Léopold Sédar Senghor’’ aux Editions Xamal. ‘’Youssou Ndour le Poète’’ aux NEAS fait partie de ses oeuvres de même que le roman ‘’Nuit et jour’’ en 1997.
Mais avec les études, c'est comme s'il avait signé un contrat à durée indéterminée. En 2011, le titre honorifique de “Seul Africain Agrégé de Grammaire” vivant (après Senghor bien-sûr) lui échoit. Une sorte de consécration académique qui aurait complexé Senghor ! A cette époque, raconte un de ses proches, il décline des offres d'emploi dont les salaires tournaient autour de 12 000 euros mensuels (8 millions F Cfa). “Il a préféré servir son pays”.
Fils de Baba Sankharé, ancien président de la corporation des mécaniciens du Sénégal, et de Marianne Ndiaye, Oumar Sankharé a vu les siens, originaires de SaintLouis, s'installer à Thiès. Il “n'appartient pas à une famille qui ternit l'image du Coran”, souligne le Pr Buuba Diop. “C'est des gens plutôt érudits. Si vous allez à Bakoloo, vous y trouvez ses oncles Baba Sankharé et Baye Ndongo Ndiaye. Sa famille est un modèle de vertu, exemplaire.” Entre les deux enseignants, les liens de sang sont établis. “Oumar est mon aîné de quelques années, c’est un frère. Dans l'ouvrage, il m’appelle cher cousin car sa mère Marianne Ndiaye porte le nom de ma grandmère”.
Toutefois, l'ancien Médiateur de l'Ucad regrette que son cousin ait glissé sur une pente sinueuse, emporté par une soif de connaissance à nulle autre pareille.
“Je lui répète souvent : Oumar, je suis ton parent à l’université. Je suis (donc) tenu de te dire toujours la vérité. Mais comme l’adage dit que l’enfer est pavé de bonnes intentions, il apprendra à être plus prudent”, espère-t-il. “Je lui dis toujours de tenir compte du niveau (de conscience et de connaissance) des masses qui n’est pas très élevé. (...) Aujourd'hui, son cas est devenu un révélateur du malaise dans notre société.”
... Mais trop prétentieux
Universitaire brillant certes, mais nombre de ses collègues le jugent “prétentieux et suffisant”. L'un d'eux rappelle ses propos après l'obtention de son agrégation de grammaire. “Je suis d'autant plus content parce qu'en plus, je suis le seul Africain à avoir deux agrégations de Lettres classiques...”, disait-il dans le quotidien Walfadjri du 10 août 2011. Pour un autre universitaire, “la condescendance qu'il éprouve à l'endroit de plusieurs de ses pairs enseignants est insupportable”.
Cela explique que lorsqu'il eut maille à partir avec les services du Consulat de France, il n'y ait pas eu beaucoup de voix pour le soutenir, ajoute-t-il. “En réalité, il se croit dépositaire de toute la science gréco-latine”, soupire une universitaire qui dit pourtant lui vouer une grande estime jusqu'à récemment.
Une posture qu'il est possible de consolider par ce que disait Oumar Sankharé lui-même après sa deuxième agrégation. “Il y a vraiment un climat d'animosité entre les collègues. Avoir cette agrégation est une manière de leur montrer que je suis meilleur qu'eux...”, affirmait-il dans le même journal cité plus haut.
Des étudiants admiratifs
A l’Ucad, son milieu naturel, le nom du Pr Oumar Sankharé est sur toutes les lèvres quand nous y sommes passés hier mardi, dans l'après-midi. La plupart des universitaires rencontrés sur les lieux, en ces périodes de tension tous azimuts, préfèrent donner leur langue au chat. A contrario, les étudiants se montrent très prolixes, eux.
“Sankharé fascine les étudiants pour sa simplicité et son accessibilité. Comparé à d’autres professeurs d’université, il prend toujours le temps de s’arrêter, de répondre à nos questions‘’, confie Daouda Thiam, licence en Droit, qui se présente comme secrétaire général de la Synergie des cadres africains. “Nous avons été atterrés par le manque de sympathie à son égard. Il devait avoir la reconnaissance des autorités. Cet homme n’est pas du genre à provoquer un soulèvement populaire. Il a été induit en erreur par sa passion du savoir.’’
Abdou Salam Coly est tout autant admiratif. “Le professeur nous a beaucoup aidés avec ses ouvrages, il nous a détaillés la civilisation de Byzance avec une étude comparative de la rhétorique arabe et grecque. Je suis sûr qu’il aurait souhaité que ce débat reste dans le cadre universitaire”, se lâche cet étudiant en master d'Histoire. “Ici on peut nier l’existence d’Abraham, mais par manque de preuves scientifiques, on ne peut le faire hors de l’université”.
Sankharé, anti-épicurien de choc, ne roule pas sur l'or. Mais est-il pour autant pauvre à ce point ? “Je me demande comment un professeur d'université, double agrégé de son niveau, peut-il avoir autant de soucis d'argent ainsi qu'on le rapporte sur la place publique”, s'interroge une diplômée des universités françaises ? “C'est un homme désintéressé, pas calculateur, généreux”, répond pour lui Buuba Diop.
Dans l'opinion, reste encore vivace l'histoire de ses démêlés avec l'ambassade de France qui poussa le ridicule jusqu'à lui refuser le visa pour des histoires d'assurance ou de frais d'hôpitaux non payés ! C’est le Pr. Iba Der Thiam qui lança alors une quête pour venir à son secours.
“Oumar Sankharé mérite d’être pardonné de même qu'on doit doit lui présenter des excuses...”, implore son cousin “Buuba”. Du côté de Serigne Touba, c'est fait !