PARLONS FRANCOPHONIE
Pour nous Africains, l’avenir est à construire pas seulement sur la dimension linguistique, mais plutôt en étant en phase avec les besoins et priorités, les impératifs de mieux être et de croissance économique pour nos populations
Après le succès tant organisationnel que populaire du XVème sommet de la Francophonie, il est peut-être temps de s’arrêter pour réfléchir sans œillères sur la Francophonie et ce sommet qui a tenu en haleine le pays pendant une dizaine de jours. Quelles sont les retombées du sommet ? N’est-il pas simplement un sommet de plus ?
Mis à part le bel édifice qu’est le Centre international de conférence Abdou Diouf (Cicad) et son coût qui fait débat... Que nenni. Même pas un grand discours d’orientation et de rupture qui puisse faire date et que l’histoire pourrait retenir, ou encore moins des décisions fortes à même d’avoir un impact sur le quotidien du citoyen. Ce dernier aurait souhaité que la même attention puisse être apportée à sa langue maternelle pour une meilleure prise en compte de son développement personnel, mais aussi pour le développement de son pays.
En effet, le Président Senghor nous a toujours rappelé les enjeux et l’importance de notre patrimoine linguistique en parlant du rendez-vous du donner et du recevoir. C’était une position de visionnaire !
Cependant, depuis les indépendances, nous constatons une déperdition de notre diversité linguistique et la principale politique de promotion linguistique est uniquement dédiée à la langue française, toujours à l’initiative de la France et à travers la Francophonie.
Nous trouvons que cela n’est pas équitable et comme vision de développement humain pour un Sénégal émergent (et nous ne nous fondons que sur les engagements affichés par notre gouvernement), nous affirmons que le Sénégal peut et doit mieux faire.
La preuve en est qu’à l’intérieur de nos Etats, on observe une formidable résistance du citoyen face à l’hégémonie du français, notamment à travers la radio et la télévision.
Partout sur le continent, des voix africaines s’élèvent de plus en plus pour la conservation de notre patrimoine culturel et sur la nature des rapports de coopération étrangère. Cela démontre que le citoyen africain est de plus en plus conscient des enjeux de souveraineté et de l’opportunité des accords de coopération que les gouvernants signent en leur nom.
Aussi, nous ne sommes pas et ne pouvons pas être contre la Francophonie, car le français est un acquis à conserver et la Francophonie en est l’espace de promotion ; quand bien même elle est un vestige du colonialisme et qu’elle exprime la culture française avant toute chose.
Elle a cependant intégré notre patrimoine suite à une histoire douloureuse, mais que nous avons fini de digérer. Nous l’acceptons, c’est notre histoire. Seulement notre univers des valeurs est en réalité confiné dans d’autres langues qui sont parlées dans nos territoires et qui témoignent de notre véritable identité.
N’oublions pas que l’oralité africaine et les grands textes sénégalais développés par des virtuoses de la littérature (Serigne Moussa Ka, Khadimou Rassoul, El Hadji Malik Sy...) ont exprimé une vision du monde bien sénégalaise à travers nos langues et le wolofal en arabe classique.
L’univers linguistique sénégalais à travers le patrimonial culturel du Baol, du Fouta, de la Casamance ou du Sine-Saloum entre autres, est confiné dans ces langues de nos terroirs qui font notre richesse et notre véritable apport aux rendez-vous du donner et du recevoir.
Si nous voulons que ce rendez-vous ait un sens et un contenu, nos langues doivent être reconnues comme patrimoine du monde francophone parce qu’elles sont une partie intégrante de l’identité nationale sénégalaise.
La Francophonie oui ! Mais sa promotion doit être un axe ou une composante d’une vision politique à notre initiative, plus complète et qui est centrée sur le citoyen sénégalais et ses besoins en développement.
Notre politique viserait ainsi la promotion des langues des terroirs depuis nos territoires. Dans cette optique, les vrais territoires du Sénégal, qui devraient renaître de l’Acte III de la décentralisation, seraient ainsi dotés de Centres de recherche et de développement linguistique pour la conservation du patrimoine culturel de nos territoires.
Parallèlement et bien au-delà de la dimension culturelle, les langues française, arabe et anglaise doivent être considérées comme des langues d’ouverture stratégique. En effet, la question des langues étrangères n’est pas que culturelle, mais bien une stratégie de développement notamment en termes de transfert de technologie, de connaissances et d’échanges économiques !
Si la langue française est une plateforme d’ouverture, l’anglais l’est encore plus. L’anglais nous ouvre les portes de l’Afrique anglophone et des géants du monde comme l’Inde, la Chine et le continent américain surtout, quand nous connaissons l’apport de l’immigration dans la stabilisation des ménages sénégalais, du fait de la pauvreté qui ne cesse de s’aggraver.
Dans une autre perspective, toutes les grandes rencontres internationales génèrent en parallèle des contre-sommets, c’est un signe de vitalité démocratique pour le pays organisateur.
A ce titre, l’initiative du contre-sommet de Malick Ndiaye, Malick Noël Seck et Fatima Mbengue marque l’intérêt que le citoyen porte sur l’objet de la rencontre.
En plus, le franc-parler et la liberté de ton qui caractérisent le contre-sommet auraient eu le mérite de poser les questions qui sont souvent esquivées sur notre politique de langue et notre politique de coopération.
Tout comme la liberté de marche, la liberté d’expression est un pilier essentiel à une démocratie participative pour une création d’un espace ouvert propice au débat démocratique.
Ainsi, au-delà du droit élémentaire de chaque citoyen de faire valoir son opinion, cette initiative est en ce sens louable parce qu’elle a été la voix discordante et diplomatiquement incorrecte que les pays francophones et leurs dirigeants ont besoin d’entendre pour rompre avec les sommets qui se suivent et se ressemblent.
En somme, la grand-messe a réuni les pays ayant en partage le français, mais n’ayant pas forcément une communauté de destins. Pour nous Africains, l’avenir est à construire pas seulement sur la dimension linguistique, mais plutôt en étant en phase avec les besoins et priorités, les impératifs de mieux être et de croissance économique pour nos populations jeunes souvent en avance sur les régimes politiques.
Malgré un plaidoyer fort émotionnel, le leadership sénégalais a encore une fois manqué de vision stratégique et d’opportunisme.
En effet, le Sénégal aurait dû porter la voix de l’Afrique des diversités, la nécessité de la bonne gouvernance, l’exigence d’une solidarité sincère entre pays africains sur les questions de paix et sécurité et surtout du défi de faire croître les échanges économiques avec des principes d’équité.
Il faut reconnaître que les procédures dans l’espace francophone sont lourdes et lentes pour un volume de financement très en deçà des montants engagés par les nouvelles puissances économiques et financières. La vérité est que la Francophonie, pour exister aujourd’hui, a besoin de relever le niveau de son jeu pour être à la hauteur des nouveaux enjeux économiques.
Ainsi, j’ai la conviction que la Francophonie sera économique ou ne sera plus. Aujourd’hui, c’est loin d’être une réalité. Quel est l’apport de la Francophonie sur le plan économique ?
Il n’est pas loin d’être nul. J’aurais aimé voir le sommet de Dakar se singulariser dans cette direction, et là, le Président Kagame n’aurait pas eu de raison de railler le sommet et l’attitude des chefs d’État à Dakar.
J’affirme sans risque de me tromper que nous Sénégalais, sommes pour l’enracinement dans une vision progressiste de la Francophonie, formulée à travers une politique globale de développement humain qui participe à la construction du vrai type d’Africain : enraciné dans ses valeurs de terroir, abreuvé de l’univers linguistique africain et ouvert aux échanges culturels et économiques.
En somme, nous ne devons pas être des réactionnaires à l’histoire douloureuse de la France-Afrique. Nous ne devons pas non plus, manquer de réalisme au risque de faillir aux besoins des citoyens. Mais avant tout, nous devons protéger notre marché, nos richesses, nos valeurs et nos terroirs.
Nous devons être les maîtres de notre projet de développement humain et sereins face à notre histoire marquée par l’esclavage, la colonisation et les dérives postcoloniales.
Mais, plus important encore, nous devons au continent africain et à ses peuples (francophones inclus) une vision prospective du développement social qui repose sur des choix stratégiques qui défendent nos intérêts économiques dans un monde hyper compétitif en permettant aux Africains de demeurer les maîtres de leur identité et de leur destinée en Afrique et dans la Diaspora.
C’est seulement à ce prix que nous répondrons au rendez-vous de l’histoire.