PASSION MÉCANIQUE
WALIMATA SAMBA (CHAUFFEUR À L'AMBASSADE DES USA)
Hier vendeuse de cartes de recharge téléphonique, ex du projet taxi-sister, Walimata Samba, 32 berges à l'état-civil, mariée et sans complexe, est une femme au destin peu commun qui ne finit pas de se forger à l'école américaine dans ce qu'elle a de plus significatif.
On peut dire d'elle qu'elle n'a pas froid aux yeux, entre allure masculine et efforts dans la quête des vertus qui font la femme. Mécanicienne, puis taxi-sister avant de se faire recruter comme chauffeur au niveau de l'ambassade des Etats-Unis au Sénégal, Walimata Samba est une jeune dame particulière.
“Quand j'étais plus jeune, j'aimais bricoler. Quand un appareil se gâte à la maison, je le répare sans solliciter l'avis d'un expert. J'ai eu également à jouer au football depuis ma tendre enfance”, nous confie-t-elle au détour d'un entretien.
A l'entendre parler au téléphone, d'une voix digne du sexe dit fort, en mots brefs et phrases courtes, on croit avoir affaire raisonnablement à un garçon manqué. Vue de plus près, on se retrouve avec une vraie jeune “driyanké” qui a du charme à revendre derrière une simplicité bien placée.
A 32 ans, Walimata Samba est du genre anti bling-bling quoique son statut actuel lui permette quelques folies de grandeur. “La beauté de la femme réside dans sa capacité à se surpasser dans les épreuves de la vie avec dignité”, dit-elle avec conviction. Il y a quelque chose qu'elle a appris du fameux “American way of life” et qu'elle ne regrettera jamais : la simplicité.
“Mon expérience avec les Américains m'a confortée dans cette position. J'ai été très marquée par leur attitude. Ils font preuve, quelle que que soit leur position hiérarchique, d'une humilité touchante et ils savent valoriser la compétence de l'individu.” Et last but not least, “ils traitent avec beaucoup d'égards les chauffeurs à l'image des autres employés”.
Au domicile de Seydi Hadji Malick Sy
“On est ensemble depuis notre enfance. Walimata est une sœur jumelle et une complice. J'ai du mal à parler d'elle, une femme exemplaire, toujours prête à aider son prochain...”, témoigne son cousin Libasse, informaticien.
Elle est née et a grandi dans le village traditionnel de Yoff où elle vit aujourd'hui avec son mari, un maçon de profession. Très proche de son père, un ancien employé de la compagnie Air France, elle tient de sa maman, une grande commerçante décédée en 2007, les “valeurs fortes” qui fondent sa forte personnalité au cœur d'un triptyque classique : tradition, modernité et religion.
“Dans notre quartier, garçons et filles ont toujours joué ensemble. C'est dans cet univers que j'ai évolué. Les clichés féministes n'y ont pas droit de cité”, explique-t-elle. Des origines religieuses de sa famille, elle reste fière. “La concession regroupe 8 familles, et le vénéré El Hadji Malick Sy y a habité. Aujourd'hui, la pièce qu'il occupait sert d'espace de lecture du Coran.”
Taxi-sister
Entre Walimata et la mécanique automobile, c'est une belle histoire d'amour qui a porté ses fruits. “J'étais en série littéraire mais plutôt attirée par la technique. Après l'obtention du BPE en mécanique, j'ai rejoint l'école sénégalo-japonaise filière brevet technique automobile.” Après avoir laissé son empreinte au garage “Femme Auto”, elle atterrit à l'Asecna en 2007 comme stagiaire mécanicienne.
Un beau jour, elle tombe sur une annonce relative au projet “Taxi sister” dont la marraine était Mme Viviane Wade. “Mon âge a constitué un handicap car j'avais 24 ans alors qu'il en fallait 25. Mais on m'a contactée suite à l'étude de mon dossier de candidature”, raconte-t-elle.
Pendant trois ans, elle conduit son “taxi jaune noir” en essuyant toutes sortes de critiques au quotidien. Il paraît qu'elle et ses (rares) collègues avaient pris la place des hommes dans ce métier ! “Ils nous abreuvaient d'insultes, nous taxaient de prostituées”, se souvient Walimata, elle qui trimait de “8 heures à 18 heures, chaque jour”. Ce qui l'a sauvée : c'est “la bénédiction de mes parents” ; jusqu'à ce jour de grâce où elle a l'opportunité de remplacer un chauffeur de l'agence américaine Usaid. Puis elle postule en 2010 à une offre d'emploi de l'Usaid.
“J'ai été la seule femme parmi les 100 chauffeurs candidats et j'ai été retenue”, puis détachée à l'Ambassade des Etats-Unis”. Depuis, Walimata jure que rien n'a changé dans sa vie, à part qu'elle essaie de contribuer au bien-être de son entourage. En attendant d'escalader la hiérarchie. “Je me donnerai les moyens de gravir les échelons car les Américains, à qui je témoigne une gratitude, m'ont poussée à croire davantage en moi.”
“Je vendais des cartes de crédit...”
Sa modestie, Walimata en fait une pratique quasi religieuse car elle sait d'où elle vient. “A 20 ans, je vendais des cartes de recharge téléphonique. Je peux certifier qu'à l'époque, cette idée ne traversait l'esprit d'aucune fille de mon âge.” Puis : “Je me sens mal à l'aise quand on m'offre de l'argent.”
L'argent, nerf de la société, elle s'en moque en tant que convenance sociale de poids. Elle en gagne raisonnablement et ne se sent pas exploitée, même si elle travaille dix heures par jour, même si le rythme peut être contraignant pour une femme. Toutes choses qui, affirme-t-elle, ne l'empêchent pas d'accomplir ses devoirs d'épouse.
“Il arrive qu'il y ait des heures supplémentaires, dit-elle, mais les Américains savent motiver leur personnel de sorte qu'on se donne pleinement dans le travail.” En plein débat sur le fameux Projet Sénégal Emergent, Walimata lâche son grain de sel. “Les Sénégalais ont vraiment intérêt à prendre exemple sur les Américains et donner plus de considération à ceux qui, comme elle et d'autres, exercent le métier de chauffeur.”
En attendant, elle impressionne quelques-uns de ses collègues alors que d'autres se gardent d'émettre un jugement à son encontre. Mais son mari, lui, ne se fait pas prier. Interpellé, il fait l'éloge d'une vraie battante qui mérite une couronne. “C'est ma complice. C'est une femme forte, très émotive, qui ne supporte pas qu'on la remercie en public”, souligne-t-il. Mieux ou pire, ajoute-t-il, “elle est d'une jalousie maladive”. Surprenant ?