Philosophie : les quatre fantastiques
Le premier de tous, "doyen des doyens", le professeur Alassane Ndaw, 92 ans, est connu pour avoir inauguré l’enseignement de la philosophie sur le continent africain, en Afrique francophone tout au moins. Le second, Mamoussé Diagne, premier agrégé sénégalais de philosophie, peut se targuer d’avoir initié à cette discipline une génération de brillants intellectuels, qui a servi d’essence à la réflexion philosophique au Sénégal. Le dernier, Abdoulaye Elimane Kane, a servi de link inespéré entre deux moments déterminants représentant l’aube et le moment de maturation tout à la fois, d’un processus d’expérimentation d’une discipline qui se veut amour de la sagesse dont le concept, vu d’Afrique, rime avec contes, légendes, proverbes, sentences, mythes et épopées. Mais avant Abdoulaye Elimane Kane, il y a eu Aloyse Raymond Ndiaye, le troisième de ces quatre ‘’fantastiques’’, qui a contribué lui à fixer les repères, les orientations générales sans doute de vigueur encore aujourd’hui. Bref, il a été celui qui a été là pour tout le monde. La Société sénégalaise de philosophie (SOSEPHI), en hommage à ces ‘’pionniers’’, a organisé ce week-end, une journée de réflexion pour célébrer ces enseignants éminents que Souleymane Bachir Diagne, autre agrégé sénégalais en philosophie, appelle ‘’mes mentors’’. C’est dire. Surtout si l’on prend en compte la dimension intellectuelle de Souleymane Bachir Diagne, désigné par Le Nouvel Observateur , en janvier 2005, comme l’un des 50 penseurs des temps modernes. Du premier, il a dit qu’il a couvé tout le monde, étant là avant tout le monde. Du second, il a rappelé qu’il a séduit nombre d’étudiants, en déclamant comme un poème le Zarathoustra de Nietzsche, en enseignant que la fortune, telle que théorisée par Machiavel, à tout à voir avec les caprices d’une femme. Last but not least, Mamoussé Diagne est l’enseignant sénégalais qui a le plus mis en exergue la signification subtile de la 11e thèse sur Feuerbach, selon Souleymane Bachir Diagne, faisant référence à ces onze courtes notes philosophiques écrites par Karl Marx au printemps 1845, analysées comme l’esquisse d’une critique ou un dépassement des idées du philosophe Ludwig Feuerbach. Plus profondément, ce texte est souvent perçu comme une critique ambitieuse de la philosophie contemplative des jeunes hégéliens et de toutes les formes d'idéalisme philosophique. Avant Mamoussé Diagne, Abdoulaye Elimane Kane a très tôt senti ‘’le sens du philosopher’’ en Afrique, bien avant même sa thèse d’Etat portant sur ‘’Le système de numération parlée des groupes Ouest-Atlantique et Mandé – contribution à la recherche sur le fondement de la pensée logique et mathématique en Afrique de l’Ouest’’, soutenu en 1987 à l’université de Lille, en France. A côté, Aloyse Raymond Niaye a contribué à calmer l’ardeur révolutionnaire des plus jeunes, en leur faisant aimer des auteurs aussi ardus que Descartes, Malebranche ou Leibniz, tout en tenant à bout de bras la vie du département de philosophie, en s’inspirant d’une seule et unique vérité, qui l’a aidé à sauver son monde bien des fois : ‘’C’est avoir des idées qui est difficile. Ce n’est pas de trouver de l’argent’’. Ils ont symbolisé, tout à tour, des moments d’une réflexion philosophique exigeante mais absolument généreuse, critique mais d’une fine intelligence en ce qu’ils avaient constamment le souci de l’Afrique, gardant toujours la conviction selon laquelle le développement et l’enjeu de la réflexion philosophique est à rapporter au souci d’aiguiller et d’adapter constamment cette discipline au continent africain, à ses identités et traditions. Un hommage unanime leur a été rendu à l’occasion, à la suite de la président de la Société sénégalaise de philosophie (SOSEPHI), Ramatoulaye Diagne Mbengue, parlant d’eux comme de ‘’grands messieurs qui on emprunté la vie escarpée et solitaire de la philosophie’’. Mme Mbengue, a ensuite, dans une salle empreinte d’émotion, cité d’autres ‘’pionniers’’ défunts dont Doudou Sine, Oumar Diagne, Abibou Mbaye, Sémou Pathé Guèye, Louis Roi Boniface Attolodé, entre autres enseignants dont le rayonnement s’étend au-delà des frontières sénégalaises. Ils ont fait preuve de constance et stimulé la curiosité intellectuelle de plusieurs générations d’étudiants, a relevé le recteur de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, Saliou Ndiaye. L’institution universitaire, a-t-il souligné, sera ‘’toujours fière’’ de ces enseignants qui ont participé à des moments selon lui fondateurs de la tradition philosophique en Afrique.