VIDEOPIRATAGE: SONY ANNULE LA SORTIE D'UN FILM, PYONGYANG SOUPÇONNÉ
Los Angeles (AFP) - Sony Pictures a renoncé mercredi à sortir le film "L'interview qui tue!" parodiant un projet d'assassinat du dirigeant nord-coréen, après des menaces de pirates informatiques qui seraient téléguidés par Pyongyang.
"Sony Pictures n'a plus aucun projet de sortie pour le film", a indiqué sans plus de détails à l'AFP une porte-parole du studio mercredi.
Cette déclaration va plus loin que le communiqué du groupe, diffusé quelques heures plus tôt, qui ne parlait que de l'annulation des sorties en salles aux Etats-Unis. Les sorties à l'international, en vidéo à la demande, ou en DVD, semblent désormais elles aussi compromises.
Le film, une parodie sur un complot fictif de la CIA pour assassiner le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un, devait sortir le jour de Noël aux Etats-Unis et le 11 février en France.
La décision de Sony Pictures Entertainment (SPE) fait suite à l'annonce plus tôt mercredi par les plus grandes chaînes de cinéma américaines, comme Regal, AMC ou Carmike, qu'elles ne diffuseraient pas la comédie controversée.
Le studio a aussi reçu mardi de nouvelles menaces des pirates (les "Guardians of peace") qui avaient revendiqué l'attaque informatique majeure lancée contre Sony fin novembre.
Les enquêteurs américains seraient à présent convaincus que la Corée du Nord a commandité cette attaque informatique dévastatrice, a indiqué à l'AFP une source proche du dossier, confirmant des informations de médias américains, et ils devraient l'annoncer jeudi. "Cela semble juste en effet", a précisé cette source.
La Corée du Nord, très irritée par ce film qui met en scène son leader, a nié être à l'origine de l'attaque tout en louant ceux qui l'avaient commise.
Pour James Lewis, un expert du centre de reflexion CSIS et ancien membre du département d'Etat, "le suspect le plus probable parmi tous ceux qui sont possibles c'est la Corée du Nord".
Hollywood courroucé
Les pirates du GOP ou "Guardians of peace" avaient mis en ligne de nombreux documents, emails, adresses et même numéros de sécurité sociale de 47.000 employés. Ils ont aussi publié des emails confidentiels embarrassants des dirigeants et collaborateurs de Sony, et mis en ligne 5 films dont certains pas encore sortis en salles, comme "Still Alice" ou "Alice".
Il s'agit d'une des plus importantes attaques informatiques ayant jamais touché une entreprise.
Le "GOP" avait menacé mardi les spectateurs qui désiraient aller voir "L'interview qui tue!", au budget de 42 millions de dollars.
"Bientôt le monde verra quel mauvais film Sony Pictures Entertainment (SPE) a fait. Le monde sera plein de craintes", avaient écrit les pirates de GOP dans un mauvais anglais, concluant leur message publié sur le site Pastebin.com par un menaçant: "rappelez-vous le 11 septembre 2001".
Hollywood hésitait entre colère et désolation après la décision de Sony et des exploitants de retirer le film.
"Wow, tout le monde s'est couché. Les pirates ont gagné. Ils remportent une victoire éclatante", a réagi sur Twitter l'acteur Rob Lowe, qui fait une apparition dans le film.
"J'ai vu Seth Rogen à (l'aéroport) JFK. Aucun de nous n'avait jamais vu ou entendu chose pareille. Hollywood a rendu Neville Chamberlain très fier aujourd'hui", a-t-il ajouté en référence au dirigeant britannique qui avait joué l'apaisement avec Hitler avant la Seconde Guerre mondiale.
Le réalisateur Judd Apatow ("40 ans: mode d'emploi") était également courroucé: "c'est honteux que les salles de cinéma ne projettent pas +L'interview qui tue!+. Est-ce qu'ils vont retirer des écrans n'importe quel film qui reçoit une menace anonyme maintenant?"
"Triste jour pour la liberté d'expression", a tweeté pour sa part l'acteur Steve Carell.
Richard Walter, professeur à UCLA Film School, était plus nuancé: "j'aimerais voir Sony défier les menaces, sortir le film, mais qu'est-ce qu'on fera s'il y a une attaque à la bombe dans un cinéma? Il y a déjà eu des attentats dans des cinémas".
Le cinéaste Damien Chazelle, interrogé par l'AFP, a dit craindre de voir "une forme d'autocensure" s'installer chez les réalisateurs et scénaristes.
Le président Barack Obama a pour sa part enjoint les Américains à ne pas se laisser impressionner par les menaces: "ma recommandation c'est +allez au cinéma+", a-t-il déclaré à la chaîne ABC.