PLAIDOYER POUR LA LIBÉRATION DE TAMSIR JUPITER NDIAYE
LETTRE OUVERTE À MONSIEUR LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
Notre intention n’est pas de faire un plaidoyer pour l’homosexualité ni d’encourager sa pratique dans notre société fortement chevillée aux valeurs morales et religieuses. Nous la répugnons au même titre que tous les autres interdits de notre religion, l’Islam.
Au Sénégal, la pratique homosexuelle, considérée comme une déchéance morale, spirituelle et éthique, est qualifiée comme étant le plus grave péché dans nos religions. Dans la palette des 70 péchés les plus graves dans l’Islam, elle occupe la 11e place derrière l’adultère. Ce qui n’enlève rien à sa répugnance. Mais la répugnance de l’acte homosexuel ne doit pas nous pousser à cette forme d’hypocrisie qui fait qu’on vit avec des personnes réputées homosexuelles, qu’on les fréquente et qu’on veuille à la moindre incartade les envoyer à l’échafaud ou les vouer à la géhenne.
Vous-même, Monsieur le Président, votre campagne du second tour de la présidentielle a failli être perturbée voire salie par votre prise de position claire et courageuse relative à la nécessité d’une gestion responsable de ce fait sociétal qui remonte à la nuit des temps. Des politiciens malintentionnés, avec leurs soutiers d’une certaine presse pro-libérale brandissaient à chaque occurrence, comme une épée de Damoclès, vos propos responsables et vous ont accusé à tort d’avoir des atomes crochus avec les lobbys gays qui financeraient votre campagne.
Ils voulaient en faire leur œil de Caïn pour perturber votre conscience et votre campagne électorale, dénigrer votre projet novateur et détourner les électeurs au profit de votre rival sénescent. Si, à l’époque, des Sénégalais, y compris l’auteur de ces lignes, n’avaient pas eu la vaillance de se battre contre vos contempteurs dont le funeste dessein était de vous salir, vous embarrasser afin de vous barrer la route au sprint final de la présidentielle de 2012, votre élection aurait pu en souffrir. Cette hypocrisie des Sénégalais ne doit pas nous empêcher de revendiquer l’amitié, la confraternité avec des tapettes dont on a découvert tardivement leur orientation sexuelle et de solliciter une grâce en leur faveur.
Cela fait exactement un an jour pour jour que l’ami, le frère et le confrère Tamsir Jupiter Ndiaye est privé de liberté. Le 10 octobre 2012, le chroniqueur de Nouvel Horizon était appréhendé puis incarcéré pour des actes contre-nature et coups et blessures sur le sieur Matar Diop Diagne. Jugé par le tribunal des flagrants délits, il écopera d’une peine incompréhensible de quatre ans finalement réduite à deux par la Cour d’Appel. Ce en vertu d’une décision de justice fondée sur l’article 319, alinéa 3, du code pénal sénégalais, issu de la loi n° 66-16 du 12 février 1966, qui stipule que « sera puni d’un emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 100 000 à 1 500 000 francs, quiconque aura commis un acte impudique ou contre-nature avec un individu de son sexe. »
Cette décision de justice, nous ne la contestons pas. Et telle a été notre attitude depuis ce 24 octobre 2012 où la sentence liberticide est tombée sur notre confrère victime de ses penchants homosexuels. Nous n’allons pas revêtir la toge d’un avocat pour requalifier des faits qui datent d’un an et demander subséquemment un nouveau jugement. Un jugement, une sanction c’est d’abord l’esprit avant la lettre. Dans l’affaire de mœurs qui a opposé Tamsir Jupiter et Matar Diop Diagne, seule la lettre a prévalu. L’esprit a été biaisé qui sous-tendait cette supposée union charnelle entre ces deux personnes du même sexe.
Toutefois, nous ne pouvons pas nous empêcher d’exprimer de nouveau notre stupéfaction face à ce verdict disproportionné par rapport aux faits commis. Nous avions cru à un règlement de comptes parce qu’on sait que notre brillant confrère dérangeait en haut lieu avec ses prises de positions et ses interventions médiatiques. Nous ne pouvions pas comprendre que, pour des faits similaires commis sur la place publique, des coupables écopent d’une sanction de deux ou trois mois alors qu’une peine aussi lourde que démentielle est prononcée contre Tamsir Jupiter et son compagnon. Et ce pour des faits commis dans la plus stricte intimité.
Seulement, comme a eu à le dire courageusement l’intrépide avocat Maître Khassim Touré lors du procès de Jupiter où tous ses collègues avocats, défenseurs des droits de l’homme, avaient déserté le tribunal parce qu’ayant eu peur ou honte de défendre un homme accusé d’homosexualité. Défendre un homosexuel ne signifie pas être homosexuel ; défendre un assassin ne signifie pas être assassin. Ainsi la décision du juge qui a envoyé Tamsir Jupiter Ndiaye en prison pour 48 mois nous semble dictée par la clameur publique et la fausse indignation du tribunal populaire qui, en matière de mœurs, notamment d’homosexualité, étale toute une hypocrisie situationnelle doublée d’une morgue haineuse.
Quand l’affaire qui éclabousse notre confrère a éclaté, à travers les médias, les réseaux sociaux, les soi-disant gardiens de l’orthodoxie religieuse ou d’une morale puritaine dogmatique avaient lapidé voire sabré les « pécheurs » avant même la sentence de la justice. Le Sénégal, c’est le pays des paradoxes ! Se fondant à tort ou à raison sur les textes islamiques ou bibliques, les Sénégalais rappellent l’abomination de l’homosexualité chaque fois que des actes contre-nature sont relatés sur la place publique. Il n’en demeure pas moins que les citoyens considèrent que si l’acte charnel homosexuel est anormal, déviant, dégradant, inverti et contre-nature, l’homosexualité, dans son essence, ne pose pas un problème particulier à notre société.
La loi pénale et les Sénégalais ne réprouvent pas ontologiquement les homosexuels. On vit avec eux, on mange avec eux, on fait appel à leurs services souvent dans des manifestations de femmes qui frisent la luxure ou pour l’organisation de cérémonies familiales comme les mariages ou les baptêmes. La grande majorité des Sénégalais, dans leur attitude, ne sont pas homophobes. Ils tolèrent les homosexuels en tant qu’êtres humains victimes d’une pratique sexuelle qu’abhorre notre registre normatif et coutumier ! Ce sont leurs actes charnels qui sont réprouvés. C’est là où transparaît le pharisaïsme des faux dévots. C’est à l’image de cette proposition de loi française qui autorise la prostitution mais veut pénaliser les clients comme étant des délinquants.
Nous sommes à la veille de la Tabaski, moment de grâce et de pardon. Il est de coutume qu’en ces moments solennels, le président de la République accorde la grâce à des prisonniers afin de leur donner la chance de se racheter des actes délictuels qui leur ont valu des peines d’emprisonnement. A cette occasion, et en vertu des pouvoirs qui vous sont conférés par l’article 47 de la Constitution sénégalaise, Monsieur le président de la République, nous avons l’honneur de solliciter votre grâce pour M. Tamsir Jupiter, eu égard à la peine de 12 mois qu’il lui reste à purger. Certainement, les pontifes moralisateurs, comme à l’accoutumée, donneront à votre éventuel geste de clémence un sens biaisé. Mais sachez que ce ne serait ni une preuve de laxisme, ni une faiblesse coupable de votre part mais un acte magnanime d’accorder la grâce à un compatriote qui a toujours rendu un grand service à la nation par ses dénonciations courageuses des injustices.
Votre devoir est de vous élever au-dessus de ces considérations subjectives d’une minorité de Sénégalais qui se considèrent comme la police des mœurs et qui n’ont comme remède que la lapidation mortifère ou le bûcher ardent pour envoyer les homosexuels ad patres. Ces derniers, bien que stigmatisés, ne doivent pas être marginalisés ni persécutés. Ils doivent être aidés et soutenus à guérir de cette pathologie homosexuelle qui les ronge parce qu’ils ont leur place dans la société au même titre que les hétérosexuels.
Au Sénégal, nous sommes musulmans, chrétiens, athées ou « ceddos ». C’est pourquoi nous vivons dans une République démocratique, laïque et sociale. Ainsi les livres de Dieu ne sauraient remplacer notre Constitution. Les lois religieuses ne sauraient se substituer aux lois pénales.
En espérant une suite favorable sera à ma requête, je vous prie d’agréer, Monsieur le président de la République, l’expression de ma haute considération.