Plongée dans un business méconnu
MARCHE DE LA FERRAILLE
Quel avenir pour le marché de la ferraille ? Estimé à plus de 20 milliards Fcfa, ce marché suscite aujourd’hui, et soudainement, l’intérêt de l’Etat. Si l’exportation constitue la grosse équation, force est de constater que le problème semble être plus compliqué, avec des intérêts parfois divergents.
A l’origine, un décret du 04 octobre 2012…
Le désarroi des ferrailleurs a réellement débuté un certain 04 octobre 2012 quand le gouvernement du Sénégal a publié un décret interdisant l’exportation de ferraille. Même s’il n’a pas été automatiquement appliqué, ce décret a eu le mérite d’avoir fait couler beaucoup de salive. A peine arrivé à la tête du ministère du Commerce, de l’Industrie et du Secteur informel, M. El Hadj Malick Gackou rétablit ce qu’il considérait sans doute comme une injustice.
Il annonça, en grandes pompes, la levée de la mesure d’interdiction de l’exportation de la ferraille. Les acteurs exultent. Hélas, le bonheur ne sera que de courte durée puisque le gouvernement reviendra, quelques jours plus tard, pour bloquer toute exportation. Pendant ce temps, 69 conteneurs étaient déjà chargés au Port de Dakar et n’attendaient que le feu vert pour rallier l’Asie. Selon une source très au fait de ce dossier, le problème qui mine le secteur de la ferraille aura été en grande partie une des raisons de la démission de M. Gackou de ce ministère.
Quoi qu’il en soit, après d’âpres négociations, le gouvernement a finalement décidé l’autorisation d’exportation des 69 conteneurs bloqués au Port depuis l'interdiction. Mais la mesure, elle, reste en l’état…
La SOMETA promet la lune, les ferrailleurs crachent dessus…
A l’heure où le différend continue de miner le secteur de la ferraille, on en sait un peu plus sur les raisons de l’inquiétude des acteurs. En effet, la Société Métallurgique d'Afrique (Someta), à capitaux essentiellement chinois, tente de rassurer les acteurs locaux à qui elle promet d’acheter toute la production. Mais au vu du gap entre ses besoins et la production locale, il y a assez de raisons de s’inquiéter. Alors qu’elle a besoin de 2500 tonnes par mois, les acteurs locaux en produisent 15 000.
En fait, c’est parce que toute la production locale ne peut pas être consommée au niveau national, qu’ils en exportent alors que le décret interdit l’exportation. Conséquence, si la Someta achète tout ce dont elle a besoin, c’est plus de 12 000 tonnes qui ne trouvent pas preneur. Et si l’on en croit M. Diakhaté, la ferraille est difficile à conserver. Au moindre contact avec l’eau, elle se dégrade.
Même si la Direction de la Someta tente de rassurer en promettant une centrale qui va racheter toute la production nationale, avec un préfinancement de 100 millions Fcfa, en promettant de libérer 49% des parts d'actions de la société qu'elle détient à 100%, au profit de promoteurs intéressés, les ferrailleurs restent sceptiques eu égard à la logistique de la société qui ne semble pas être en mesure de tenir un tel engagement.
Selon le Secrétaire Général du Syndicat national des ferrailleurs, brocanteurs et recycleurs du Sénégal, la Someta n’a que 8 fours avec une capacité d’absorption de 2500 tonnes par mois. «Nous avons des statistiques venant des trois pont- bascules agréés par l’Etat du Sénégal montrant que nous produisons presque 15000 tonnes de ferraille par mois. Ce qui est largement au-dessus de ce que peut absorber la Someta», a révélé M. Maouloud Diakhaté.
En effet, les acteurs de la ferraille parviennent, parfois, à collecter un millier de tonnes de ferraille en un seul jour. Cette production nécessite pas moins de 50 containeurs par jour, équivalant à 66 camions de 15 tonnes. Et toujours selon M. Diakhaté, c’est là que réside tout le problème de logistique dont est aussi confrontée la Someta. «Pour décharger 10 camions, faire le tri et autres, ça peut leur prendre 3 jours parfois. Avec cette mesure, l’Etat va tuer le secteur. Au début, il y avait les Asiatiques, Indiens en particulier, qui étaient là. Ils préfinançaient le secteur à hauteur de 125 millions par jour. La Someta ne le fera jamais. Ils attendent que tu amènes le camion, qu’ils fassent le tri et souvent ils restent 3 semaines avant de payer les factures», argumente-t-il.
Une mine d’emplois…
Aujourd’hui, l’affaire de la ferraille est devenue une affaire, très prise au sérieux par l’Etat surtout au vu des milliers de personnes qui gravitent autour du secteur, l’on comprend aisément l’intérêt soudain. En effet, s’ils ne sont pas très visibles dans les lieux de dépôts, force est de reconnaitre que de nombreux emplois ont été créés par le secteur.
«Partout dans les dépôts, il y a au moins une dizaine de personnes sur place en permanence, sans compter le personnel mobile avec les charretiers, les jeunes avec leurs pousse-pousses, ils peuvent tourner autour de 70 à 90 personnes dans un petit dépôt», révèle le Secrétaire général du Syndicat des ferrailleurs.
M. Maouloud Diakhaté estime le nombre de travailleurs dans la ferraille à près de 18 000. «Il y a plus de 1 250 containeurs, pour une quantité avoisinant 25 000 tonnes de ferraille collectée par environ 18 personnes qui interviennent en direct, dans ce secteur et répertoriés mensuellement».
Le Mali, principal pourvoyeur de ferraille…
Même si le Mali est en crise, les autorités de nos deux pays gagneraient à œuvrer pour la résurrection de Transrail et la fluidité du trafic sur le corridor Dakar-Bamako. En effet, au-delà, des ferrailles collectées au Sénégal, une importante partie vient du Mali. En effet, si l’on en croit M. Diakhaté, c’est l’équivalent de près de 50% de la production nationale.
«Les usines qui pourvoient la plus grosse quantité de ferraille sont les ICS, la Compagnie Sucrière Sénégalaise, les Chemins de fer et le Port Autonome de Dakar à travers les bateaux réformés», informe-t-il.
Mais, au niveau local, la collecte est fortement liée à la disponibilité du financement. Même si la collecte mensuelle peut atteindre 25 000 tonnes, le syndicaliste estime qu’elle est étroitement dépendante du financement qui n’est pas toujours disponible. «C’est un secteur qui a besoin d’être financé. En fait, les exportateurs allouent des fonds aux gros collecteurs, souvent jusqu’à 25 millions, sur la base de la simple confiance. Après 15 jours, ils positionnent des containers et on les charge», révèle-t-il.
Nostalgiques de la période où les Asiatiques injectaient jusqu’à 125 millions Fcfa dans le secteur, par jour, pour financer les acteurs, du moins, si l’on en croit M. Diakhaté. Les ferrailleurs sont d’avis que la mesure visant à laisser l’exportation exclusivement à la Someta serait synonyme de la mort du secteur. Aujourd’hui, les pays asiatiques constituent la principale destination de l’exportation de la ferraille, avec en tête l’Inde, l’Indonésie, le Vietnam…qui engrange, jusque-là, près de 99% de la production.
Un protocole en attendant ?
Même s’il indique que le prix de la ferraille dépend des cours mondiaux, le Secrétaire général du Syndicat et ses membres devront apprendre à s’adapter au projet de protocole d'accord élaboré entre la Someta, les ferrailleurs et l’Etat. Ce projet de protocole compte 12 articles et permettrait, selon le Premier Ministre, de prendre en compte les contraintes de l'Etat. En effet, ce protocole fixe un prix de convenance avec la Someta, arrêté à 80 000 Fcfa la tonne. Pour le fer léger et la fonte, le prix est fixé à 120 000 Fcfa pour la ferraille lourde.
Mais à entendre Maouloud Diakhaté, les ferrailleurs sont aux aguets. En effet, sur les 12 articles du protocole d’accord, 7 ont été adoptés par les ferraillés et 5 autres ont fait l’objet d’amendements. Et M. Diakhaté de hausser le ton, «si le Chinois manque à un seul de ces points, le protocole d’accord devient nul. Nous n’en attendrons rien de plus», dit-il.
Et le moins qu’on puisse dire, c’est que le Comité de suivi de ce protocole a une composition riche en expériences. Comme notamment, un représentant de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Dakar (Cciad), de Mansour Cama de la Confédération Nationale des Employeurs du Sénégal (Cnes) et de ModyGuiro de la Confédération nationale des travailleurs du Sénégal (Cnts).
En assemblée générale à Rufisque durant le weekend du 9 mars 2013, les membres du syndicat des brocanteurs ont réaffirmé leur ferme détermination à faire reculer le gouvernement dans sa décision d’interdire l’exportation de la ferraille. Ils ont concocté un plan pour casser le monopole que l’Etat veut instaurer. Ils comptent boycotter le marché et organiser un grand rassemblement au niveau de la Place de l’Indépendance avant d’initier une marche vers le Palais de la République.