PLUS DE LA MOITIÉ DES ACTES D’ÉTAT CIVIL DANS UN DÉSERT ADMINISTRATIF
NAISSANCES, DÉCÈS, MARIAGES, DIVORCES NON DÉCLARÉS
C’est à peine croyable, au Sénégal, bon nombre de faits d’état civil, (naissances, décès, mariages, divorces) ne font pas l’objet d’une déclaration administrative. En effet, l’enregistrement des naissances et décès continue à être un facteur de disparité sociale et une grosse entrave à la planification de l’économie nationale.
Avec un taux de natalité de l’ordre de 2,7% ce sont donc des bataillons d’enfants qui sont en marge des registres d’état civil. Et pourtant, tout le monde reconnaît l’utilité essentielle de l’état civil. Il est tout simplement, un moyen d’identifier une personne avec précision en donnant des informations exactes sur la situation matrimoniale (célibataire, mariée, veuve, divorcée), sur la filiation, ou d’indiquer si la personne est toujours vivante ou décédée.
Cela relève tout de même de la trivialité. Un droit simple, mais apparemment difficile à obtenir dans notre pays. Du moins, pour près de la moitié de ses enfants arrivant au monde. Les chiffres de l’Organisation mondiale de la santé situent les Sénégalais déclarés à la naissance à 55% et ceux au décès à 25%.
Nos statistiques officielles dénombrent à 60% les enregistrés à la naissance et 25% au décès. Deux sources qui malgré leur écart, montrent qu’il y a encore beaucoup de chemin à parcourir en matière d’enregistrement des faits d’état civil. En scrutant attentivement, les données de l’EDS IV (2005) on mesure bien les disparités dans l’enregistrement à l’état civil selon le sexe de l’enfant, le milieu de résidence, la région administrative et le niveau de bien-être économique.
En effet, on estime à 55% en moyenne pour l’ensemble des enfants de moins de cinq ans, le taux d’enregistrement, qui est légèrement plus faible parmi les filles (54% contre 56% pour les garçons).
La grande anomalie
Les raisons de cette anomalie sont nombreuses et variées. Elles tiennent de l’insuffisante présence des services d’état civil et de santé dans les contrées reculées sur l’ensemble du territoire. Et même en milieu périurbain. Une sorte de désert administratif, qui éloigne l’administration de ses administrés, en dépit des proclamations officielles, plus incantatoires qu’effectives.
Mais on peut également trouver les raisons dans la survivance de certains stéréotypes socioéconomiques, qui tendent, pour nombre de populations, à se représenter l’administration comme un ogre prêt à tout dévorer. Il est vrai que la pauvreté et le manque d’instruction y sont aussi pour beaucoup.
Mais, ce fléau qu’on a souvent tort de considérer comme un épiphénomène en ville, persiste et résiste à l’épreuve du temps et de la modernité. Les réformes administratives successives mises en œuvre depuis 1964, ne lui ayant pas trouvé de solution pérenne.
L’accélération du processus de décentralisation au Sénégal avec la loi 96-06 du 22 mars 1996 a conforté les collectivités locales dans leurs compétences traditionnelles parmi lesquelles la gestion de l’état-civil. Malgré tout, les entités locales tardent à réaliser des performances notamment dans la tenue des registres, avec tout ce que cela peut comporter comme diffusion de données peu fiables et un manque de satisfaction du ‘’client’’ du service public.
Le ministère de la Justice a beau encourager, voire institutionnaliser, les séances foraines, rien n’y fait vraiment. Les statistiques ne connaissent pas une amélioration très sensible depuis 1996.
Les maisons de justice de proximité : une panacée ?
Il s’y ajoute que l’état civil fait les frais des turbulences sociales et politiques. Certains énergumènes ont souvent le mauvais réflexe de s’attaquer au centre d’état civil pour détruire les registres, comme ce fut le cas à Tivaouane, il y a deux ans. Cette situation est non seulement dommageable aux droits des enfants, mais favorise les fraudes, les fausses déclarations et nuit à l’exercice de la justice.
Et pourtant, l’état civil est bel et bien un moyen d’évaluation des besoins des populations à partir de données démographiques fiables pour construire des crèches, des écoles, des dispensaires, et réaliser, entre autres, les services sociaux de base.
Mais depuis 2004, à travers l’organisation du système de l’état civil, l’État tente, avec l’appui des bailleurs de fonds, de mettre en place un centre national de l’état civil. Il cherche ainsi à faire de la bonne gestion de l’état civil, une impulsion significative à la citoyenneté, la démocratie, la bonne gouvernance et la modernisation de la société sénégalaise.
Ainsi, l’État du Sénégal a voulu rendre plus cohérente l’architecture organisationnelle du système. Malgré ces évolutions importantes, l’état civil au Sénégal reste encore confronté à de réelles contraintes comme le montrent les statistiques alarmantes sur le faible taux d’enregistrement des faits d’état civil.
Depuis 2012, l’état semble avoir changé le fusil d’épaule. Il mise essentiellement sur les maisons de justice de proximité, pour servir de support de vulgarisation des faits d’état civil, en relation avec les collectivités locales. Quatorze de ces structures sont déjà installées sur dans les régions du Sénégal. Et déjà deux d’entre-elles, ont expérimenté des stratégies de communication, de sensibilisation, à Tivaouane et Ziguinchor avec des résultats probants pour le premier et mitigé pour le second.
Les problèmes de sécurité dans la région naturelle de Casamance sont certainement à l’origine des problèmes rencontrés à Ziguinchor.
Défi ou insouciance ?
Face à cette situation, la mise en place d’un système d’enregistrement des faits d’état civil efficaces et complets favorisant la production de statistiques d’état civil fiables et sécurisées nécessaire à la planification de la population, à la bonne gouvernance, à la sécurisation des droits fondamentaux des citoyens et à l’atteinte des OMD, constitue une préoccupation majeure des pouvoirs publics du Sénégal. Surtout au moment où l’Acte 3 de la Décentralisation avec son lot d’enjeux et de conséquences, est mise en route.
Pour relever ce défi majeur, le gouvernement du Sénégal s’est engagé, avec le soutien de la Délégation de l’Union européenne (DUE), dans le cadre de son 10ème FED, à la mise en œuvre du projet d’appui à la modernisation de l’état civil (PAMEC) qui prend en charge les difficultés du secteur en trois composantes. En effet, à travers le Programme Sectoriel Justice, l’État du Sénégal veut améliorer l’accessibilité de la justice en rapprochant davantage la justice des justiciables.
Cette démarche est confirmée par la mise en place d’un «dispositif de justice de proximité» avec notamment la construction de maisons de justice, les bureaux d’accueil et d’orientation du justiciable et les bureaux d’information du justiciable.
Plus de cinquante ans après notre souveraineté nationale, il est assurément inadmissible, pour un pays à la si longue tradition administrative, d’être à la traine sur un secteur aussi vital et stratégique.
Fort heureusement, le Centre national d’état civil, sous la houlette de sa vaillante directrice, Mme Dème, semble avoir bien pris la mesure de la gravité de la situation, pour qu’avec l’appui des partenaires techniques, les enfants naissants trouvent leur dignité et la reconnaissance effective de leur droit à disposer d’une identité.
Comment prétendre à l’émergence alors qu’un droit aussi basique, n’est pas assuré ?!