POLITIQUE POLITICIENNE...
Les élections approchent, et comme de coutume, le monde poli- tique s’anime, s’échauffe, les médias sont envahis et les déclarations fusent de partout. Les interventions sont souvent très musclées, parfois volent très bas, faisant craindre à chaque fois le pire.
Cependant, après chaque élection, les choses se remettent progressivement en place, l’espace politique sénégalais se stabilise quelque peu, hélas sans un apport appréciable sur le développement en général.
Le Sénégal est ainsi fait. C’est un petit pays au sous-sol pauvre, mais un pays riche en ressources humaines de qualité, tant au plan politique qu’au plan religieux. L’expression plurielle, démocratique y est presque libérée, même si le bavardage, stérile et entretenu, l’emporte de temps en temps sur la pensée sérieuse et profonde.
Ce verbiage intempestif porte sur tous les sujets et indique un état de fait qui, amplifié, conduit souvent à la rumeur que tout le monde déplore. Du reste, c’est dans la nature du Sénégalais d’être prolixe en paroles.
En outre, le Peuple sénégalais est très croyant, qui invoque Dieu, dans tous ses actes, en dépit de l’attrait que la puissance de l’argent peut exercer sur certains de ses membres ; et le besoin d’en posséder déstabilise quelquefois ces éléments, dans leur foi et leurs croyances.
En effet, l’appât du gain facile, ce rapport quasi charnel entre eux et l’argent, cette tare des temps actuels, conditionne en grande partie leurs positions politiques.
En Afrique francophone, c’est reconnu, le Sénégal est un pays remarquable, par l’alternance démocratique qui rythme sa vie politique. Dans ce grand bloc qu’était l’AOF, le Sénégal avait connu très tôt, le redoutable exercice du jeu démocratique qui avait émaillé son parcours politique jusqu’à l’indépendance, obtenue sans lutte sanglante avec le colonisateur, contrairement à bon nombre de pays d’Afrique ou d’ailleurs, sous occupation.
Le Sénégal, c’est également l’émergence d’une redoutable force maraboutique qui perturbe le jeu politique, à un niveau jamais égalé. Il faut cependant reconnaître à la religion, sa place importante dans notre patrimoine culturel.
Toutefois, autant les grands guides religieux se révèlent être des relais privilégiés entre le pouvoir et le citoyen, des régulateurs sociaux incontournables, autant certains, se réclamant de leur proximité avec ces guides, par leurs activités néfastes, vivent de la religion et s’impliquent dans la vie politique, de manière dégradante, pour nourrir leurs familles.
Mais le Sénégal c’est aussi, hélas, environ 230 (deux cent trente) partis et mouvements politiques estimés à ce jour. Un véritable exploit réalisé par ce pays, pour porter l’expression et les aspirations de treize millions de concitoyens.
Ainsi, l’extraordinaire excroissance de partis politiques recouvre entièrement de boursouflures ce petit corps déjà malade de ses innombrables défis économiques, sociaux et culturels. L’énorme confusion créée est loin d’être un modèle d’animation politique pour une jeune Nation.
Léopold Sédar Senghor avait institué en 1978, face à la grande agitation politique tous azimuts, dans un souci de rationalité, et pour éviter une fâcheuse cacophonie dans un pays de près de trois millions d’habitants, un régime politique à quatre courants de pensée dominants, dont les acteurs sont : Léopold Sédar Senghor du Parti socialiste démocratique (Ps), parti au pouvoir ; Me Abdoulaye Wade du Parti libéral (Pds) ; Me Boubacar Guèye du Parti conservateur et Majhemout Diop du Parti marxiste (PAI). Cela procède d’un réalisme politique.
C’étaient là les différentes sensibilités idéologiques auxquelles s’identifiaient les élites intellectuelles, africaines en général et sénégalaises en particulier. Les choix étaient alors simples, clairs et évitaient la déperdition des énergies dans d’interminables empoignades.
Les électeurs s’y retrouvaient aisément. Du reste, dans les grandes démocraties occidentales peuplées de plusieurs dizaines de millions d’habitants, on ne trouve pas ce nombre impressionnant de formations politiques, que l’on retrouve dans notre pays.
C’est sous le régime de Abdou Diouf que l’éventail de création de partis a été largement ouvert à tout le monde. Ce qui, dans une démocratie vivante, n’est pas une mauvaise chose en soi.
Mais à l’usage, il faut reconnaître que cette prolifération incontrôlée de partis ne leur donne pas beaucoup de crédibilité. Car leur nombre ne cesse de s’accroître, entraînant, par la même occasion, le nombre de syndicats ; chaque parti voulant pêcher dans le monde bouillant des travailleurs.
Le résultat, auquel nous assistons, est un fâcheux émiettement des forces politiques que rien ne devrait justifier. Actuellement, il n’est pas rare de voir des partis politiques s’empoigner pour revendiquer la paternité de sigles ou symboles.
La majorité de ces partis n’affiche son ambition et ne se manifeste réellement que pendant les joutes électorales. Le corollaire, prévisible et remarqué, de cet état de fait est le phénomène «d’alliances- ruptures», ou de transhumance, dénoncé par toute la classe politique mais jamais abandonné.
En effet, il a été toujours constaté que le parti au pouvoir, qui perd les élections présidentielles, s’effrite pour grossir le nouveau parti gagnant. Ces alliances-ruptures, ces transhumances, Léopold Sédar Senghor les caractérisait ainsi : «Ceux qui avaient des ambitions, qui voulaient être ministres, entraient dans les dissidences, formaient un parti officiel et nous proposaient l’intégration...»
C’EST LE FAMEUX JEU POLITIQUE POLITICIEN.
Dans l’arène politique se retrouvent en général toutes les catégories d’acteurs sociaux. Trois personnages, principalement, dans le champ politique, requièrent notre attention. Il y a ceux qui pensent à leurs positions sociales et n’agissent que pour leurs intérêts propres. Ils sont dans toutes les magouilles, les fourberies et usent allègrement de mensonges.
Ensuite il y a les tribuns, de redoutables harangueurs de foules. Ils sont capables de manipuler le monde à leur guise. S’ils s’avèrent honnêtes et soucieux de leurs cibles, c’est tant mieux, sinon ils ne feront, à long terme, qu’exacerber les rancœurs contre eux, en laissant planer, autour de leur personne, une mauvaise image de «baratineurs».
Enfin il y a ceux qui pensent aux autres, dont le souci premier est de voir comment soulager les souffrances. C’est le combat le plus difficile, mais en même temps le plus valorisant. Dans les pays sous- développés comme le nôtre, où chacun détient «la vraie solution» aux problèmes, les partis politiques doivent faire l’objet de dispositions réglementaires.
Dans tous les cas, pour entrer en politique, la connaissance de soi doit précéder l’engagement politique. Ce qu’il ne faut jamais perdre de vue, c’est que faire de la politique, c’est avoir un pied dans l’histoire d’un pays. Et ce rendez-vous n’est pas à manquer pour tout homme politique sérieux.
L’image à laquelle renvoie ce jeu politique sénégalais est celle d’un partage du gâteau. Si tout cela n’avait aucune incidence sur le vécu quotidien du Peuple, on en rirait à tous les coups. Mais le Peuple souffre.
Pendant plus de cinquante ans, les politiciens qui s’agitent, connaissent et évoquent tous, les maux dont souffrent les populations, et ont toujours juré d’y apporter des solutions définitives. Le seul remède que certains d’entre eux ont trouvé, est de s’enrichir sur le dos des braves gens qui demeurent de plus en plus démunis.
Ces politiciens se remplissent donc les poches, et pour se donner bonne conscience, distribuent de temps à autre, quelques billets de banque pour soulager de manière occasionnelle. Le mal est très profond, même s’il se trouve encore des personnes intègres dans ce milieu.
En réalité, nous avons créé, depuis un demi- siècle, un système qui favorise la plus grande arnaque qui perdure, la politique politicienne, avec sa conséquence d’une majorité qui endure sa souffrance et d’une minorité qui exhibe ses frasques ostentatoirement.
Le réquisitoire qu’en faisait Léopold Sédar, révélait alors une réalité que l’on retrouve encore dans l’arène politique. En politique, derrière une liberté de pensée, d’expression et d’association, se profile en réalité, une course aux honneurs et à l’argent.
Pour encore en revenir à Léopold Sédar Senghor, il ne saurait si bien dire, en qualifiant les nègres de «peuple fluctuant..., à affectivité volcanique et à réaction immédiate...», et pour conclure «qu’il faut les gouverner comme tel : en s’appuyant sur leurs vertus, mais en réprimant leurs défauts sans passion personnelle, mais objectivement».
Il est bien dommage que, pour avoir posé le vrai problème du Sénégalais, lui-même n’ait pas réussi le pari du développement.
Pour terminer, il faut souligner que notre pays a besoin, non pas d’une dictature, mais d’institutions fortes, reconnues et respectées par tous et pour le bien de tous. La gestion de notre pays ne doit plus être laissée à la seule volonté des politiciens.
Et les politiciens doivent savoir raison garder et arrêter de penser que servir son pays, c’est se servir d’abord. La qualité de serviteur de la Nation doit être un véritable sacerdoce. Autrement, comment comprendre que les politiciens se bousculent bruyamment au portillon du pouvoir à la recherche d’une sinécure.
Ces hommes tardent à comprendre que de profonds bouleversements s’opèrent dans l’esprit collectif. Le Peuple cerne à présent les contours de toute cette bruyante agitation.
Avec la jeunesse actuelle, nous sommes en présence d’une génération, de «forces neuves», surgie du Peuple et qu’aucun lien ne rattache aux vieux barons de la politique. Une jeunesse qui veut des actes qui donnent espoir, dans les comportements, la gestion du pays. Des actes qui façonnent l’homme pour en faire «un nouveau type de Sénégalais».
Le rêve du Peuple est de voir enfin ses besoins pris en compte. Que les valeurs qui avaient fait notre fierté soient retrouvées et raffermies. Notre développement se fera par nous-mêmes, en restant nous- mêmes, enracinés dans nos valeurs.
Le Peuple rêve du jour où, à partir d’échanges larges et féconds entre les partis, s’exprimeront enfin deux ou trois formations aptes à parler en leur nom. Alors seulement, l’on pourrait légitimement nourrir l’espoir que de grandes réalisations seraient possibles.
Par ailleurs, tout le monde doit se mettre à la tâche. L’expertise nationale qui existe, doit être mise à contribution ; elle est dans tous les domaines, portée par des hommes dont l’intégrité est reconnue par tous.
Notre pays a aussi besoin d’être inspiré, dans sa gestion, par une détermination à transcender les clivages et à travailler pour le bien-être de tous, dans un esprit de méthode et d’organisation. Cependant aucun effort de développement ne sera possible sans une autorité forte, des institutions solides et des valeurs morales restaurées.