PORTRAIT D'UN HOMME ENIGMATIQUE
L’ABBE AUGUSTIN DIAMACOUNE SENGHOR PAR LUI-MÊME ET PAR CEUX QUI L’ONT CONNU, L’HARMATTAN, 2013
La pièce maîtresse de ce livre porte sur une interview que l’auteur a réalisée en 2005 avec l’abbé Augustin Diamacoune Senghor. L’ouvrage de René Capain Bassène apporte des éclairages souvent inédits sur des épisodes importants de la vie de l’Abbé Diamacoune et sur certains aspects du conflit casamançais. Il permet de mieux connaître ce personnage et de mieux comprendre sa vie et son combat. Il donne des informations sur son enfance, sa jeunesse, sa vie de prêtre, sa vie en prison, son implication au sein du MDFC, son séjour dans le maquis, son retour et sa vie à la Maison des œuvres catholiques de Ziguinchor et enfin sur les derniers moments de sa vie. Le livre donne des informations inédites comme la première rencontre de l’Abbé avec Mamadou SANE, ou encore les dessous de l’accord de paix de 2004. Bien que n’étant nullement une biographie (celle-ci reste à faire), on y découvre des aspects plus personnels, qui éclairent la personnalité de l’Abbé : derrière le provocateur, l’homme y apparaît sous un autre jour. Non seulement dans sa vie privée, mais aussi dans son engagement politique. D’abord à titre personnel, au nom de sa foi, pour dénoncer, mais aussi pour mettre en garde les autorités. Ou plus tard, toujours au nom de sa foi, pour tenter de réfréner la violence, dans une aventure rebelle dans laquelle il s’est retrouvé embarqué et qui, manifestement, le dépasse : on mesure ainsi ce que la relative modération du conflit casamançais devrait à l’influence de l’Abbé sur les maquisards. Les bonnes feuilles
Présentation de l’Abbé Diamacoune Senghor « Je suis Casamançais. Je suis né le 4 avril 1928, baptisé trois jours après, le 7 avril 1928. Monseigneur Augustin Francis Louis Grimault m’a confirmé le 4 avril 1937, le jour de mes 9 ans, et Monseigneur Prosper Dodds m’a ordonné prêtre le 4 avril 1956. C’est pour cela que, très souvent, je dis : que Dieu me crée l’agréable surprise de me rappeler à lui un 4 avril, comme cela j’aurai quatre anniversaires à célébrer le même jour ».
LES FAITS MARQUANTS DE SON ENFANCE « En 1932, il y eut un atterrissage d’un avion français en Guinée portugaise (...). Les habitants de Djihounck ont retiré les occupants de l’avion français et ils les ont massacrés. Ils les ont tous tués. Les autorités françaises ont protesté (…). Un des habitants est venu avec sa femme Gnabouwélène, son petit garçon Koujoundaw et sa petite fille Gnatokalilo, qu’il a confié à notre père. En ce moment, notre grand-mère paternelle était encore vivante et c’est là-bas qu’on les a hébergés. Gnabouwélène était aveugle, mais tressait ses paniers et ses nattes ; et quand les parents partaient dans les rizières, dans la brousse ou dans les champs, elle sortait son matériel, puis restait sur la véranda et tressait ses paniers ou ses nattes en chantant. Très souvent elle chantait les chants des ancêtres. À un moment donné, elle déposait son fer, dont elle se servait comme instrument pour tresser ses nattes, et elle se mettait à pleurer. Tout jeune, et troublé de la voir pleurer, je pris un jour mon petit doigt et je lui touchai les yeux en guise de consolation. Elle me dit : « Mon fils, c’est Dieu qui a voulu tout cela. Un jour ça finira ». Je lui ai dit « Grand-mère, prie Dieu pour moi. Prie Dieu pour moi, qu’il me laisse la vie, qu’il me donne la force des braves : quand je serai grand, je vais chasser les Portugais de la Guinée portugaise pour que vous puissiez vivre en paix, en tranquillité chez vous ». Je n’avais que quatre ans et la grand-mère, la vieille, m’a dit : « Dieu fasse qu’il en soit ainsi ! Amine ! » Et c’est ainsi que cela ça s’est passé. Je n’avais que quatre ans, donc ce sont des évènements que nous avons vécus, cette résistance. Ça, c’était en 1932. En 1933, l’année même de la naissance de mon petit frère Bertrand, l’administration coloniale française, le Toubab, est parti à Senghalène et sur la place publique, là on leur a dit : « Sortez ce qu’on vous a imposé ». Et ils ont sorti le riz, le bétail, etc… Alors, finalement, ils ont appelé Boulombone : il était le chef de village. Il s’est trouvé que c’était l’oncle de ma maman. Ils l’ont appelé : « Boulombone ! » et il est arrivé. Ils lui ont dit : « Aujourd’hui c’est seulement la fumée que tu vas voir. Mais la prochaine fois que nous viendrons, si le quota demandé n’est pas atteint, tu verras le feu. Cependant, aujourd’hui tu vas voir quand même la fumée ». Ils ont pris le vieux et lui ont brûlé la barbe devant la place publique. Il y eut la débandade, les gens fuyaient à gauche et à droite, certains pleuraient. Et ce jour-là j’ai vu ma maman pleurer, puisqu’il s’agissait de son oncle. Alors, il s’est trouvé que, trois jours après, j’ai rencontré le vieux. Je lui ai dit : « Grand-père, prie Dieu pour moi, offre lui tes larmes et tes prières et demande-lui de me garder en vie, de me laisser grandir, de me clarifier l’esprit et me donner le courage des braves : moi, quand je serai grand, je vais venger tes souffrances, je vais venger les larmes de ma maman ! Ces gars qui sont venus de Ndar - donc Saint-Louis du Sénégal - et Dakar, pour venir aider ces Blancs à nous fatiguer ici, je vais les expulser, les chasser d’ici pour que la Casamance puisse vivre en paix ». Je n’avais que cinq ans d’âge, je disais cela sans savoir qu’un jour j’allais vivre tous ces évènements.
Devenu prêtre il explique : Mon option sacerdotale et civique, qui est ma devise, c’est « prêtre pour l’éternité, pour mettre dans le monde la vérité, la charité, la justice et la paix, en établissant dans les cœurs le règne de Dieu ». Et il s’est trouvé que mon premier sermon c’était sur Sainte Jeanne d’Arc, modèle de foi et de patriotisme ; parce qu’un jour, Sainte Jeanne d’Arc a dit : « souvent on est pendu pour avoir dit la vérité ! ». Et moi, en corollaire, il m’arrive souvent de dire que « la vérité est le plus court chemin qui mène à la prison ». Si vous voulez vite aller en prison, dites la vérité aux grands de ce monde que l’on loue, que l’on applaudit, mais jamais on ne leur dit ce qu’il y a de négatif dans leur vie et dans leurs activités… Je n’ai jamais eu de problème avec un confrère, avec mon évêque, encore moins avec le Pape, à cause du problème de la Casamance. Jamais ! Evènement qui l’a révolté …je suis venu de Kafountine pour voir la situation de mes orphelins, de mes pensionnaires, vérifier s’il n’y a pas trop de problèmes. J’ai posé mes bagages au séminaire. Et j’ai pris ma mobylette pour aller là-bas à Kandé, à mon centre d’accueil. Après le cimetière, j’ai vu des femmes qui venaient du côté du fleuve et qui regagnaient le quartier en pleurant et en criant. J’ai pensé aussitôt à une noyade. Je leur ai dit : « Mes sœurs, que se passe-t-il ? Avons-nous eu encore un malheur au niveau du fleuve ? » Leur seule réponse était : « Mon père, on nous a tout pris ! ». C’est-à-dire toutes les rizières qu’elles cultivaient pour la subsistance de leurs familles, de leurs foyers. On leur a tout arraché pour donner à des gens qui venaient du Sénégal. Et je sais qu’il y en a qui ne connaissaient même pas le Sénégal mais qui avaient des parcelles en terre de Casamance : « Mon père, on nous a tout pris ! ».
Son implication dans le MFDC : « Le MFDC ne m’a jamais nommé Secrétaire général, mais je répète encore une fois que c’est l’Etat du Sénégal, c’est le gouvernement sénégalais qui m’a élevé à ce grade. Je précise que j’ai toujours mis quelqu’un au défi de prouver qu’un jour j’ai participé à une seule réunion de ceux qui ont bougé le 26 décembre 1982. Je ne les connaissais pas … La plupart de ceux qui se sont réfugiés dans la forêt sont des analphabètes ou des sous-instruits, qui n’ont pas une assez bonne maîtrise de la langue française écrite comme parlée. Alors, au moment des premières négociations, sachant que je tiens beaucoup aux choses liées à la Casamance et vu le fait que j’ai été emprisonné pour des cas liés à la Casamance, ils ont formé leur Bureau et m’ont proposé le poste de Secrétaire général. Ma mission était de faciliter les négociations, de rédiger les lettres et les procès-verbaux des réunions. J’étais donc simple Secrétaire général, comme on le voit dans toutes les associations ou regroupements. Par la suite, par abus de langage ou je ne sais quoi encore, le Sénégal a fait de moi Secrétaire général du MFDC. Au début, ce n’était pas cela. J’étais simple Secrétaire général. Je ne peux pas occuper ce poste dans un mouvement dont je n’ai pas participé à sa création. Le MFDC ne m’a jamais nommé Secrétaire général, mais je répète encore une fois que c’est l’Etat du Sénégal, c’est le gouvernement sénégalais, qui m’a élevé à ce grade. Je veux que cela soit clair une fois pour toutes au niveau de l’opinion. Je précise que ce n’est pas Diamacoune qui a créé la rébellion armée en Casamance. Ce n’est pas moi qui ai dit aux gens : « Marchons, retrouvons-nous en brousse, formons une rébellion et battons-nous contre le Sénégal ». Je n’ai jamais prôné la violence. Je suis un homme de paix et je lutte contre une certaine injustice en disant la vérité aux autorités de ce pays. Je n’ai fait encore une fois que mon devoir de prêtre et de fils de la Casamance. Jamais je n’ai eu l’idée de créer une rébellion en Casamance. Ma relation avec le MFDC, c’est, encore une fois, le Sénégal qui nous a associés. Je n’ai jamais déclaré en privé encore moins en public, qu’un jour Emile BADIAne m’a remis des documents renfermant les clauses signées entre lui et SENGHOR, ou entre le MFDC primitif et SENGHOR, en faveur de l’indépendance de la Casamance. Je ne l’ai jamais dit à quelqu’un, mon fils ».
Son combat : « Je suis prêtre. J’ai été ordonné le 4 avril 1956. Le sacrement de l’ordre est un sacrement que l’on reçoit une seule fois dans sa vie et on est prêtre à jamais. Je t’ai dit qu’il y a eu des injustices subies par les Casamançais de la part d’abord des colons portugais, puis français, mais surtout des autorités envoyées par le Sénégal et qui ont gouverné la Casamance tout au début des indépendances. Ces dirigeants n’avaient aucun respect pour les populations autochtones, sur lesquelles ils se croyaient tout permis. Les Casamançais étaient traités comme des citoyens de second rang. Voici ce qui m’a fait mal et, lors d’une conférence que j’ai tenue à Dakar, à la Chambre de commerce de Dakar, en août 1980, en parlant de la situation politique et administrative de la Casamance j’ai posé cette question : « Mais de quel droit la France a-t-elle, à l’indépendance du Sénégal, rattaché la Casamance à ce pays sans que les intéressés soient consultés ? ». La Casamance n’a rien à avoir avec le Sénégal, aux plans historique, économique et ethnique. C’est uniquement pour des raisons de commodité qu’elle a été administrée avec le Sénégal, mais c’était un protectorat. Mais s’ils le disent c’est parce que les uns ignorent et les autres sont tout simplement mal informés sur la nature mon combat. Je viens de te dire tout à l’heure que c’est le Sénégal qui m’a nommé Secrétaire général du MFDC. J’ai accepté d’assumer ce rôle, pour permettre aux deux parties de mieux négocier en vue du retour de la paix en Casamance. Je t’ai expliqué que je n’ai jamais assisté à une réunion de ceux qui ont bougé le 26 décembre 1982. Je n’ai jamais demandé aux Casamançais de rejoindre la forêt, de s’y réunir et de former une rébellion contre le Sénégal. Comment donc peut-on me traiter de rebelle ? Moi j’ai fait mon devoir de prêtre et de fils de la Casamance. J’ai pris mon stylo pour faire connaître aux autorités de ce pays mon mécontentement face à certaines injustices qui se pratiquaient en Casamance. Et comme la vérité est le plus court chemin qui mène en prison, ils m’ont arrêté et jeté en prison. Tu sais, les grands de ce monde n’aiment pas qu’on leur dise la vérité. J’ai été arrêté le 23 décembre 1982 et, pendant ce temps, je ne savais même pas qu’une marche de protestation contre ces mêmes injustices est prévue par certains habitants de Ziguinchor ».
ARRESTATION ET VIE EN PRISON « C’est sur mon lit de malade que j’ai été arrêté à la cathédrale, précisément au presbytère de la cathédrale de Ziguinchor, le 23 décembre 1982. C’est à ce moment qu’on m’a pris et amené à Dakar. Moi, je n’ai pas été torturé comme les autres. Je n’ai jamais été torturé pendant ma détention en prison, jamais. Lors de ma deuxième arrestation, je n’ai pas été torturé ; sauf que cette fois-ci j’ai refusé de manger. Je n’ai pas mangé pendant une semaine : quand ils m’apportaient le petit-déjeuner le matin, je refusais ; le midi et le soir aussi … Je pouvais boire au robinet. Je me gardais bien de toucher tout ce qu’on me donnait comme boissons et nourriture. Je refusais catégoriquement tout ce qu’on me donnait ».
EXIL DANS LE MAQUIS : « … Des gens sont venus me dire : « maintenant on te propose de te rendre au village. Tu vas aller à Senghalène te reposer, même si c’est pour cinq à dix jours, en attendant que baisse la tension ». Et ils m’ont dit : « Prépare-toi, prépare vite tes bagages ». Et c’est ainsi que, durant la nuit du 12 août 1992, j’ai quitté ma maison de Kandé et suis parti en direction d’Oussouye. Mais, à un moment donné, en cours de route, au lieu de continuer sur cette direction, ils ont bifurqué sur Kaguitte [1]. Et alors je me suis dit : « bon, peut-être qu’ils veulent me cacher chez une de mes cousines, dont la maison est un peu à l’écart du village, pour que je m’y repose un peu ». Mais, rendu là-bas, on m’a fait marcher et c’est comme cela que je me suis retrouvé au maquis. J’étais à l’état-major. En ce moment-là, c’était encore l’état-major. J’étais avec Sidy BADJI et Léopold Sagna. Je ne les avais jamais rencontrés auparavant. Mais ce n’est qu’après, quand le Sénégal a appris que j’étais là-bas dans le maquis, qu’ils sont allés voir Nino Viera [2] (Ndlr : chef de L’Etat Bissau-guinéen jusqu’en 1999) pour lui demander de me faire aller en Guinée-Bissau. Ils avaient proposé comme premier lieu de rencontre Sao Domingo, mais après ils ont prétexté que c’était trop près de la frontière, et c’est comme ça qu’ils m’ont amené à Bissau. Sur place, ils ont voulu causer avec moi : ils ont tenté de négocier avec moi. Je leur ai dit : « Moi, je ne suis pas compétent en la matière. Je n’ai jamais participé à une seule réunion de ceux qui ont bougé en 1982 et je ne peux pas me permettre de dire quelque chose sur ce problème. Je n’ai pas droit à la parole. Il faut prendre d’autres civils, ou surtout aller vers les combattants pour parler avec eux et trouver les bases d’une bonne négociation ». A la fin de cette rencontre, ils m’ont dit : « Maintenant tu peux rentrer tranquillement à Ziguinchor ». Je leur ai répondu : « Aller à Ziguinchor ? » Ils ont répondu : « Oui ». Je leur ai dit : « D’accord, mais donnez-moi le temps de retourner au maquis dire au revoir et prendre mes bagages avant de retourner à Ziguinchor ». Ils m’ont dit « Oui ». Mais au lieu de me ramener au maquis, ils ont continué directement à l’aéroport de Bissau. C’est comme ça, à mon corps défendant, qu’ils m’ont ramené à Ziguinchor ».
Sport : La Jeanne d’Arc son équipe favorite « Je luttais au village quand j’étais plus jeune, et j’ai joué au football jusqu’à dans les années 70. Et je signale au passage que mon équipe de football préférée au Sénégal ce n’est pas le Casa Sports de Ziguinchor, que je soutiens très bien, mais c’est la Jeanne d’Arc de Dakar, parce qu’elle porte le nom de ma personne modèle. »
*Le titre est de la rédaction