''POUR ENSEIGNER, LES PROFILS DOIVENT ÊTRE MAÎTRISÉS ET LE MÉRITE PRIVILÉGIE''
SERIGNE MBAYE THIAM, MINISTRE DE L’EDUCATION NATIONALE
Dans cet entretien, le ministre de l’Education nationale revient sur les recommandations issues des Assises dont l’application devrait permettre d’avoir au Sénégal « une école de la réussite ». Serigne Mbaye Thiam aborde également la question du recrutement des enseignants, des abris provisoires et de la prochaine rentrée scolaire
Lors des Assises, le discours était centré sur « l’école de la réussite ». Quels en sont les fondements et comment y arriver ?
Les Assises de l’éducation et de la formation ont défini « l’école de la réussite » comme une plateforme qui met en cohérence et en synergie plusieurs conditions et offres diversifiées permettant de donner, à chaque élève, les moyens de s’orienter vers une formation adaptée à son profil et offrant les meilleures perspectives de réussite.
« Cette école de la réussite » va s’adosser à la culture scientifique, technique et technologique, aux langues nationales, aux valeurs et pratiques sociales de référence. Elle pose l’exigence de réussir le passage à l’obligation scolaire de 6 à 10 ans pour per- mettre aux enfants d’acquérir les compétences de base requises et d’avoir des alternatives à leur réussite par un système de passerelles de l’éducation de base à l’enseignement secondaire général, professionnel ou technique, puis supérieur.
« L’école de la réussite » devra mener un combat contre les échecs massifs et les décrochages prématurés, en vue de l’amélioration, à tous les niveaux, de la performance des apprenants. Elle doit aussi veiller à assurer une meilleure efficacité externe au système éducatif.
En somme, « l’école de la réussite » repose sur le triptyque instruire, socialiser et qualifier dans une perspective d’apprendre à apprendre et d’apprendre à entreprendre. Elle vise à former un citoyen éduqué, enraciné dans les valeurs culturelles, collectives, spirituelles, morales, civiques et citoyennes positives de son milieu tout en restant ouvert au monde.
Elle suppose des normes et standards pour une répartition équitable des ressources ; un système rééquilibré entre filières scientifiques et littéraires pour un développement et une plus grande employabilité ; plus d’ouverture au monde par l’utilisation des Tic dans les domaines pédagogiques ; la valorisation du mérite et de l’excellence ; une meilleure implication des communautés avec des espaces de concertation et des professionnels (enseignants et non enseignants) dans un environnement apaisé.
Convenez avec moi que les Assises ont produit une claire vision de « l’école de la réussite ».
Les acteurs du système éducatif ont tous insisté sur la nécessité d’appliquer les recommandations. Le gouvernement a donné des assurances. Y aura-t-il un ordre de priorité dans leur application ?
Ceci aussi est la preuve de ma satisfaction et de celle de tous les Sénégalais. Il y aura, bien sûr, un ordre de priorité. Et le président de la République le fixera à l’issue du conseil présidentiel.
Quelle stratégie allez-vous adopter pour matérialiser ces recommandations ?
A l’issue du conseil présidentiel, une feuille de route sera élaborée et des stratégies dégagées. Ces dernières dé- pendront des types de recommandations retenues et structureront toute la politique du secteur pour les prochaines années.
Mais, en tout état de cause, il y aura une bonne dose de révision de textes, notamment la mise à jour du Programme d’amélioration de la qualité, de l’équité et de la transparence (Paquet) adopté par le gouvernement en 2013.
Que pensez-vous de l’engagement des différents acteurs à contribuer à l’application des recommandations ?
C’est la grande réussite ! Il n’est pas évident d’avoir toutes les composantes de la communauté éducative pour des concertations et d’obtenir tout de suite l’adhésion souhaitée. Cela s’est produit, et il s’agit d’une grande opportunité.
Nous avions eu une vraie réflexion collective. Les trois journées des Assises ont permis de constater un vrai engagement collectif.
N’appréhendez-vous pas de rencontrer quelques réticences dans la mise en œuvre des recommandations ?
Il s’agit d’Assises de tous les Sénégalais. Dès lors, je ne pense pas voir des gens contre le progrès ou la réussite de notre école. On peut avoir des réserves sur la façon d’appliquer telle ou telle stratégie, mais ces concertations ont été une demande sociale. Avec le dispositif de suivi qui sera mis en place, l’Etat veillera à une mise en œuvre consensuelle.
Pensez-vous qu’au sortir de ces Assises l’école sénégalaise évoluera désormais dans un environnement apaisé permettant de tendre vers cette « école de la réussite » ?
Je le pense. Quand on voit le niveau d’engagement de tout le monde, élèves comme enseignants, quand on regarde la qualité et la pertinence des documents produits, notamment le code de déontologie, le pacte de stabilité et le serment de l’enseignant, je suis optimiste.
Le gouvernement jouera sa partition pour un environnement d’enseignements-apprentissages apaisé.
Le chef de l’Etat a déclaré, à l’ouverture, que les doléances des enseignants contenues dans le protocole d’accord seront satisfaites dans les limites du possible. Qu’en est-il exactement ?
Déjà, le fait que le président de la République prenne l’engagement de satisfaire les doléances est un message très fort. Maintenant, il ne peut le faire que dans la limite du possible. En vérité, nous devons éviter de retourner dans le cycle de revendications suivies d’engagements, puis de grèves pour des promesses non tenus.
Cela est dû en partie au fait que l’Etat n’avait pas les moyens de respecter ses engagements au moment où il les prenait et, le plus souvent, c’était pour sortir de la crise. C’est ce résiduel que nous gérons en ce moment, et nous ne souhaitons plus en arriver à cette situation.
L’une des recommandations fortes des Assises, c’est de revoir le mode de recrutement des enseignants. Etes-vous prêt à vous engager dans ce sentier qui semble épineux ?
Cela va de soi ! Le ministère de l’Education nationale ne peut pas continuer à subir le recrutement. Il faut qu’il prenne le leadership. Il faut définir les règles pour les parties prenantes : les autres départements, les écoles ou instituts de formation, les effectifs, les besoins réels, la participation des autres pour la transparence...
C’est aussi une question importante avec un grand impact sur la qualité des apprentissages, mais également sur le mérite, la justice et l’équité. Nous devons revoir le mode de recrutement, les profils d’entrée, la durée de la formation, le mode de sélection... A ce niveau, les Assises ont fait une réflexion profonde.
Maintenant, je ne vois pas en quoi c’est épineux, car le recrutement fait partie des missions du ministère de l’Education nationale. Il s’agira d’approfondir la réflexion et de partager, avec les acteurs, la politique élaborée comme nous l’avons fait avec la formation, Mirador, le Paquet... On ne doit plus voir dans ce pays des formes de recrutement comme cela se faisait avec le quota sécuritaire et les vacataires
. Les profils d’entrée doivent être maîtrisés et le mérite privilégié. L’éducation, c’est du sérieux ! Le Sénégal est ambitieux et veut se mettre aux standards internationaux en matière de qualité des enseignants.
C’est pourquoi nous avons mis en place les Centres régionaux de formations des personnels de l’éducation (Crfpe) qui doivent assurer les formations de tous les personnels et, dans certains cas, en collaboration avec les universités. Tous ces mécanismes supposent une politique réfléchie, cohérente et efficace de recrutement et de formation.
Code de déontologie, Pacte de stabilité, Serment de l’enseignant. Faut-il penser que tous les maux qui gangrènent le système sont du fait des enseignants ?
Absolument non ! Les responsabilités sont partagées. C’est pourquoi nous avons tenu des Assises inclusives et participatives pour diagnostiquer le mal. Le gouvernement et l’administration ont leur part de responsabilité et l’assument. Les parents ont le devoir de se mobiliser davantage et de s’impliquer.
Les élèves ont aussi une certaine responsabilité. La société civile est en train de jouer son rôle d’alerte et de mobilisation. Les enseignants aussi doivent prendre conscience de leur rôle et responsabilité, pas seulement pour un climat scolaire apaisé, mais surtout pour la qualité et la réussite des élèves. La prise de conscience de ces responsabilités les a conduits à élaborer ces instruments pour contribuer à la stabilité du système.
Les 690 élèves-maîtres épinglés pour fraude au concours d’entrée ont été remplacés. Le retard accusé par leurs remplaçants ne pourrait-il pas déteindre négativement sur leur formation ?
Je ne pense pas. Ces nouvelles recrues seront correctement encadrées pour être opérationnelles à la fin de leur formation. Une réunion a été tenue à cet effet entre les services compétents du ministère et les responsables des Crfpe. Aussi, des instructions leur ont été données pour la mise en œuvre d’un plan de rattrapage des cours et un encadrement adéquat.
Combien d’enseignants seront recrutés cette année ?
Une Commission ad-hoc, placée sous la présidence du ministre en charge de la Fonction publique, a pour mission de déterminer le nombre d’enseignants à recruter. Cependant, il reste évident que le ministère évalue ses besoins pour les soumettre à la commission qui va statuer sur la base de critères objectifs prédéfinis dans un souci de rationalisation des effectifs.
Pour l’année scolaire 2014-2015, le ministère de l’Education nationale a reçu une autorisation de recrutement de 2.568 maîtres d’école élémentaire actuellement en cours de formation dans les Crfpe. Ils seront mis en stage de pleine responsabilité à partir du mois d’octobre avant de passer leurs examens de sortie pour ensuite être affectés dans les écoles.
En ce qui concerne l’enseignement moyen et secondaire, l’autorisation de recrutement porte sur 1.588 professeurs sortis, pour l’essentiel, de la Fastef et qui seront affectés avant la rentrée.
C’est bientôt la rentrée scolaire, quelles sont les dispositions prises pour l’aborder de la meilleure des manières ?
Le décret qui organise l’année scolaire est déjà pris et j’ai tenu, avec les 16 inspecteurs d’académie, les directeurs nationaux et chefs de service, une réunion de coordination sur la question. En outre, au niveau de l’élémentaire, des mesures sont prises pour acheminer 1.441.000 manuels et des guides du maître dans les écoles.
Ces manuels viennent s’ajouter aux 600.000 déjà injectés dans la première étape, au mois de février dernier. C’est la première fois que des manuels conformes au nouveau curriculum de l’éducation de base seront disponibles dans le système éducatif.
Depuis 2005-2006, des manuels du franco-arabe n’ont plus été mis dans les écoles et Cem. Pour cette rentrée, 387.000 ouvrages de cette filière d’enseignement seront disponibles. Plus de 16.000 tables-bancs font, en ce moment, l’objet d’ordres de service d’affectation. Ils viennent s’ajouter aux 40.000 de l’année dernière.
J’ai déjà évoqué les dispositions prises en ce qui concerne les ressources humaines. Je rappelle que les créations de nouveaux collèges et les ouvertures de classe de seconde dans des Cem existants ont été rationalisées et faites avant le mouvement national de juillet 2014. Cela, pour prendre en compte leurs besoins en personnels.
Par ailleurs, nous sommes en train de prendre les mesures idoines, en rapport avec le ministre de l’Economie, des Finances et du Plan, pour le transfert effectif de subventions aux écoles élémentaires dès la rentrée des classes.
Toutefois, la grande difficulté est la présence des élèves et le démarrage effectif des cours dès le premier jour de la rentrée des classes. A cet effet, nous lançons un appel aux parents d’élèves, aux élèves et à la communauté éducative dans son entièreté. D’ailleurs, de bonnes volontés se sont manifestées dans ce sens pour nous accompagner dans le cadre d’une campagne de sensibilisation et de mobilisation.
Le problème des abris provisoires se pose toujours avec acuité. Qu’est-ce qui est en train d’être fait pour y remédier ?
Le président de la République a donné des instructions dans ce sens. Nous y travaillons actuellement en collaboration avec le ministère de l’Economie des Finances et du Plan.
A ce propos, nous menons une étude de faisabilité technique, juridique et financière relative à la mise en œuvre d’un programme de résorption des abris provisoires qui s’appuie sur le partenariat public/privé pour un montant global de 65 milliards de FCfa. L’avant-projet sommaire de cette étude a été déposé et est en train d’être examiné par les services.