POUR L’EMPLOI ET L’EMPLOYABILITÉ DES JEUNES
UNE CONTRIBUTION CITOYENNE
I. La Problématique
Le problème de l’emploi et de l’employabilité des jeunes est au cœur des préoccupations des gouvernements à travers le monde. Il est d’une plus grande acuité dans les pays aux moyens limités, comme le Sénégal, qui éprouvent des difficultés de tous ordres à lui trouver solution. Du fait des dangers qu’il charrie, sa résolution, de façon intelligente et volontariste, prend les allures d’équivalent moral de la guerre.
Le dernier recensement général (RGPHAE, 2013) situe la population du Sénégal à 13 508 715 habitants, dont 6 735 421 hommes et 6 773 294 femmes. La moitié de la population est âgée de moins de 18 ans ; les moins de 20 ans représentent 52,7%, et les enfants âgés de moins de 15 ans constituent 42,1% de la population globale. Avec un taux de croissance d’environ 2,5%, le Sénégal fait partie des pays dont la population double tous les 25 ans.
Cette population se caractérise aussi bien par sa jeunesse que par le fort taux de chômage des jeunes. Chaque année, environ 100.000 demandeurs d’emploi arrivent sur le marché du travail. Une faible portion de cette main-d’œuvre parvient à trouver du travail. Cela tient au fait, d’abord, que l’économie sénégalaise n’est pas suffisamment forte et diversifiée pour générer des emplois en rapport avec la disponibilité de la main d’œuvre théorique. A cela s’ajoute, le manque de qualification professionnelle.
En effet, environ 56% des demandeurs d'emploi ont moins de 35 ans ; 75,5% d’entre eux n'ont aucune qualification professionnelle et près de 53% d’entre eux n'ont jamais été scolarisés. Par conséquent, le bas niveau ou le manque de qualification professionnelle limite la capacité de ces jeunes à trouver un emploi. Inversement, les entreprises privées dont les investissements sont d’ailleurs peu intensifs en main-d’œuvre ne trouvent pas aisément les profils professionnels qui correspondent à leurs exigences d’emploi à temps voulu.
Ainsi, d’année en année, la main-d’œuvre disponible dépasse largement la capacité de l’économie formelle à absorber les cohortes successives de demandeurs d’emploi, et à transformer la structure de l’emploi dans le pays. Le nombre de chômeurs augmente inexorablement, et les laissés-pour-compte, sans qualification professionnelle, viennent grossir les rangs des marchants ambulants, des portefaix, des délinquants et autres marginaux, laissés à eux-mêmes et cibles faciles de toutes sortes de tentations et de manipulations.
L’Etat du Sénégal, qui n’a pas encore trouvé la parade, a essayé plusieurs outils , mais aucun n’a produit les résultats escomptés. Le clientélisme politique qui a caractérisé la mise en œuvre de ces initiatives explique, en partie, le peu de succès qu’elles ont eu à produire les résultats qu’on en attendait.
Face à l’ampleur du problème, les autorités de ce pays peuvent soit opter pour des expédients dictés par le désarroi ou trouver des solutions inédites qui permettent de desserrer l’étau du chômage des jeunes en attendant de lui trouver une solution plus pérenne. Par rapport à cette deuxième option, notre contribution propose des pistes de réflexion et d’action qui tiennent compte d’abord de nos capacités et ressources internes.
II. Les Pistes de réflexion et d’action
A) Pour l’Emploi des Jeunes
1. Réparation et réhabilitation des infrastructures publiques
Les infrastructures publiques sont le miroir le plus visible de la République. Elles constituent, en outre, le premier niveau de contact entre les citoyens et les services de l’Etat. Pour cette raison, elles doivent refléter la solennité, le décorum et la propreté que l’on est en droit d’attendre de la part des états qui se respectent. Au Sénégal, hélas, la plupart de nos infrastructures publiques sont dans un état de délabrement et d’insalubrité innommable, et personne, à commencer par ceux qui en ont la charge, ne semble s’en émouvoir outre mesure au-delà des constats de circonstance.
Dans les gouvernances, les (sous) préfectures, les commissariats de police, etc., les bureaux sont souvent désorganisés; les toilettes sont repoussantes de saleté ; les dossiers et archives sont mal classés ; les meubles et équipements cassés sont abandonnés dans des coins, avec une désinvolture qui frise l’irresponsabilité.
Les écoles primaires, pour la plupart, ne sont pas clôturées ; leurs cours ne sont ni pavées ni ombragées ; les commodités sanitaires sont défectueuses sinon inexistantes, les meubles de classe sont déglingués. Les enfants, qui commencent leurs premiers pas dans la vie, sont plongés et laissés dans ces conditions indignes que le seul manque de moyens ne peut justifier.
Face à cette situation, il nous semble impératif de mener des actions décisives pour mettre fin à cet état de fait. Le Sénégal ne peut plus et ne doit plus laisser son image se dégrader alors qu’il existe des voies et moyens pour régler le problème. Ceci peut se faire par le biais de l’emploi massif des jeunes dans un vaste programme de réparation et de réhabilitation des infrastructures publiques.
2. Construction de Cases de Santé et Eradication des Abris Provisoires
Un rapport de l’USAID, daté de Septembre 2009, notait que les cases de santé constituent la première alternative vers l’accès des soins de base pour les pays pauvres et en voie de développement, Ces dispensaires ruraux, qui sont la première ligne de protection des populations en zone rurale, ont pour rôle de fournir des soins de santé de base aux populations rurales éloignées des hôpitaux et des grandes cliniques. D’où leur importance primordiale dans le dispositif sanitaire du pays.
En 2009, le Sénégal comptait environ 2.200 cases de santé. Dans la politique sanitaire du pays, les cases de santé sont normalement construites, équipées, entretenues et gérées par les communautés, avec l’appui des partenaires au développement. Si on considère qu’il y a 13.240 villages au Sénégal, l’on se rend compte aisément de l’immense déficit en cases de santé. Cependant, du fait de leur manque de moyens, les communautés laissées à elles seules ne pourront pas résorber ce déficit de sitôt. Donc, l’Etat doit déroger à cette politique, et prendre le problème à bras le corps pour lui trouver une solution définitive.
Un autre problème qui est tout aussi préoccupant que les cases de santé est celui de la persistance des abris provisoires après plus de cinquante ans d’indépendance. Il n’y guère longtemps, un ministre de l’éducation disait, avec une insoutenable candeur, que “l’existence d’abus provisoires dans certaines localités [était] un mal nécessaire”. C’est là une posture qu’il n’est pas permis d’avoir ou de laisser prospérer.
Nos enfants constituent notre capital le plus précieux. Leur donner une éducation de qualité et dans les conditions de confort et de sécurité les meilleures doit être un sacerdoce pour l’Etat. C’est une question de responsabilité, d’honneur et de respect de soi-même. Nous ne pouvons plus tolérer de laisser des enfants, pour la plupart handicapés déjà par leurs origines modestes, trimer dans des abris de fortune qui n’honorent pas le pays.
Depuis peu, cependant, le Gouvernement semble avoir pris la pleine mesure du problème et parait disposé à lui trouver une solution. Lors de la visite d’une école élémentaire en Juin 2013, le Premier Ministre de l’époque estimait qu’il fallait environ 75 milliards FCFA pour remplacer les abris provisoires du Sénégal. En Conseil des Ministres du 17 Septembre 2014, le Chef de l’Etat engageait le gouvernement à hâter l’exécution du programme de construction et de réhabilitation d’infrastructures afin d’atteindre l’objectif de zéro abri provisoire à l’horizon 2017. Dans son édition du 13 Octobre 2013, le Soleil écrivait que le Gouvernement “[envisageait] de remplacer 6763 abris provisoires”. C’est là une résolution de sagesse qu’il faut saluer et qu’il faut vite traduire dans les actes si nous ne voulons pas qu’elle reste au niveau de vœux pieux.
Pendant longtemps, les gouvernements qui se sont succédé ont constaté et déploré l’existence de ces structures de fortune. Dans le même temps, et au fil des ans, beaucoup de ressources ont été investies dans des programmes et projets qui n’étaient ni plus prioritaires ni plus légitimes à recevoir ces fonds que les abris provisoires.
A présent, le problème est arrivé à un point tel que le négliger ne fera que le rendre encore plus difficile, voire impossible à résoudre. En même temps, et paradoxalement, il est aussi arrivé à un point où il constitue un formidable gisement d’emplois capable d’occuper un grand nombre de jeunes pendant une période plus ou moins longue. Donc, soutenir que les opportunités d’emploi des jeunes n’existe pas semble ne pas faire cas de cette évidence.
A notre avis, il est tout à fait possible de rallier les partenaires du Sénégal autour d’un vaste programme de remplacement des abris provisoires, un programme qui pourrait générer des milliers d’emplois décentralisés là où le chômage sévit le plus brutalement.
B) Pour l’Employabilité des Jeunes
1. Formation par le biais des Ateliers d’Apprentissage Professionnel (AAPs)
Le Sénégal dispose d’une stratégie et d’un plan d’action national de l’enseignement technique et de la formation professionnelle qui couvre la période de 2006 à 2015 . Le document contient l’ensemble de l’offre nationale en matière de formation professionnelle. Pour l’essentiel, il s’agit de programmes de formation destinés à combler les besoins du marché du travail en qualifications professionnelles, et qui produisent des ingénieurs et des techniciens supérieurs. On accède à ces formations moyennant un certain niveau d’éducation formelle, notamment le BAC et au-delà.
Cependant, du fait du taux d’achèvement relativement bas, environ 50% des jeunes enrôlés au primaire quittent l’école avant d’avoir complété six années d’instruction. Ces jeunes, non scolarisés ou déscolarisés, n’ont pas les qualifications requises pour être admis dans les centres de formation technique et professionnelle, et ne peuvent donc pas s’insérer dans le marché du travail.
Notre proposition intéresse ce groupe. Elle porte sur ce que nous appelons les Ateliers d’Apprentissage Professionnel (AAPs).
La force de l’Europe et des autres pays développés de la planète est d’avoir su, très tôt dans leur évolution historique, formaliser et valoriser les connaissances, techniques et procédés artisanaux pour nourrir et asseoir leur base industrielle. Au fil du temps, ils ont créé un nombre impressionnant de métiers dits artisanaux qui sont à la base d’industries florissantes telles que les industries du luxe et de la précision. A titre d’exemple, il est intéressant de noter qu’un récent arrêté français établit une liste officielle de 217 métiers de l’artisanat, répartis dans 19 domaines différents. Nous pensons que les AAPs présentent une formidable opportunité pour notre pays de se doter enfin des professions qui constitueront, à terme, la base de sa future configuration industrielle.
Les AAPs seront des centres d’apprentissage dans les métiers de l’artisanat. Ces ateliers pourront être hébergés dans les locaux réhabilités du patrimoine immobilier de l’Etat. Dans la phase initiale, nous proposons, la création de cinq (5) AAPs dans les régions de Dakar, de Thiès, de Louga, de Kaolack et de Casamance, répartis comme suit :
a. L’AAP des Métiers de la Bouche de Dakar (10 filières)
b. L’AAP des Métiers du Métal et de la Métallurgie de Thiès (13 filières)
c. L’AAP des Métiers du Cuir et des Arts et Traditions Populaires de Louga (9 filières)
d. L’AAP des Métiers des Arts Graphiques de Kaolack (20 filières)
e. L’AAP des Métiers du Bois de la Casamance (11 filières)
Le choix de ces zones n’est pas fortuit. Il tient compte de la tradition artisanale et industrielle des régions et de leur potentiel en ressources naturelles. Ces AAPs serviront de base pour amorcer le processus de la spécialisation régionale et de la labellisation des terroirs.
Les cinq AAPs de départ regroupent 63 filières. Si chaque filière forme 10 jeunes, des cohortes de 630 jeunes pourront ainsi être formées par cycle. Les quatorze autres AAPs pourront être mis en place après l’évaluation de la phase pilote. Avec cette approche, le Sénégal peut, à terme, changer drastiquement le profil de la main-d’œuvre nationale.
(À SUIVRE)
Falilou Diouf