POUR LE DOYEN AMADY ALY DIENG
«Le livre constitue une victoire des hommes sur le temps et sur l’espace. Le livre peut être transmis des anciennes aux nouvelles générations. C’est un combat de gagner sur le temps destructeur [...] En définitive, le livre est un instrument efficace pour lutter contre la mort. Les écrivains continuaient à vivre parmi les vivants.» Amady Aly Dieng, «Don de ma bibliothèque personnelle à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar», Codesria, Bulletin n°1 & 2, 2007, p.42.
Ce mercredi soir, en regardant le journal de la TFM, j’ai appris avec tristesse et consternation, le décès du doyen Amady Aly Dieng. C’est un intellectuel qui m’a beaucoup marqué. J’ai «découvert» Amady Aly Dieng en 2003, à la Maison de la culture Douta Seck, alors que j’étais jeune étudiant en première année de philosophie. C’était lors d’une cérémonie de dédicace d’un livre de Mamadou Abdoulaye Ndiaye et Amadou Alpha Sy, deux professeurs de philosophie dont il préfaçait souvent les livres.
Depuis, j’ai toujours aimé écouter le vieux sage. Lors de colloques internationaux, de conférences, de débats, à la cafétéria de la Faculté des lettres, je ne ratais jamais l’occasion de suivre le vieux, tellement ce qu’il disait était intéressent pour tout le monde, en particulier pour la jeunesse sénégalaise et africaine.
Il avait un discours critique, très critique à l’égard de beaucoup d’intellectuels et de la société sénégalaise. Mais sa critique était constructive. Il était un grand lecteur. Amady Aly Dieng a beaucoup lu pour ne pas dire qu’il a tout lu. C’est pourquoi, il n’était pas facile de débattre avec lui. Certains professeurs et intellectuels ne me démentiront pas. N’importe qui n’osait pas débattre avec le doyen Amady Aly Dieng.
Dans le bulletin Codesria n°1 & 2, 2007, p. 41, il écrivait : «Dans ma vie militante estudiantine, j’ai appris à accorder beaucoup d’importance à la fréquentation et à la lecture des livres qui pouvaient nous aider à retrouver les véritables chemins susceptibles de mener nos pays à l’indépendance et à l’unité.
Ces livres, à beaucoup d’égards, nous fournissaient les munitions qui nous permettaient de détruire le système colonial. Ils étaient les «armes miraculeuses», pour parler comme Césaire, dont ma génération avait besoin pour vaincre nos oppresseurs.»
Il n’était mu que par le savoir. Il aimait rappeler que c’est grâce à la science que l’Occident a dominé l’Afrique. Cette Afrique-là ne se contentait que d’imiter comme un singe et de répéter comme un perroquet. Or il s’agit de créer, d’inventer pour se frayer un destin. Pour Amady Aly Dieng, un intellectuel doit être singulier.
Il doit aimer la solitude et l’individualité. Ce que, contrairement, notre société n’aime pas. «...en Afrique, rappelle-t-il, la société est franchement anti-intellectuelle, car elle est hostile à l’expression de l’individualité. Les Africains sont soumis aux pesanteurs sociales comme les multiples cérémonies familiales, coutumières ou religieuses.» (p. 42)
Le doyen Aly Dieng nous apprend à aimer la lecture, à tout lire, tout ce qui nous passe par la main. Devant la Faculté des lettres, alors que je l’avais interpellé pour lui demander conseil en tant que jeune étudiant, il me répondait ainsi : «Monsieur, il faut beaucoup lire, il faut tout lire.» Je ne regrette point d’avoir recueilli ce conseil. Tout ce que je regrette, c’est de ne pas encore assez lu pour pouvoir mettre en pratique ce précieux conseil.
Lisez les Mémoires d’un étudiant africain, Volumes 1 et 2 de Amady Aly Dieng, ce sont une mine d’informations précieuses pour ceux qui veulent en savoir plus sur le parcours de l’homme et sur certains faits historiques qui se sont passés au Sénégal et à l’étranger. Il y fournit des informations avec une précision plus que mathématique grâce à son carnet de notes et à ses archives précieusement gardés.
En 2007, il a fait don de 1 500 livres de sa bibliothèque personnelle à la bibliothèque universitaire de Dakar. C’est beaucoup comme don et c’est symbolique comme geste vis-à-vis de la postérité. A ce propos, il disait : «J’ai choisi de faire don de ma bibliothèque personnelle aux jeunes générations parce que je veux contribuer à ma manière, à l’ancrage ici d’une tradition universitaire qui veut que les professeurs dans tous les pays développés lèguent leurs ouvrages à leur mort à des bibliothèques ou à des institutions de recherches.» (p. 41)
Amady Aly Dieng ne pavanait pas dans les couloirs des universités quoiqu’il ait installé son quartier général sur le campus universitaire de l’Ucad de Dakar, sa seconde demeure. Il ne lisait pas en diagonale. Il lisait avec rigueur et entrait dans les textes avec profondeur.
Pour lui, «La lecture littérale des textes écrits qui est très pratiquée dans les sociétés africaines est stérile. Elle est prisonnière des textes, trop fidèle à la lettre des textes. Cette excessive fidélité au texte est une source d’infécondité» (p.43). C’est la raison pour laquelle, il saisissait beaucoup de détails que de grands intellectuels n’ont pas su voir. Car il allait au-delà de ce que les écrivains disent.
Il parvenait à saisir la face cachée de leurs œuvres et les arcanes de leurs pensées. Il lisait beaucoup, mais pas n’importe quoi et n’importe qui. Il était rigoureux dans le choix de ses lectures. C’était un critique littéraire redoutable en face de qui ne se promenait pas n’importe qui. Il faut être solide scientifiquement pour débattre avec ce natif de Tivaouane.
Dans ses Mémoires d’un étudiant africain, il rappelle : «Je suis né le 22 février 1932 à Tivaouane, la septième gare du chemin de fer Dakar-Saint Louis (Dsl) construite en 1885.» (Volume 1, De l’école régionale de Diourbel à l’université de Paris, p. 3)
Il était un grand Africain. Un homme qui a rencontré presque toutes les grandes figures africaines du XXème siècle : Patrice Lumumba, Kwamé Nkrumah, Joseph Ki-Zerbo, Cheikh Anta Diop, Abdoulaye Ly, Alpha Condé pour n’en citer que celles-là.
Il a dirigé l’Aged créée en 1950 et devenue Ugeao en 1956. Etudiant en France, il dirigea durant deux mandats successifs la Feanf1. Ce qui lui a permis de voyager un peu partout dans le monde pour représenter cette structure des étudiants africains en France.
En 1958, lors de la visite du général De Gaule à la place Protet, devenue place de l’indépendance, Aly Dieng était présent alors qu’il n’avait que 26 ans à côté d’autres figures comme le marabout Cheikh Mbacké Gaïdé Fatma. Les dirigeants de la Feanf lui avaient demandé de participer activement à la campagne du référendum pour faire triompher le Non. Cette campagne pour la revendication de l’indépendance des pays africains sous domination française lui avait valu d’être exclu de l’Enfom2.
Amady Aly Dieng ne s’est pas contenté de parler. Il a écrit pour luimême et pour la postérité. Ses écrits vont dans tous les sens à l’image de sa vaste culture. De l’histoire à la philosophie, de l’économie à la sociologie, Amady Aly Dieng n’avait pas de frontières dans le continent du savoir. Il pouvait naviguer aussi comme bon lui semble dans les eaux troubles de la connaissance.
Il n’a jamais cherché à côtoyer aucun pouvoir, depuis l’indépendance du Sénégal jusqu’à sa mort. Au contraire, les tenants du pouvoir avaient peur de lui. Il était un intellectuel dissident. Un véritable dissident au sens plein du mot. Il dérangeait énormément certains hommes politiques et certains intellectuels en quête de reconnaissance. Il a su rester libre : libre de ses idées, libre de ses convictions et libre de ses positions. Il est resté égal à lui-même.
Avant de mourir, le doyen Amady Aly Dieng se désolait de la situation de désintéressement de notre Peuple vis-à-vis du savoir, du livre et de la lecture au détriment des activités festives : «Les livres sont aujourd’hui lacérés, déchirés, passés à la lame de rasoir ou volés. Les criminels culturels se multiplient sans qu’on puisse les aligner devant des poteaux d’exécution.» (p.43)
Il termine son discours en rappelant «qu’en Côte d’Ivoire, les fonctionnaires et employés ne bénéficient pas d’avance Tabaski mais d’avance scolarité. C’est une chose qui doit nous faire réfléchir. Car au Sénégal on privilégie les activités festives. On privilégie le tube digestif au détriment des activités de l’esprit» (p.43).
Personnellement, je crois être l’un des derniers à être lu et commenté par le doyen Amady Aly Dieng. Sa note de lecture consacrée à mon livre Du destin d’un peuple –Réflexions sur le Sénégal et l’Afrique, au mois de juillet dernier et publié par Sud quotidien, fut une grande satisfaction intellectuelle et morale pour moi.
Je ne me limiterai pas à m’en glorifier, je travaillerai davantage pour produire encore quelque chose de sérieux.
Tout en priant pour le repos de son âme, je présente à sa famille biologique mes condoléances. Je pense fortement à sa famille intellectuelle, notamment au juge Ousmane Camara, son voisin de chambre dont il a préfacé les Mémoires, aux doyens Seydi Madany Sy, Amadou Makhtar Mbow et Cheikh Hamidou Kane, à Maguette Thiam, aux professeur Samir Amin et Boubacar Ly, à Alpha Amadou Sy, etc. Qu’Allah garde encore ces derniers durant de longues années parmi nous ! Amin !!!