POUR QUE L’HONNEUR SOIT SAUF AVANT QUE LE DROIT NE SOIT DIT
TRIBUNAL DES PAIRS
“Plutôt la mort que la fuite, car notre sens de l’honneur est égal”
(Code d’honneur traditionnel)
L’installation d’un tribunal des pairs est à saluer comme un pas en avant dans la construction d’une confiance entre la profession d’information, globalement envisagée comme un service public, et le grand public. La volonté de réduire le malentendu entre le professionnel de la communication et le public auquel le produit de son travail est destiné doit être portée par tout journaliste.
Sans doute, le champ de la communication de masse au Sénégal peut donner l’impression à première vue d’un espace non réglementé surtout si l’on parle de “dépénalisation des délits de presse” et qu’une certaine opinion veut donner des journalistes l’image d’électrons libres, affranchis de la loi. Fondées ou pas, les diatribes contre ceux qui traitent l’information et la diffusent ne manquent cependant pas.
Mais il faut sans doute rappeler qu’ici au Sénégal, des journalistes ont été attraits devant les tribunaux sur des matières relevant de la gestion des deniers publics et de la corruption, impliquant de hauts fonctionnaires ou des pontes du secteur privé. En respect de leur Charte déontologique, ils ont protégé leurs sources jusqu’au bout. En cela ils ont été des acteurs majeurs de la gouvernance qu’elle soit démocratique ou économique.
C’est ainsi qu’il faut comprendre l’attitude du professionnel des médias qui, tout en reconnaissant le droit en vigueur dans chaque pays, ”n’accepte, en matière d’honneur professionnel, que la juridiction de ses pairs” (Déclaration de Munich 1971).
Compris ainsi dans un élan positif, le Tribunal des Pairs est une pierre de plus dans la protection de la vérité et de ses serviteurs. Il est au service de la défense de la liberté d’expression et de critique, il plaide pour l’élargissement des libertés.
Des journalistes jeunes et inexpérimentés se sont “fait les griffes” sur d’innocentes personnes, victimes hébétées du pouvoir d’amplification des médias de masse, avant de battre leur coulpe et prendre la mesure de l’arme de destruction massive dont ils ne se savaient pas dépositaires. Pour ceux-là il suffira de plaider la bonne foi parce qu’ils auront appris une fois pour toutes à rester humbles.
D’autres plumitifs dont les intentions inavouées transpirent à travers leurs textes, ne méritent pas la clémence du jury. Ils sont bons pour le Tribunal, et je ne parle pas de celui des Pairs ! Que le droit soit dit. Car un adage laisse comprendre que la rumeur accusatrice a un pouvoir de résonance que n’aura jamais la plus sincère des dénégations. L’inventaire des écarts de nos confrères fait l’objet d’ailleurs de manière quasi-quotidienne d’une analyse critique, celle de la déraison journalistique.
Bafouer avec légèreté les règles honorables qui fondent la légitimité sociale de la corporation des journalistes c’est faire preuve de courte vue, c’est aussi risquer les fourches caudines du Tribunal qui lui, se sert du glaive aveugle de la justice.
La capacité d’autorégulation demande une grande maîtrise de soi au sens martial du terme, elle passe par ce regard sur soi-même, douloureux parce que sélectionnant en les isolant les éléments de sa propre turpitude, l’autorégulation appelle une réforme permanente de soi.
Pourtant, en plaidant la bonne foi et la présomption d’innocence pour tous ceux-là qui ont appris à rester humble, j’aurais préféré que cette nouvelle institution fût appelée” Assemblée des Pairs”. Sans vouloir verser dans le jeu sémantique stérile, une sorte d’ironie semble poindre de la dénomination d’une instance qui doit marquer un tournant dans la liberté d’informer du journaliste et du public à connaître la vérité. Un tribunal, cela renvoie à des magistrats droits dans leurs bottes et chargés de dire le droit. La loi est dure mais c’est la loi!
Aller en prison pour faute à la déontologie et l’éthique est infamie. Mais il y a pire que l’infamie, c’est la disgrâce et l’opprobre que toute une profession jette sur une plume coupable. Entre le droit qui incarcère et la morale qui réprouve, les bons journalistes ont toujours choisi leur camp.
Leur éviter injustement les fers de la sanction est d’ailleurs un des enjeux du nouveau Code de la presse en projet.Mais il s’agit aussi de faire en sorte que l’honneur soit sauf avant que le droit ne soit dit. Une vraie course contre les monstres de la déraison.
Il ne s’agit pas de dédouaner les journalistes de leur lourde responsabilité chevillée au service public de l’information, je plaide pour leur responsabilisation. Ils n’en seront d’ailleurs que plus humains. Car “tout ce qui augmente la liberté augmente la responsabilité”, disait Victor Hugo.
Le Tribunal des pairs n’en est pas un, il ne doit d’ailleurs pas en être un, au risque de s’empêtrer dans le juridisme des oukases qui videront sa substance. Il est plutôt celui de la conscience qui se réveille sous l’alerte de confrères éminents qui s’érigent contre les mauvais usages du devoir d’informer.
Appelée ainsi, l’Assemblée des Pairs, constituée des “primus inter pares”, expurgée de toute connotation pénalisante renverrait alors à la notion d’honneur qui scelle ce pacte de la “parité”. Honneur, voilà un redoutable mot, bien plus qu’une peine de condamnation d’un tribunal de première instance.
Car en matière d’honneur l’instance de référence ce sont les pairs, les “nawle”, ceux pétris des mêmes valeurs de respect, de dignité, de fierté, de courage et de vertu, et qui sont engagés fut-ce jusqu’au sacrifice.
“Mère dis-moi l’orgueil de mes pères”, disait le poète dans Chants d’ombre. Les journalistes sont aujourd’hui fondés à mettre “pairs” à la place. On n’en attend pas moins d’eux. Car la règle de la clause de conscience les place tous dans une égalité radicale et formelle quels que soient par ailleurs les titres et fonctions occupés au sein des organes.
A ce titre ils sont eux-mêmes “pairs” de ceux placés à leur tête et chargés de les alerter des écarts si tant est que “la tête dans le guidon” les privât de toute perspective.
Par orgueil, aucun journaliste, pair en soi, ne devrait se permettre de prendre des libertés par rapport aux valeurs fondatrices de la dignité et de l’honneur. Les Pairs se situent sur le terrain de la morale et de l’honneur car le bannissement du groupe (ici la corporation des journalistes) constituait dans la société traditionnelle la suprême infamie, le déshonneur, la mort.
La mise à l’écart signait l’arrêt de mort sociale de l’homme d’honneur.”Plutôt la mort que la fuite, car notre sens de l’honneur est égal” dit la chanson populaire qui renvoie à ce Code, issu d’un héritage de référence commun. Que personne ne se dérobe à l’honneur de sa profession.
Il faut d’ailleurs reconnaître la difficulté à vouloir encadrer un secteur qui se conçoit de plus en plus exclusivement comme un projet entrepreneurial devant générer une plus-value mais obéissant à des règles éthiques et déontologiques hors du temps, parce que s’inscrivant dans l’éternité de rapports civilisés et dont l’inscription finale dans nos mœurs requiert le génie d’hommes et femmes à l’élégance morale racée. Là gît le challenge.
“Avec la liberté viennent les responsabilités”, disait Nelson Mandela, car étant par essence lourde à porter, “elle ajoute à l’esprit, les chaînes qu’elle enlève aux pieds”. L’heure est venue d’ériger une bâtisse qui résiste aux invasions barbares.
Mansour Diouf