POUR QUE LE SÉNÉGAL ÉMERGE
…il faut inéluctablement combattre les modes de vie rétrogrades, corrompus, extravertis et non productifs de certains Sénégalais ; de même, la propension des jeunes à la mollesse et à la facilité
Le Sénégal occupait une position centrale dans le dispositif colonial français. Capitale de l’ex-Aof, il avait, à ce titre, accueilli d’importants investissements qui en avaient fait un pôle économique d’importance dans la sous-région.
Mais depuis son accession à l’indépendance, coupé de son hinterland, ce petit pays, resté sans ressources naturelles assez significatives, vit la tourmente d’une quête permanente de politique qui puisse le projeter dans la voie de l’émergence économique.
Les régimes successifs, de Senghor à Wade, en passant par Abdou Diouf, avaient, à cet effet, mis en place de nombreuses stratégies sans avoir d’impact réel sur la situation économique du pays.
L’économie sénégalaise est aujourd’hui, et après plus d’un demi-siècle d’indépendance, toujours confrontée à des difficultés de tout genre que le nouveau régime de Macky Sall, au pouvoir depuis 2012, se propose de résorber à travers, d’abord le Yoonu yokkuté, puis le Plan Sénégal émergent (Pse).
Adopté récemment, ce plan définit les nouvelles stratégies qui, à terme, permettraient de faire du Sénégal un pays émergent. Et bien que critiqué par certains économistes et hommes politiques de l’opposition sénégalaise, le Pse suscite, toutefois, l’enthousiasme, car nombreux sont des Sénégalais qui restent convaincus qu’avec ce plan, c’est la voie du développement national, mille fois recherchée, qui vient d’être trouvée.
De notre point de vue, une telle appréciation qu’une frange importante de la population porte au Pse tient davantage à ses implications politiques qu’à la certitude scientifique d’être une voie de solutions pertinentes à la problématique du développement national.
Simplement, parce qu’on a encore ignoré le fait évident que la réussite d’une politique, quelle que soit sa nature (économique, sociale, etc.) dépend irréfutablement moins de la beauté du document liminaire, encore moins de la disponibilité des moyens financiers de son opérationnalisation que de la prise en compte effective des réalités sociales et sociologiques, des contraintes et des atouts du pays, de même que le contexte mondial.
Or, le Sénégal est aujourd’hui confronté à des problèmes très urgents d’ordre essentiellement humain qu’il faut préalablement résoudre avant tout investissement économique. Qu’est-ce qu’il faut concrètement pour que le Sénégal émerge ?
Pour que le Sénégal émerge, il faut inéluctablement combattre les modes de vie rétrogrades, corrompus, extravertis et non productifs de certains Sénégalais ; de même, la propension des jeunes à la mollesse et à la facilité. Pour que le Sénégal émerge, il faut que les Sénégalais changent véritablement de mentalités.
Les mentalités sénégalaises constituent un obstacle de taille au développement national et représentent une menace sérieuse à la stabilité sociale. Le développement est une question de mentalités et de comportements. Il résulte des prédispositions mentales et intellectuelles d’une population qui, selon l’économiste François Perroux, la rend apte à créer de manière cumulative et durable des richesses destinées non à être gaspillées, mais à servir de moyens d’améliorer les conditions d’existence des individus.
Et quand René Dumont écrivait, en 1960, (dans son ouvrage, L’Afrique noire est mal partie que «les hommes seuls sont responsables du retard économique du continent noir», il faisait allusion «aux mentalités et aux conduites sociales des Africains», identifiées comme les principaux obstacles au décollage économique de l’Afrique.
Il est rejoint dans son analyse par la Française d’origine camerounaise, Axelle Kabou, qui, elle aussi, dans son livre Et si l’Afrique refusait le développement ? (1991), identifie «les mentalités et les comportements socioculturels» des Africains comme les principaux facteurs de blocage de leur continent.
Donc, comme dans la plupart des pays africains, au Sénégal, le changement des mentalités est le plus grand besoin aujourd’hui : la condition sine qua non à la réussite de toute politique de développement.
C’est pourquoi nous pensons que le Pse aurait été d’une grande pertinence si, à l’image des «Campagnes d’éducation populaire» de Mao, il s’était fixé pour objectif de changer les mentalités et les comportements, en vue de créer un autre type de Sénégalais enraciné dans ses valeurs et ouvert aux autres ; un Sénégalais sérieux, discipliné, ambitieux et orienté vers le travail et la production.
Le Sénégal est un pays où de nombreuses gens n’ont de considération que pour l’argent et pour des personnes nanties. La société sénégalaise actuelle est ultra- matérialiste, basée sur le culte de l’argent facile et du bien matériel. Pour nombre de Sénégalais, seul le pouvoir de l’argent compte, rien sans argent, tout par l’argent et pour l’argent.
Mais faudrait-il que les Sénégalais comprennent qu’en vérité, seul le travail paie et que l’argent qu’ils mettent au dessus de tout n’est pas une fin en soi. Ils doivent comprendre qu’il existe des choses beaucoup plus valeureuses que l’argent. Le savoir et le savoir-faire, par exemple, ont plus d’importance pour un Peuple que l’avoir et le pouvoir.
Parce qu’ils peuvent procurer l’un et l’autre, et bien des choses encore. Les Sénégalais doivent comprendre qu’aujourd’hui, la capacité d’être des individus, la capacité de réfléchir, d’imaginer, de concevoir, d’inventer sont beaucoup plus importantes que l’argent. Pour preuve, combien de milliards ont été injectés dans l’économie sénégalaise depuis Senghor ? Pourquoi le pays n’est pas émergent ?
La raison est que cette manne financière qui aurait dû servir à donner à nos enfants une éducation-formation de qualité et à réaliser des infrastructures de production n’a malheureusement servi qu’à être gaspillée dans des dépenses d’apparat et dans des activités folkloriques improductives.
Cela doit nous amener à comprendre que l’argent à lui seul ne sert absolument à rien, car il faut savoir le mettre en valeur. Pour ce faire, il faut des hommes instruits et bien formés, capables de gérer rationnellement des fonds.
Wade a raison d’écrire dans son livre Un destin pour l’Afrique, (2005) que «la disponibilité de notre jeunesse a plus de valeur que les milliards de l’étranger». Une jeunesse disponible est une jeunesse éduquée, instruite et bien formée. C’est une jeunesse consciente de son rôle de porte-étendard dans le combat national pour le changement social, la stabilité politique et le progrès économique.
Une jeunesse disponible, c’est en définitive une jeunesse engagée, utile à elle-même, à sa société et, par ricochet, à l’humanité entière. Or, la jeunesse sénégalaise actuelle, à notre humble avis, ne semble pas présenter le profil d’une jeunesse sur laquelle l’on peut sincèrement compter pour se poser sur la rampe de l’émergence.
Pour que le Sénégal émerge, il faut trouver des solutions idoines et durables à la léthargie du système éducatif qui impacte très négativement la société, l’économie et le fonctionnement de l’Etat.
Pour nous, le Sénégal n’a qu’un problème majeur : l’inadéquation, puis la décrépitude de son système éducatif. Il est vraiment utopique de penser qu’il est possible de gagner le pari du progrès économique et social avec un modèle éducatif qui transcende les réalités et méprise les préoccupations de la société pour laquelle il est censé être conçu.
Ce qu’il faut à notre avis, c’est une autre éducation nationale, une éducation qui concilie les éléments fondamentaux des différents modèles d’éducation coutumière, l’enseignement religieux et l’instruction scolaire de type occidental. Dans un tel système, l’école cessera de fonctionner en vase-clos pour devenir un lieu à la fois d’enseignement théorique général, de formation professionnelle pratique et de production.
Nous sommes convaincus d’une chose, ce pays a toutes les ressources matérielles et immatérielles nécessaires à son développement et à son affirmation dans le monde. Il suffit juste de trouver des hommes politiques sérieux, capables de les identifier et, avec une équipe compétente, de définir les stratégies de leur mise en valeur effective.
Pour que le Sénégal émerge, il est impératif de trouver des solutions à la situation actuelle de trop- plein démographique. Il n’est pas du tout possible d’améliorer la situation économique et sociale du pays dans ces conditions d’explosion démographique. Les derniers recensements (2013) ont révélé que la population sénégalaise augmente à un taux (vertigineux) de 2,7% par an, alors que le rythme de la production nationale ne suit pas.
Cette distorsion pose un sérieux problème socio-économique. Stein Hasen a dit vrai dans son article La population : un défi pour les spécialistes des sciences sociales et économiques (In Problèmes économiques, 5-12 mars 1997) qu’«une population jeune et à taux élevé de fécondité fournira une main-d’œuvre dynamique qui constituera un facteur de production novateur générateur de croissance économique».
Mais il précise qu’à condition qu’«on lui assure un niveau satisfaisant d’instruction et de santé». Par contre, poursuit-il, «une croissance rapide de la population active risque de peser lourdement sur l’économie si l’augmentation de ses effectifs dépasse la demande de main- d’œuvre, si elle ne reçoit pas une bonne formation, si elle manque de pratique et d’expérience, et si son niveau sanitaire laisse tellement à désirer que son rendement en souffrira».
La situation sénégalaise étant identifiable à ce dernier cas, des solutions doivent être trouvées. Il y va de la stabilité même du pays, car la «bombe démographique» est une source avérée de difficultés dans tous les domaines.
C’est une menace à la paix sociale, parce qu’une jeunesse nombreuse et «diplômée», mais inemployée est une véritable bombe à retardement dont l’explosion est inéluctable. Depuis l’antiquité, les hommes ont conscience des dangers du nombre.
Au 4ème siècle av. J-C, Aristote (384-322 av. J-C) (Politique VII, 4) disait «qu’il est difficile et peut- être impossible pour un Etat dont la population est trop nombreuse d’être régi par de bonnes lois». Ce constat est toujours d’actualité. Le commandant Jacques-Yves Cousteau (1910-1997), dans une interview à Paris Match, s’écriait : «La population est le danger le plus grave» (Le Point, n°1030 du 13 juin 1992).
Toutefois, une baisse de la fécondité pourrait favoriser la croissance et le mieux-être des populations. Le cas des pays d’Asie de l’Est peut parfaitement servir d’illustration à cette assertion. En effet, dans les années 60, ces pays (Corée du Sud, Singapour, Taïwan, Malaisie, Thaïlande, etc.) avaient des indicateurs démographiques voisins de ceux du Sénégal actuel.
La baisse de la fécondité a permis à ceux-là de réaliser un décollage économique fulgurant comparé par certains observateurs à un miracle. Donc, si le Sénégal veut émerger, il est impératif qu’il maîtrise sa démographie.
Pour que le Sénégal émerge, il faut «arracher» le pouvoir des griffes de cette race de «politiciens» qui n’a autre ambition pour le pays que la réalisation de ses seuls desseins. Les «hommes politiques» sont les principaux obstacles à l’émergence du pays pour la raison qu’ils n’existent que pour le pouvoir et les avantages qu’il offre et rien d’autre.
Le Sénégal a besoin de nouveaux types d’hommes politiques, responsables, forts et éclairés ; des hommes de vision, de vrais patriotes, prêts à tout pour le pays. Le Sénégal a besoin d’un stratège, capable de fédérer toutes les forces vives de la Nation et d’amener tout le monde, gouvernants comme gouvernés, chacun dans son domaine d’activités, à travailler avec abnégation, afin d’apporter des éléments de réponses pertinentes aux préoccupations réelles des populations.
De ce qui précède, nous voyons nettement les défis majeurs qui attendent le Sénégal sur le chemin de l’émergence économique. Ce chemin, il faut le préciser, est très long et parsemé d’obstacles dont la surmontée nécessite beaucoup de sacrifices et d’abnégation. Pour s’en convaincre, il suffit de se référer aux conditions d’émergence des pays comme le Japon, la Chine ou la Corée du Sud.
Cela permettra de voir nettement à quel prix les Japonais, aujourd’hui riches et heureux, étaient parvenus à transformer leur enfer de pays en paradis terrestre. A la Chine, comment elle était passée de son statut de «pays maudit et indéveloppable» des années 1940 à sa position actuelle de deuxième puissance économique du monde.
Et à la Corée du Sud, moins avancée que le Sénégal, il y a 55 ans, les secrets de son «miracle» économique. La réponse à ces questions fera certainement comprendre aux «acteurs du Pse» que l’émergence ne se décrète pas, mais s’«arrache» au prix d’énormes sacrifices que le Peuple sénégalais actuel, à nos yeux, ne semble pas prêt à consentir. Il est vrai, «vouloir, c’est pouvoir», nous dit l’adage, mais émergent n’est pas le pays qui veut.
Emergent est le pays qui peut, qui en a le profil et, comme disait le Président Mao, qui «ose relever le défi quels que soient les difficultés et les obstacles que l’on puisse rencontrer». Donc, tout pays qui veut émerger pourra émerger, mais à condition qu’il se donne les moyens humains et matériels d’y parvenir.
L’émergence n’est pas une question uniquement de plan, encore moins de milliards, c’est une affaire d’hommes et de femmes, bien éduqués, qualifiés et disciplinés, confiant en eux-mêmes, unis autour d’un idéal commun et, sous l’instigation d’un chef charismatique et inspiré, à prendre en main leur destin, en acceptant de livrer d’âpres combats, chaque fois que cela est nécessaire, dans le seul but de sortir de l’ornière et d’aller toujours de l’avant. Si le Peuple sénégalais actuel présente ce profil, alors le Sénégal atteindra l’émergence avant 2035.