POUR UN SECTEUR PRIVE NATIONAL FORT
Il y a quelques jours de cela, l’Association sénégalaise des pétroliers (Asp) s’en est vivement pris à Orange Money et à la société Total d’avoir conclu un partenariat qui menace, selon elle, l’Economie nationale en général et le secteur pétrolier en particulier.
Il est reproché à l’opérateur de téléphonie de faire bénéficier aux usagers des stations services Total d’un bonus de recharge automatique de 10% de la valeur des achats effectués, faisant ainsi accroître ses ventes de 16% là où ses concurrents peinent à atteindre les 9%. Il s’agit là d’un avantage concurrentiel déloyal, dénonce-t-elle.
Il est également fait cas du marché octroyé à Total par Eiffage–Senac notamment du site d’implantation d’une station-service sur l’autoroute à péage, à la suite d’un appel d’offres ne concernant que les sociétés étrangères.
Pour les deux cas cités, l’Asp estime que c’est une violation du principe de la libre-concurrence et un manque de reconnaissance de l’expertise nationale dans ce secteur d’activités.
Cette attitude de pétroliers sénégalais pose de légitimes interrogations sur les capacités entrepreneuriales du secteur privé national à jouer le rôle qui est le sien et à occuper la place qui lui revient dans le tissu économique national.
Elle questionne également sur les qualités managériales de nos hommes d’affaires dans un monde concurrentiel où l’expertise et l’initiative constituent des atouts de premier ordre, où la préférence nationale ne saurait justifier le maintien ou la convoitise de situations de monopole et où l’octroi de parts de marché obéit à des règles supposées être les mêmes pour tous les souscripteurs.
Dans l’univers des affaires, ce qui fait la différence entre les concurrents, c’est la qualité de l’offre. Par conséquent, les bonnes affaires ne s’accommodent ni du copinage ni de la médiocrité comme l’on a tendance à le constater sous nos tropiques ; elles se pratiquent dans la rigueur et l’excellence.
En effet, dans un monde globalisé, les meilleurs ont tendance à contracter et c’est certainement cette loi non écrite qui a été à l’origine du partenariat Orange Money-Total.
Pourquoi l’Asp n’a pas saisi la Sonatel pour lui faire des propositions, en vue de faire bénéficier à ses membres des mêmes avantages que Total ?
A cet égard, un responsable de la société de téléphonie s’étonne de la réaction de ces acteurs du secteur pétrolier avec qui, révèle-t-il, «des discussions sont en cours pour définir un partenariat sur le paiement marchand via le mobile Orange au même titre que Total». Où est alors de problème ?
Il est au niveau des protestataires, d’autant que d’autres entreprises comme la Senelec, la Sde, Excaf, Eticca... ont noué un partenariat avec Orange Money pour le paiement marchand ou le règlement de factures.
Pour ces sociétés souscriptrices, les clients bénéficient d’un bonus crédit dont j’ai eu à jouir personnellement pour avoir choisi ce mode de paiement de mes factures d’eau et d’électricité. Et je crois que je ne suis pas seul dans ce cas.
Sur cette question, il faut admettre que Total a fait preuve d’initiative en décelant les opportunités qu’elle pourrait tirer d’un partenariat avec l’opérateur de téléphonie.
N’en déplaise aux tenants de l’immobilisme, en affaires il faut être réactif. Il ne sert à rien en effet de se plaindre, lorsque de par sa propre imprévoyance l’on rate une occasion que d’autres ont su saisir. Il ne sert a rien de courir, il faut partir à temps, nous enseigne la fable de Lafontaine du Lièvre et de la tortue.
La stigmatisation des sociétés étrangères, comme stratégie de défense d’intérêts corporatistes, ne saurait participer à l’atteinte d’objectifs de développement.
L’essentiel ici pour l’Etat est d’améliorer l’environnement des affaires et d’asseoir un Etat de droit pour que n’importe quel investisseur puisse participer en toute sécurité au développement économique et social de notre pays.
Aucun Etat n’a intérêt à se priver de l’apport substantiel de recettes fiscales des sociétés implantées sur son sol, qu’elles soient nationales ou étrangères. Or, le constat est que les plus dynamiques apportent plus de rentrées dans ses caisses que celles qui ont tendance à brandir la fibre nationaliste et dont le chiffre d’affaires avoisine le zéro, du fait d’une absence ou d’une insuffisance de capacités entrepreneuriales. Total, qui est vouée aux gémonies,
a quand même soixante ans d’existence au Sénégal et apporte 75 milliards de francs à l’Etat en termes de recettes fiscales. Elle détient 36% des parts sur le marché des stations d’essence et 23% sur celui global du secteur pétrolier, sans compter qu’elle utilise une main d’œuvre à majorité sénégalaise. Par conséquent, c’est une société avec laquelle il faudra compter.
Doit-on tuer cette poule aux œufs d’or pour satisfaire des revendications discutables ? Je crois que non. Même si, selon l’Asp, aucun de ses membres n’a souscrit un partenariat avec Orange Money, malgré qu’ils aient été contactés, la sagesse et le sens des affaires leur recommandent de changer de méthode et de répondre positivement à l’invite qui leur est faite ; au risque de continuer d’accuser du retard qu’ils mettront du temps à combler et de plomber davantage leur chiffre d’affaires pour n’avoir pas intégrer certaines applications des Ntic dans leur stratégie managériale .
Par ailleurs, il est à souligner que la station-service n’est plus un endroit où l’on achète uniquement du carburant comme au bon vieux temps. La réflexion intègre actuellement l’aménagement de cet espace en fonction des aspirations d’une classe moyenne en émergence, pour en faire un espace de vie où ses membres pourront à la fois procéder à l’entretien de leur véhicule et faire des courses.
La société du secteur pétrolier, Total, qui a eu cette vision prospective, a bénéficié d’une offre d’implantation dans une zone spécifique afin de servir de modèle à cette nouvelle conception de ce secteur marchand. Les autres n’ont qu’à faire preuve de créativité pour gagner leur part de ce marché.
En définitive, le secteur privé national est impliqué dans les projets d’un Sénégal émergent. Mais il est évident que rien ne lui sera donné sur un plateau d’argent. C’est aux hommes d’affaires sénégalais de tirer leur épingle du jeu, en étant autant que faire se peut parmi les meilleurs dans leurs secteurs d’activités.