POURQUOI LA CIMENTERIE DANGOTE TARDE A DEMARRER
HERITAGE, DEMELES JUDICIAIRES ET FRONDES TOUS AZIMUTS
Entre règlements de comptes à connotation familiale, cascade de dossiers judiciaires, montée d’adrénaline des travailleurs locaux qui dénoncent leur «mise à l’écart systématique» et levée de boucliers de larges franges du corps social (lire encadré), tout porte à croire que le chemin du Nigérian Dangote, qui promet monts et merveilles aux Sénégalais, est encore parsemé d’embûches. Un tour à Pout, où est implantée sa cimenterie du même nom, permet d’en avoir le coeur net.
Le milliardaire nigérian Aliko Dangote aurait-il signé un pacte avec les ennuis ? On peut le penser. Et, pour cause. Après les épiques et mémorables démêlés judiciaires avec les héritiers de feu Serigne Saliou Mbacké, le voici empêtré dans une brouille avec ceux du défunt Kader Mbacké qui continuent de réclamer l’héritage du premier Directeur général de Dangote Industries Sénégal qui a été, à sa mort, remplacé par son frère Aramine Mbacké. Curieusement, ce dernier fait l’objet, lui aussi, d’une plainte pour abus de confiance présumé.
Attaqué de toutes parts, Dangote est aussi trainé devant le tribunal par Omar Top, un intermédiaire oublié dans l’affaire du conflit foncier avec la famille du défunt Khalife général des Mourides, qui réclame, urbi et orbi, sa commission de 600 millions dans cette alléchante transaction.
Ingrédients d’une grève !
A quelques encablures du démarrage de la cimenterie de Pout, dont il se susurre qu’il est imminent, les travailleurs sénégalais sont en ordre de bataille «contre Dangote et son déroutant style de management». Après avoir construit son usine avec des milliers de Chinois sous la conduite de la société Sinoma et des centaines d’Indiens de l’entreprise Cethar Vessels pour sa centrale à charbon, Dangote fait appel à présent, pour faire fonctionner sa cimenterie, à la main d’oeuvre… égyptienne. De sources dignes de foi, il nous revient qu’un contrat d’une durée de 5 ans vient d’être paraphé entre Dangote et la société égyptienne Rih pour la mise à disposition de 250 Egyptiens à l’effet de faire fonctionner l’usine.
En effet, il est question de remplacer les Chinois de Sinoma qui, après l’avoir construit l’usine et procédé au transfert de technologie, refusent, suite à de multiples contentieux avec Dangote, de la mettre en service. Ce qui a fini d’installer un profond malaise chez la plupart des temporaires sénégalais à qui on avait promis, depuis belle lurette, des emplois fixes. Au lieu de cela, les quelques Sénégalais visibles sur place se voient «coller» des Egyptiens dont tout laisse deviner quelle sera leur part dans ce marché de l’emploi. Un sentiment de dépit qui habite beaucoup de jeunes du patelin qui pensaient, naïvement, être embauchés dans «leur» usine. Dans le même registre, de jeunes cadres sénégalais, qui avaient passé avec succès un entretien d’embauche, restent sans réponse. Pis, certains d’entre eux, emballés par les offres mirobolantes de Dangote, ont commis l’imprudence de déposer des préavis auprès de leurs (anciens ?) employeurs.
Mépris des Sénégalais ?
Un climat pour le moins délétère qui fait grincer, naturellement, les dents au personnel sénégalais qui, soutient un syndicaliste de la Cnts/Fc, ne comprend toujours pas les raisons de la «mise à l’écart systématique du personnel local qui frise le mépris de la compétence sénégalaise tant vantée à travers le monde». Les travailleurs sénégalais présents sur le site «refusent cet esclavage des temps modernes et entendent faire exploser leur colère, en descendant dans la rue avant la sortie du premier sac de ciment en s’organisant en syndicat». Nos interlocuteurs fustigent, dans le même sillage, «l’appel à la main d’oeuvre étrangère à l’heure où le Sénégal regorge de jeunes diplômés et de techniciens expérimentés dans un secteur employant déjà de nombreux ingénieurs et cadres de maîtrise de nationalité sénégalaise».
Mieux, les travailleurs que nous avons rencontrés dénoncent aussi «les conditions de travail inhumaines, les disparités énormes dans les salaires entre travailleurs sénégalais et étrangers et le recours systématique à la sous-traitance». En somme, très peu d’employés sont en contrat direct avec la société Dangote qui préfère louer les services de prestataires qui mettent à sa disposition la main d’oeuvre. Histoire, selon nos interlocuteurs, «de permettre à Dangote de réaliser un excellent turn-over au niveau de la masse salariale». Le magnat nigérian -régulièrement en butte à des conflits sociaux un peu partout à travers le monde, qu’il finit toujours par régler – semble coutumier des faits.
SOCIETE CIVILE ET POPULATIONS EN CROISADE CONTRE LES NUISANCES
Un malheur ne venant jamais seul, le milliardaire Dangote pourrait se retrouver, dans les prochains jours, au temple de Thémis pour faire face à des populations vivant aux alentours de la cimenterie et regroupées principalement dans l’Association des ruraux et agriculteurs de Notto (Aran). Celles-ci, a-t-on appris hier sur place, s’inquiètent «des technologies utilisées par l’usine et qui constituent de sérieuses menaces sur les maigres réserves d’eaux souterraines de toute la zone». D’ailleurs, les réseaux sociaux et les mouvements citoyens, notamment Y’en a marre, s’invitent à la croisade avec des pétitions et des blogs revendicatifs pour interpeller publiquement le magnat nigérian sur les questions environnementales et sociétales. Il s’agit, pour les villages environnants et des organisations de la Société civile, qui entendent s’engager dans le combat contre «la construction de forages aux conséquences désastreuses» au sein de la cimenterie Dangote, d’amener les pouvoirs publics et les autorités locales «à revenir sur le permis donné à l’investisseur de recourir à la nappe phréatique qui commence à tarir, pour refroidir les chaudières de sa centrale électrique de 30 mégawatts». Quid des abreuvoirs, du cheptel, de l’aviculture, du maraîchage, de l’arboriculture et de l’agriculture dans la zone des Niayes dont la survie serait menacée ? Chef du village de Seun wolof, El Hadji Ibrahima Seck est d’avis que «c’est le moment où jamais de se battre pour les générations futures en déconsidérant les billets pour la Mecque et les autres cadeaux que les promoteurs distribuent dans la localité».
Parlant de la qualité de l’air, le chef du village de Seun sérère, Abdoulaye Ciss, révèle que «Dangote n’a pas installé de filtres comme promis durant la construction de l’usine, car il y a beaucoup de poussière ici et on craint de contracter des maladies». Gnagna Sy de l’Ong «Citoyen vigilant » ne dit pas autre chose : «Dangote a choisi la solution la moins chère qui consiste à puiser purement et simplement l’eau de la nappe. Or, il est bien possible de recourir à l’eau de mer située à quelques kilomètres». Pour amoindrir «les conséquences sur la santé des populations qui commencent à se faire sentir», les populations ont remis le dossier technique à toutes les autorités du pays et saisi le Juge des référés de Thiès. L’affaire ayant été plaidée récemment par Me Assane Dioma Ndiaye, le délibéré est attendu dans les prochains jours. Mais, aux dernières nouvelles, les quatre (4) chefs de village qui avaient introduit une requête auprès des autorités (étatiques et judiciaires) sur les innombrables nuisances de l’usine auraient «tous été retournés ». Suivez notre regard...