POURQUOI PAS UN PROLONGEMENT HISTORIQUE DU ''TATA'' DE L’ALMAMY
L’INSTITUT ISLAMIQUE MABA DIAKHOU BÂ DE NIORO

La construction d’un institut islamique Maba Diakhou Bâ sur le site du «tata» construit par l’almamy du Rip au 19ème siècle est une opportunité pour faire revivre, entre autres vestiges du terroir, un pan de l’histoire de la Sénégambie.
En fait, ce «tata» (enceinte fortifiée), qui fait partie des sites nationaux classés, est un patrimoine en péril. Il est pratiquement tombé en ruine. N’y subsistent que quelques reliques murales au milieu de dépôts en tout genre et d’herbes sauvages, dans l’indifférence quasitotale.
C’est dans ce contexte que la communauté musulmane de Nioro s’est engagée à construire un Institut islamique Maba Diakhou Bâ sur l’espace occupé par cette construction laissée par l’Almamy du Rip (1809-1867). La pose de la première pierre de cet édifice, futur «daara moderne», d’un coût provisoirement estimé à 250 millions de francs Cfa, a eu lieu samedi 7 février à Nioro du Rip, en présence de responsables religieux, de dignitaires de la ville et d’autorités administratives et politiques.
La présence du khalife de Porokhane, Serigne Mountakha Mbacké, à qui est revenu l’honneur de poser la première brique de ce futur complexe islamique, est un clin d’œil à l’histoire. Les organisateurs de la cérémonie ont voulu rappeler et magnifier les rapports étroits qui existaient entre Maba Diakhou Bâ et Momar Anta Sally, installé à Porokhane, à 8 km de Nioro du Rip, dans le sillage du jihad de l’Almamy du Rip, qui avait entrepris l’islamisation de cette partie de la Sénégambie dans la deuxième moitié du 19ème siècle.
A cette œuvre, ont contribué le père du fondateur du mouridisme, Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké, et d’autres figures musulmanes issues d’illustres foyers religieux islamiques du Sénégal.
L’endroit choisi pour abriter le futur complexe éducatif est le «tata» de Maba Diakhou Bâ, construit selon des historiens, vers 1863 alors que la France coloniale progressait d’une manière irréversible dans son entreprise de conquête.
La tradition orale rapporte que, avant Maba Diakhou Bâ, le site du «tata» était occupé par des souverains Sérères/Mandingues, lignées de familles prestigieuses qui ont régné sur cette partie du Rip jusqu’à l’avènement de l’Almamy. Aussi, l’histoire du Rip, avant l’Almamy, est-elle également la riche épopée des SérèresMandingues.
Selon les traditionnistes et les historiens, le Rip, partie intégrante du Badibou, serait contemporain du royaume du Saloum et se révélerait aussi un bout de l’empire du Gabou.
Cette construction politique a existé du 13ème au 19ème siècle et était à cheval sur plusieurs pays de la sous-région ouest africaine dont le Sénégal, la Gambie et la GuinéeBissau. L’appellation wolof «Rip» s’explique par la nature marécageuse du sol. L’espace englobant le «tata», appelé «sangé» en wolof, fut, après les Sérères-Mandingues et les héritiers du mouvement maraboutique, utilisé par les colons.
Un silo, construit par l’administration coloniale, selon des anciens que j’ai consultés, ouvrage encore debout au milieu de l’enceinte fortifiée, rappelle cette époque française.
Au fil de ses occupants successifs (Sérères-Mandingues, familles maraboutiques, Etats colonial et postcolonial), s’est certainement sédimenté sur le site du «tata» un trésor archéologique dont la collecte et l’exploitation pourraient donner de riches enseignements sur l’histoire de la Sénégambie en général, et du Rip en particulier.
Pourquoi et comment préserver et restaurer le «tata» avec son allure d’antan ?
Au-delà de sa noble vocation à renforcer l’enseignement du Coran sur cette vieille terre d’islam qu’est le Rip, la mise sur pied d’un tel institut devrait être corrélée à la restauration du «tata». Car, si l’on n’y prend garde, les futures coulées de béton risqueraient de réduire à rien tant de matériaux archéologiques enfouis dans le sous-sol.
Dès lors, les initiateurs du projet d’institut islamique doivent veiller à construire le futur édifice en respectant l’architecture, les plans et les matériaux d’alors. A l’évidence, cela nécessite le recours à des spécialistes dont des historiens, des architectes, des géologues, des pédologues, etc.
La construction du futur bâtiment, avec une utilisation de matériaux dits modernes, défigurerait le site et le viderait de sa substance. Ce serait dommage pour cet édifice et l’histoire de la contrée. Pour cette raison, l’Etat sénégalais, à travers notamment la Direction du patrimoine culturel du ministère de la Culture, doit accompagner la mise en œuvre de ce projet.
L’idéal serait, non pas d’utiliser des matériaux dits modernes, notamment ciment et «dolérite» comme le présage le matériel déjà stocké près du site, mais plutôt de s’inspirer du passé pour préserver l’histoire et la dynamique initiales.
Une suggestion ! Pourquoi ne pas bâtir l’institut islamique en reconstruisant le «tata», avec des salles de classe formées des bâtiments en ruine refaits à l’identique ? Cela aurait l’avantage de ressusciter l’édifice en lambeaux et du coup, lui assigner une nouvelle fonction. Un tel procédé serait à même de lui garantir une existence pérenne comme c’est le cas du patrimoine matériel dans les pays européens.
Pour une cohabitation de l’institut et du Tata Par des «fouilles de sauvetage»
A la suite de ses divers occupants, disions-nous, s’est certainement enfoui sous le «tata» un trésor archéologique. Quand bien même serait-il pollué ou dégradé, il pourrait en subsister certainement quelques pièces archéologiques pouvant être exploitées par les spécialistes. Aussi, est-il impérieux de solliciter, avant toute nouvelle construction, l’intervention de la direction du patrimoine culturel et de l’Ifan Cheikh Anta Diop de Dakar. Ce serait une belle occasion de diligenter des fouilles de sauvetage, avec une équipe constituée par exemple d’étudiants en archéologie.
La découverte de matériaux historiques serait une bonne moisson pour l’histoire de cette contrée, en ces temps où il est question de réécrire l’histoire de la Sénégambie.
On comprend la difficulté de mener des entreprises pareilles au Sénégal. Il suffit simplement de penser aux demandes restées sans suitede chercheurs en vue de mener des fouilles sur le tracé de l’autoroute à péage, à Dakar, avant la construction de l’ouvrage, pour par exemple, mieux éclairer le massacre des «Tirailleurs sénégalais» en décembre 1944 à Thiaroye.
Il reste que le conseil municipal de Nioro du Rip, les organisations de jeunesse, le mouvement «navétane», le monde enseignant de cette ville, l’Ong Symbiose, qui a beaucoup contribué à la réflexion
ayant abouti à cette idée de «daara moderne», doivent contribuer à cette œuvre pour revivifier la culture d’une localité qui est presque un désert en matière de sites effectivement utilisés pour la redécouverte du passé.
Et pourquoi pas un musée ?
Cette question renvoie à la problématique du devenir des témoins du passé de Nioro.
En d’autres termes, quel futur pour le passé de Nioro ? Quel sort par exemple pour les deux canons qui ornent la devanture de l’ancienne mairie de Nioro, des armes présentées comme un butin de guerre des musulmans du Rip après la bataille de Pathé Badiane, en novembre 1865, contre les troupes françaises de Pinet Laprade ?
Par ailleurs, des reliques présentées comme celles de l’Almamy sont conservées par sa famille maternelle, les Diagne, à Keur Seth Diakhou Diagne, village à 7 km de Nioro.
Elles comprennent notamment un bonnet blanc que l’Almamy portait pendant les guerres, «un gris-gris» en pendentif et un manuscrit de l’Almamy, reprenant le Coran en entier, des vestiges que la famille Diagne, à juste titre, garde jalousement. Il en est également de biens appartenant à Mamour Ndary Bâ, petitfrère et successeur de Maba Diakhou Bâ, gardés traditionnellement par le patriarche de la famille
Bâ, suivant la règle de la primogéniture et les nombreuses correspondances, entre notamment l’administration coloniale et l’Almamy, durant cette période du 19ème siècle.
Que faire de cet ensemble ? Pourquoi ne pas construire un musée à Nioro, sur le site même du «tata», pour y conserver ces vestiges. Ce patrimoine matériel connu pourrait être associé à d’autres, détenus en secret par certaines familles du terroir, et à collecter, avec beaucoup de tact.
Ce serait aussi un moyen de faire cohabiter dans une belle fresque l’Almamy du Rip et ses illustres compagnons, de preux chevaliers dont Birane Cissé, Goumbo Guèye, Matar Kala Dramé, Ngagne Khary Niang, grand-père de Abdou Aziz Sy Dabakh, inhumé à la périphérie de la ville, dans une optique didactique, pour enseigner aux populations, les jeunes singulièrement, l’histoire de cette contrée.
Cette tâche de sauvegarde de la mémoire ne saurait être celle d’une famille mais de toutes les populations de Nioro, avec un concours de l’Etat du Sénégal. Le legs de Maba Diakhou Bâ, dont le 150ème anniversaire du décès coïncide avec le 18 juillet de l’année 2017, n’est pas la propriété d’une famille, mais appartient aux diverses communautés sénégambiennes, voire africaines.