PRÈS DE 2 000 SAGES-FEMMES SONT AU CHÔMAGE AU SÉNÉGAL
DÉFICIT DANS LES STRUCTURES SANITAIRES
Au Sénégal, les sages-femmes rencontrent d'énormes difficultés pour exercer leur métier. Elles sont confrontées à un déficit de ressources humaines et à des préjugés au moment où près de 2 000 d'entre elles sont au chômage.
La Journée mondiale de la Sage-femme célébrée hier a été l'occasion pour les matrones de passer au crible de la raison critique les goulots qui étranglent leur métier.
Au Sénégal, ce métier de "donneuse de vie" manque de ressources humaines, ou plutôt souffre d'un manque de personnel. Aussi, à en croire la présidente de l'association des sages-femmes du Sénégal Marième Fall, les sages-femmes au chômage sont plus nombreuses que celles en situation de pratique.
''Aujourd’hui, nous comptons 1 726 sages-femmes dans les structures de santé privées comme publiques. Et paradoxalement, près de 2 000 sages femmes sont au chômage'', déclare Mme Fall. Pour elle, au moment où le Sénégal a besoin de sages-femmes pour réduire la mortalité maternelle et celle des nouveaux nés, un bon nombre est au chômage forcé.
''Les quelques sages-femmes qui sont recrutées par les collectivités locales ou par certaines cliniques ne sont pas bien rémunérées. Elles n'ont même pas le salaire de base qu'une sage femme doit avoir. La situation de la sage femme reste complexe et préoccupante'', a-t-elle déploré.
Pour ensuite révéler que 51% des sages-femmes officient à Dakar. Les 49% qui officient dans les autres zones sont concentrées dans les villes. Ce qui fait que les zones rurales et celles défavorisées sont souvent dépourvues de sages-femmes.
Deux sages-femmes pour 1 000 naissances
La présidente Marième Fall, en rappelant les normes de l'organisation mondiale de la Santé (OMS), a indiqué qu'il faut une sage-femme pour 500 femmes en âge de reproduction afin d’assurer une couverture complète et une assistance de qualité.
A Dakar, ''le ratio est d'une sage femme pour près de 1 200 femmes. Dans les régions du centre et du Sud, le ratio est de une sage-femme pour 1 700 à 3 000 femmes. Un ratio loin des recommandations de l'OMS et du plan national de développement sanitaire (PNDS). Ainsi pour Marième Fall, ''on est très loin des normes de l'OMS et du ministère de la Santé dans le PNDS''.
D'où son appel pour le recrutement des sages-femmes en chômage. Le représentant du Fonds des Nations-Unies pour la Population au Sénégal ( l’Unfpa ), Faustin Yao, avait dit lors d'une rencontre, que le Sénégal n’a qu’un ratio de 2 sages-femmes pour 1 000 naissances, soit un déficit de plus de 50%.
Il est rare et exceptionnel, a dit la présidente de l'association des sages-femmes du Sénégal, de trouver plus de deux sages-femmes en salle d’accouchement. Quel que soit le volume d'activité en accouchement.
Un traitement salarial précaire
Par ailleurs, la présidente de l'association des sages-femmes a dénoncé la précarité par rapport au traitement salarial que vivent ''les donneuses de vie''. Avec au début un BFEM plus trois ans d'études, la situation des études a changé avec l’avènement de l'enseignement modulaire, système LMD, tous les pays ont harmonisé.
Maintenant, pour être sage-femme, il faut un bac plus trois. Cependant, le salaire de base reste à 150 000 francs avec peut-être certaines indemnités selon le poste occupé. ''Elles sont des femmes qui de nuit et jour sont dans les salles d’accouchement à côté des femmes et qui perçoivent ce salaire. Il pourrait être augmenté parce que dans les autres pays ils sont à plus de ça'', a-t-elle fulminé.
Cependant, elle a soutenu que malgré cette faible rémunération, les sages femmes qui exercent le métier par vocation, quel que soit le salaire qu'elles percevront, continueront à faire leur travail.
Les sages-femmes souvent victimes de préjugés
Pour Maïmouna Dia sage-femme enseignante, l’insuffisance de ressources humaines constitue la difficulté majeure des sages-femmes. ''Elles sont souvent seules. Or pour avoir des soins de qualité, il faut suffisamment de personnels qualifiés. Il y a aussi un déficit de matériels'', a-telle énuméré.
Sa collègue Marième Fall va plus loin. Selon elle, les difficultés sont inhérentes à la pratique du métier de sage-femme. Parce que c'est une profession assez stressante. Les complications sont imprévisibles.
Il y a aussi le fait que les sages-femmes sont souvent victimes de préjugés. ''C'est ce qui écorne un peu notre image. C'est à nous d'être très rassurantes pour gagner leur sympathie même si l'environnement de travail est assez délicat'', croit savoir Madame Fall qui s'empresse d'ajouter :
''Quand il y a urgence, il faut faire avec des médicaments d’appoint et parfois il y a une rupture de stock. Les femmes n'ont souvent pas de pouvoirs de décision. Se pose aussi l’absence d'un plan de redéploiement.''
Envoi de 2 000 sages-femmes au Qatar
Une équation à plusieurs inconnues
Le Sénégal a décidé d'envoyer 2 000 sages-femmes au Qatar suite à l'adoption par les parlementaires du projet de loi autorisant le président de la République à ratifier l’accord entre le Sénégal et ce pays arabe. La loi a été adoptée à l'unanimité le vendredi 21 mars 2014 par l’Assemblée nationale.
Paradoxalement, pendant ce temps, les hôpitaux souffrent d'un manque de sages-femmes. Pire, 2000 sont actuellement au chômage.
Cette décision est décriée par ces agents de santé qui ne comptent pas rester les bras croisés. ''Nous allons faire un plaidoyer très fort afin que les sages-femmes restent au Sénégal pour exercer leur profession'', a dit Marième Fall la présidente de l'association des sages-femmes du Sénégal.
Il n'y a pas que les sages-femmes qui sont contre la mesure. Le jour de l'adoption de la loi, Mamadou Diop Decroix n'avait pas manqué d'exprimer des craintes quant à la manière de faire des Qataris accusés souvent de violer les droits humains.
''Je m’oppose à cela. Si on a 2 000 sages-femmes qui chôment, il faut les recruter au lieu d’envisager de les envoyer au Qatar. On ne peut pas exporter au moment où le besoin est là'', avait martelé le député d’Aj/Pads.
De son côté, le président du groupe parlementaire Benno bokk yaakaar, Moustapha Diakhaté, avait suggéré la prudence. Il assimile le Qatar à un pays où se pratique ''l’esclavage des temps modernes''.
Cet accord entre les gouvernements du Qatar et celui du Sénégal porte sur la fourniture de la main-d’œuvre en question pour 2 ans.