PRÉALABLE À TOUTE BONNE COMMUNICATION GOUVERNEMENTALE : LIBÉRER LES MEDIAS D'ÉTAT DE L'EMPRISE OFFICIELLE
IL EST TEMPS DE METTRE FIN À LA PROPAGANDE OFFICIELLE QUI EN FIN DE COMPTE AGACE ET AGRESSE LES PUBLICS ET PEUT PROVOQUER LE DÉGOÛT ET LE REJET
L’organisation du séminaire gouvernemental sur la communication gouvernementale intervient quelques semaines après que le Président eut donné un coup de balai dans son équipe de communicateurs et autres spin doctors. Sans doute est-il insatisfait de leurs prestations cacophoniques, laudatives et inefficaces. Sans doute avait-il oublié que la communication n’est pas l’action et que ses réalisations parleraient plus pour lui que la stratégie de communication la mieux élaborée, mais fondée sur l’irréel. C’est bien connu : pour bien communiquer, il faut avoir des choses à dire. La communication repose sur deux paramètres, l’intentionnalité et la réceptivité.
Le gouvernement a eu certainement la bonne idée de réfléchir le week-end dernier à haute voix sur sa communication, au cours d’un séminaire qui, espérons-le, ne connaîtra pas le même sort que les précédents : une villégiature sur fond d’élucubrations, de préconisations généreuses, mais vaseuses, de constructions intellectuelles, bien échafaudées mais irréalisables. La présence de Latif Coulibaly, journaliste et communicateur avant d’être ministre de la Bonne Gouvernance, aux côtés du ministre de tutelle, Cheikh Bamba Dièye, peut constituer au départ une belle raison d’espérer une pertinence des recommandations et leur faisabilité. La participation des conseillers en communication des ministères et, probablement, celle d’autres orfèvres en la matière peut incliner à penser que la réflexion sera fructueuse.
Et qu’au bout du compte, le gouvernement trouvera enfin les justes repères pour « communiquer juste », sans tomber dans les vilains défauts de la communication publique, qui, le plus souvent, s’apparente à la propagande. La RTS principalement, Le Soleil dans une moindre mesure, nous donnent tous les jours des exemples illustratifs de cette propagande d’Etat inutile, sans impact réel et même contre-productive pour le gouvernement. En réalité, l’effet de saturation qu’elle induit, agace et agresse les publics, et peut provoquer le dégoût et le rejet. Il ne faut pas chercher dans les régimes totalitaires les preuves des monstrueux effets de la propagande. Il suffit simplement d’exhumer les exemples des régimes de Senghor, Diouf et Wade pour voir à quel point la communication de flagorneries, conformiste, politiquement correcte, unidirectionnelle, unilatérale, flatteuse, est insipide et repoussante. Ce traitement de l’information gouvernementale, quel que le soit le cadre qui lui est dessiné, ne peut créer de la valeur encore moins de la crédibilité pour l’Etat, ses ministres et ses chefs.
Libération des médias d’Etat
Si le séminaire n’a pas tiré une telle conclusion, il sera alors passé à côté de la plaque. S’il l’a fait, pourquoi ne serait-il pas demandé à l’Etat d’annoncer, au moins, la « libération » des médias d’Etat de cette emprise étatique qui bride les journalistes et les réduit le plus souvent en fonctionnaires ou officiels de l’information ?
La première mesure devrait sans doute toucher le quotidien « national » Le Soleil dont l’existence est plus que jamais anachronique dans une démocratie pluraliste comme la nôtre. Aucune démocratie sérieuse ne s’accommode d’un quotidien d’Etat, dont les diffusions confidentielles (entre 5000 et 8000 exemplaires dans le meilleur des cas) réduisent considérablement l’influence. Même avec un taux de circulation important. Il est vrai que ce dernier est plus pertinent dans l’appréciation de l’impact et de l’audience d’un journal, car il met en avant le nombre de lecteurs (critère d’audience) au détriment du taux de vente (critère commercial et financier). Mais personne ne pourrait comprendre l’écart qui sépare Le Soleil de L’Observateur (crédité de 80 000 exemples vendus même si c’est un peu exagéré) et jouissant d’un taux de circulation de plus en plus élevé au regard de sa notoriété grandissante et de l’attrait qu’il exerce sur les lecteurs.
Avant, chacun voulait avoir d’abord son « Soleil » et ensuite seulement un voire d’autres quotidiens. Aujourd’hui chaque lecteur cherche à trouver son « OBS » et un autre quotidien en plus. On pourrait en dire autant de la RTS, chaîne publique de radio et de télévision qui, chaque jour, perd du terrain devant la pression des supports privés. La Radio nationale est écoutée principalement dans les régions où, grâce à sa bonne couverture, elle reste l’un des rares liens avec le pouvoir centrale de Dakar. Cela est très vrai dans les régions périphériques où les populations écoutent encore radio Sénégal, mais surtout regardent les chaînes de télévision des pays frontaliers (Gambie, Guinée Bissau, Mali et République de Guinée). Les networks privés dament le pion à la RTS et nous imposent, malheureusement, des programmes soporifiques, extravertis et aliénants. La télévision sénégalaise, elle, souffre de cette même tare. Qui plus est, elle est de plus en plus tentée par le mimétisme. De surcroît, elle ennuie ses téléspectateurs avec une propagande officielle permanente.
Des canaux d’information crédibles
Il faut cependant reconnaître que des efforts pour plus de pluralisme politique et syndical sont faits par la RTS. Mais l’équilibre dans le traitement de l’information est loin d’être atteint ni dans le contenu des informations encore moins dans le choix des directeurs de chaînes, qui obéissent à des critères surréalistes. En fait, cette insistance sur la place des médias d’Etat s’explique par leur rôle essentiel dans la communication gouvernementale. Ils ne doivent pas en être des relais serviles mais plutôt des canaux crédibles traitant avec objectivité, honnêteté, bonne foi, pluralité et distance, l’actualité gouvernementale et celle des autres forces vives du pays. Ils doivent être soumis aux mêmes règles d’équité dans l’accès aux sources que tous les autres médias et appliquer la règle des « trois tiers » conformément aux normes.
Leur seule spécificité se trouverait dans les horaires de la programmation et dans le temps imparti aux informations publiques et d’intérêt général. Ce que le privé pour des raisons commerciales ne pourrait faire aisément. D’où la nécessité de mettre en œuvre une vraie stratégie de financement des médias publics – et non d‘Etat — en leur assignant des missions économiques, sociales, culturelles plus en rapport les réalités de nos terroirs et de nos préoccupations essentielles.
D’évidence, aucune réforme de la communication gouvernementale n’est crédible si elle ne passe pas par la réforme du secteur public de l’information dans les tous les ordres des médias : l’Agence de presse sénégalaise (APS), Le Soleil, la RTS. Crédibiliser ces organes équivaut tout simplement à crédibiliser l’information gouvernementale. Le reste relève beaucoup d’une stratégie de management de l’information gouvernementale.
Cohérence dans les contenus d’abord
Comment, dès lors, harmoniser la communication gouvernementale ? Certainement pas en créant une forme de gouvernance unique et centralisatrice. Le concept d’harmonisation ne peut se comprendre que dans une acception immatérielle, c’est-à-dire la recherche d’une certaine cohérence dans les contenus. Il s’agit de s’accorder globalement sur les statistiques, les objectifs, les délais et les impacts et non de créer une structure de pilotage unique avec un grand timonier de l’information qui organiserait tout et déciderait de ce qui doit être dit ou non.
Entre les déclarations de politique générale du Premier ministre, les conseils ministériels délocalisés, les vœux de fin d’année et le message du chef de l’Etat à la nation le 4 avril, on a noté de tels écarts dans les statistiques qui touchent à l’agriculture, la dette publique, les dépenses publiques, l’emploi, l’énergie, qu’on en perd la tête. La communication gouvernementale devrait, justement, assurer une coordination efficace pour limiter, voire éliminer, de telles asymétries.
La coordination de la communication gouvernementale devrait aussi mettre en place des dispositifs d’information et de documentation pour faciliter l’accès à une information crédible, vraie et vérifiée, de sources dignes de foi. Elle doit organiser l’accès aux sources par la mise à disposition de contenus structurants dans tous les domaines de la vie nationale.
Cette communication s’appuierait, également, sur des études marketing de bonne facture, éclairer le gouvernement sur ses choix de politiques publiques et la remontée de l’information des cibles vers les gouvernants. Elle a aussi l’impérieux devoir de faciliter la production d’une documentation fournie sur données économiques, sociales, culturelles en rapport avec la Direction de la Prévision et de la Statistique, sur la presse, les agences de communications et de publicité, les structures de production audiovisuelle, éditoriale, d’impression etc.
Il serait donc illusoire de croire qu’une bonne communication gouvernementale se limiterait à « vendre » l’image du gouvernement et de son chef, par une diffusion torrentielle d’informations aseptisées, par des éditoriaux pamphlétaires aux tournures grandiloques et creuses.
La gouvernance unique ne peut en aucun être opératoire, pour la bonne et simple raison que les ministères ne sont pas de même importance stratégique. Les projets gouvernementaux n’obéissent pas aux mêmes timings, encore moins aux mêmes objectifs, et n’ont pas les mêmes cibles. Il paraît donc nécessaire de privilégier une approche sectorielle dans laquelle on rechercherait davantage l’efficacité de la communication que son rattachement à on ne sait quelle structure centrale. Il est donc indispensable de bannir cette forme de « centralisme communicationnel », qui confine au contrôle pesant et inhibant. Dans les démarches nouvelles, on a tendance plutôt à prioriser l’approche filière avec une logique spécifique et propre à chaque ministère. L’harmonie serait alors trouvée dans la cohérence des contenus.
Information ou communication ?
De toutes manières, la forme de gouvernement de coalition qui regroupe des sensibilités politiques diverses, des alliés qui ne sont pas toujours enpaix les uns envers les autres, ne peut pas « communiquer » comme un gouvernement « normal » de sensibilité homogène. Une telle situation conduirait plutôt à rechercher une certaine convergence, qui placerait le chef de l’Etat et le Premier ministre au cœur de la communication gouvernementale.
La démarche spécifique des ministères doit permettre de renforcer le positionnement présidentiel et non le concurrencer. Toute la difficulté de l’épreuve se trouve précisément là. Les gouvernements hétéroclites ont toujours beaucoup de mal à donner une cohérence à leur communication, comme c’est le cas en France, entre les ministres écologistes, ceux radicaux de gauche, de la société civile et des socialistes pur jus.
Les élections locales et générales seront un test grandeur nature de cette cohérence si recherchée et qui s’effrite à la moindre incartade (exemple Rewmi.) Que se serait–il passé si Oumar Guèye et Pape Diouf avaient suivi Idrissa Seck dans ses diatribes anti-gouvernementales ? Mais leur situation hybride, d’autres diraient de duplicité ou d’ambivalence, est aussi calamiteuse que l’hypothèse d’une rupture avec l’équipe de Macky.
Paramètre essentiel, la communication gouvernementale, pour être efficace, devrait également intégrer celle des sociétés nationales concessionnaires de service public. D’où la nécessité de mettre en avant l’approche filière, car ces démembrements de l’Etat appliquent aussi les politiques publiques et tombent souvent dans le travers des stratégies de communication corporate, modernes, mais trop orientées vers les méthodes d’efficacité du privé.
Sans doute, dans la communication gouvernementale, apparaît-il nécessaire de séparer l’option stratégique à moyen et long terme (communication ou marketing) des fonctions opérationnelles factuelles (informations), qui n’ont pas souvent le même timing.