PRÉMISSES D’UNE SÉCESSION
Les germes scissipares d’un cocktail explosif sont réunis au Pds pour pousser aux orties des personnalités libérales qui, depuis quatre décennies, ont participé à toutes les batailles
La présidentielle de 2017, tel un séisme, secoue déjà les grands partis de la scène politique à l’exception de l’Alliance pour la République (Apr). Actuellement, le Parti démocratique sénégalais (Pds) subit des secousses d’une densité ascendante à cause de la problématique du choix de la candidature.
Si Abdoulaye Wade passe outre les dispositions du Pds, fussent-elles obsolètes, pour mettre en selle Karim Wade, des voix s’élèvent ouvertement ou en sourdine pour désapprouver la volonté du chef. Et cela laisse place à un scénario pessimiste avec les risques sécessionnistes de certains pontes arbitrairement écartés par les règles du jeu taillées sur mesure pour le fils de l’ancien président actuellement dans les liens de la détention.
Abdoulaye Wade a décidé d’organiser, le 20 mars, des élections primaires au sein du Pds pour désigner leur porte-drapeau à l’élection présidentielle de 2017. Et la règle pour postuler est celle-ci : «Tout membre du Pds, détenant sa carte de membre en cours de validité, peut se présenter à la candidature du parti pour la Présidentielle. Tout candidat peut être présenté par n’importe quel membre du parti. Tous les membres du Pds peuvent présenter leurs candidatures y compris ceux qui sont en prison.»
Mais la procédure de désignation est anti-démocratique parce qu’étant l’initiative de la seule personne du secrétaire général national du Pds Abdoulaye Wade. La démarche solitaire, l’empressement et la précipitation avec laquelle, le maître du jeu veut organiser le jeu électoral entachent la sincérité d’un tel scrutin, favorise son fils candidat et atrophie les chances de tout autre concurrent.
Le secrétaire général national, seul, a été au début de tout le processus électoral qui mènera vers la tenue du scrutin du 20 mars prochain ; de la date d’organisation en passant par la composition de la commission de contrôle des candidatures, le choix des électeurs et des éligibles jusqu’à l’opportunité de la date du vote.
Cette omnipotence non encore avachie du politicien nonagénaire au sein du parti qu’il a créé donne raison à ceux qui l’affublent du qualificatif de la Constante. Même si Babacar Gaye, homme-lige de Karim Wade, a tenu à préciser que la décision prise par Abdoulaye Wade est en conformité avec les dispositions statutaires et réglementaires du Pds, force est de dire que ses allégations, qui semblent donner une onction ou une caution démocratique aux décisions de son mentor, sont fallacieuses.
Deux poids, deux mesures
En 2011, quand Mes Doudou Ndoye et Massokhna Kane demandaient l’organisation de primaires pour choisir le candidat du Pds, leur confrère Madické Niang les avait tournés en bourrique. Il déclarait que «celui qui est face à quelqu’un qui a reçu l’adhésion forte du Comité directeur, l’adhésion massive du Bureau politique, ne doit pas parler de primaires. Ce parti adhère totalement à tout ce que fait Abdoulaye Wade». Et c’était l’argument valable pour ne pas donner un avis favorable aux requêtes de ses confrères et frères de parti. Et Wade n’en voulant pas, le débat sur les primaires fut clos prématurément. Mais si l’absence d’une charte des primaires était évoquée pour rejeter toute demande en ce sens, Madické Niang aurait raison sur ses frères de parti.
En effet, aucune disposition textuelle du Pds ne prévoit l’organisation de primaires au sein du Pds. D’ailleurs depuis 1998, dernière année où le Pds a tenu ses renouvellements, les textes du parti, faute de révisions, ont été mis à l’écart. A la place, les libéraux ont donné un blanc-seing… non écrit au manitou du Sopi pour prendre toute décision concernant le parti et ses militants. C’est ce qui a engendré tous ces dérapages que le Pds a connus dans son fonctionnement ces dix-sept dernières années.
Et signe de cette obsolescence des textes, le site Pds.sn n’a pas été mis à jour depuis 2006. Il y est dit que «le parti est dirigé par un Comité Directeur de 12 (douze) membres dont 10 (dix) élus par le Bureau politique et 2 (deux) désignés par le secrétariat général national». Or que constate-t-on aujourd’hui ? Cette instance est composée de plus de 200 membres choisis exclusivement par le libéral en chef. En sus, les mêmes textes disent que «le Bureau Politique est composé d’un maximum de 04 (quatre) délégués par fédération élus par le Congrès».
Wade, éternelle Constante
Mais l’on constate que depuis plus de deux décennies, le Pds n’a pas tenu de congrès ordinaire pour procéder aux élections des délégués fédéraux. Et en l’absence de textes fonctionnels, le pape du Sopi donne son imprimatur à la composition des structures fédérales. En outre, il faut noter que le bureau politique du Pds qui doit désigner ces délégués fédéraux n’existe que dans les textes obsolètes.
Babacar Gaye, qui s’appuie sur la disposition stipulant qu’«entre deux congrès, le bureau politique est l’organe souverain et, à ce titre, peut prendre, s’il y a urgence ou si la situation l’exige, toute mesure nécessaire au bon fonctionnement du parti», n’est pas en mesure de citer les membres constitutifs de ce bureau politique inexistant. Mais en lieu et place, il y a un shadow bureau qui exercera sa pression sur tous les délégués fédéraux pour qu’ils votent en faveur du candidat de prédilection du secrétaire général national du Pds.
Si la dévolution monarchique du pouvoir étatique a échoué, celle du parti est déjà réussie. On n’attend que la date du 20 mars pour acter, par une mascarade électorale concoctée dans les officines de shadow bureau d’Abdoulaye Wade, la pirouette.
D’ailleurs, même quand les règles Pds ne souffraient d’aucun anachronisme, Abdoulaye Wade régissait son parti à sa guise. On a souvenance de ces propos de Sophie Ndiaye Cissokho, ex-pasionaria libérale reconvertie à la religion mackyste, qui disait en 1988 que la superpuissance d’Abdoulaye Wade trouve sa légitimation dans le fait qu’il est l’actionnaire et propriétaire unique du Pds. Tout lui appartient au Pds : les comptes bancaires, les voitures, les chaises, les coquelicots, les drapelets frappés de l’épi du maïs, les bâches, les instruments de sécurité…
Un scrutin piégé
Aujourd’hui le vote du 20 mars est piégé. D’abord le chef de la commission de contrôle des candidatures, Sada Ndiaye, est connu pour être un zélote de Karim Wade dans la défunte Génération du concret. Et les autres membres de la structure d’enregistrement des candidatures sont tous des obligés d’Abdoulaye Wade. Quand ce dernier tousse, eux tous éternuent.
Quid des délégués fédéraux installés par le secrétaire général national à la tête des structures qu’ils dirigent ? Certainement ils feront le job comme l’exige le shadow bureau piloté par le maître des céans. En plus, des responsables comme Babacar Gaye, Oumar Sarr et Cheikh Sadibou Fall ont annoncé publiquement leur choix sur Karim Wade actuellement emprisonné pour le présumé délit d’enrichissement illicite. Des mouvements de soutien fleurissent et investissent les médias pour soutenir leur candidat.
On est à quelques jours du délai de dépôt des candidatures et la seule probable (qui sera portée par ses souteneurs) est celle de Karim Wade. Et compte tenu des règles fixées par l’arbitre suprême, il y a lieu de dire «Ite missa est» c’est-à-dire que la messe est dite. Abdoulaye Wade organise cette élection et fera gagner son champion sans crainte puisque la route qui y mène est jalonnée d’explosifs qui réduiront en charpie tout candidat sérieux qui aura le toupet de vouloir rivaliser avec le fils du chef.
Une sécession imminente
Maintenant le premier danger que court le Pds est le risque d’une implosion ou d’une scission si les règles du jeu qui favorisent le choix du fils du chef restent en l’état. A coup sûr, certains pontes prendront leur destin en main soit en créant leur parti ou mouvement soit en revendiquant une légitimité au sein du Pds qui puisse leur permettre de ne pas valider le choix éventuel du fils du président Wade. Et Aïda Mbodj a sonné la charge en rejetant les règles du jeu mais en certifiant qu’elle reste encartée dans son parti pour mener le combat démocratique.
Le second danger est le risque d’affaiblir le combat pour la libération de Karim Wade au cas ce dernier écoperait d’une peine carcérale non encore purgée. Car les responsables écartés arbitrairement ne peuvent pas se battre pour la libération et la promotion d’un concurrent dont le père a creusé leurs tombes politiques.
En définitive, tous les germes scissipares d’un cocktail explosif sont réunis aujourd’hui au Pds pour pousser aux orties des personnalités libérales qui, depuis quatre décennies, ont participé à toutes les batailles qui ont ancré la démocratie dans notre pays.