PRÉSIDENT MACKY, FAUT PAS FORCER !
La prudence nous conseille ici de ne pas parler d’« élection présidentielle de 2017 », car malgré l’engagement d’organiser un référendum sur la question en 2016, on ne serait pas surpris d’un « wax waxeet »
Le temps semble avoir suspendu son envol aujourd’hui au Sénégal avec les choses qui s’accélèrent dans le procès de Karim Wade et de ses co-inculpés, surtout après l’énonciation du réquisitoire du parquet spécial.
Alors, que la peine d’emprisonnement de Karim Wade soit de 7 ou de 77 ans, rien ne saurait inverser le cours et la courbe de son destin présidentiel, s’il en a un. Si le fils du président Abdoulaye Wade doit un jour présider aux destinées du Sénégal, ni une peine d’inéligibilité, ni les incantations et prédictions d’un Me Yérim Thiam qui blasphème haut et fort en marchant sur les plates bandes du Bon Dieu en prédisant l’avenir d’un être humain, rien ni personne ne pourrait y changer quelque chose.
Quand, après avoir regardé dans sa boule de cristal, Me Yérim Thiam déclare que « Karim Wade ne sera président ni aujourd’hui, ni demain», il se prend pour le Créateur. Et le sort qui est réservé aux mortels comme lui et qui se font des émules de Dieu L’Unique, c’est le purgatoire à l’au-delà, et les pires brûlures à la plante du pied à chaque pas fait dans ce bas monde, comme s’ils marchaient sur les dalles incandescentes de la géhenne promise aux mécréants.
C’est connu, le passage à la cage prison n’est pas rédhibitoire pour quelqu’un qui a des ambitions nobles pour son pays et qui jouit de surcroît de la sympathie des populations. Il ne faut pas chercher très loin des exemples pour étayer cette thèse. Son père, Abdoulaye Wade était presque abonné à Rebeuss. En Afrique du Sud, Nelson Mandela a été porté au pinacle après vingt-six années de bagne. Le tout-puissant système plus que centenaire de l’apartheid qui avait confiné « Madiba » dans cette situation a été vaincu à la fin et ses animateurs mis devant leurs responsabilités.
Ce n’est donc pas ce régime de Macky Sall, qui n’excédera pas plus de dix ans, qui pourrait échapper à la justice populaire ou à tout le moins à la reddition des comptes. Voire aux règlements des comptes. Or, à travers toutes les vilénies de la traque des biens supposés mal acquis, et son bras armé, la Cour de répression des de l’enrichissement illicite, qui ont beaucoup effarouché les Sénégalais, les ont opposés les uns aux autres et pire, ont fait germer chez beaucoup d’entre eux des ressentiments forts et de la haine viscérale, une logique de vendetta prend insidieusement forme dans les cœurs meurtris, et trouve pour exutoire les paroles, les textes, les actes et autres attitudes traduisant un état d’esprit de dépit.
A l’instar du président Abdoulaye Wade qui est prêt à laisser sa vie dans cet ultime combat, des pans entiers de la population sénégalaise qui lui sont restés fidèles et se retrouvent encore en lui, ou de simples citoyens sénégalais tout simplement révulsés, révoltés et indignés par ce réquisitoire du parquet spécial et tout ce qui l’a pré- cédé, ne sont pas enclins à accepter cette forfaiture de l’Etat. Un réquisitoire qui ne devrait pas trop différer du verdict final voulu par un Etat qui a tout manigancé depuis le début, en déroulant un plan concocté il y a longtemps, mais enrobé d’une parodie et mascarade de procès pour dorer la pilule afin de mieux la faire avaler au peuple. Mais les choses ne seront pas aussi simples que prévues.
Macky Sall a ouvert la boîte de Pandore. Il sera tenu comme responsable de tout ce qui adviendra au Sénégal dans les prochains jours, une situation dont les Séné- galais se seraient bien passés. Dès lors que le chef de l’Etat qu’il est, et qui a de la suite dans les idées, a mis à exécution ses menaces de régler des comptes personnels avec le Pds, une fois arrivé au pouvoir, c’était parti pour une longue période d’instabilité au Sénégal.
En réactivant une juridiction d’exception (la (Crei) pour mieux « piéger sa proie » et en déclenchant une chasse aux sorcières bien ciblée, Macky Sall a plongé le Séné- gal dans un cycle infernal et infini de règlements de comptes politico-judiciaires et de vengeance à répétition, au rythme des changements de régime que connaîtra le Sénégal. Désormais, notre pays n’est plus à l’abri de tourments qui n’épargneront personne. A commencer par le président Macky Sall lui-même, qui ne dormira plus du sommeil du juste, et sera à son tour traqué et hanté perpétuellement par ce cas de conscience qu’est la condamnation à relents politiques d’un justiciable sénégalais, non sur la base des principes du droit, mais pour éviter de l’avoir comme adversaire à la prochaine élection présidentielle.
La prudence nous conseille ici de ne pas parler d’« élection présidentielle de 2017 », car malgré l’engagement d’organiser un référendum sur la question en 2016, on ne serait pas surpris d’un « wax waxeet » – il est l’élève de Me Wade – sur l’engagement de Macky Sall à réduire son mandat de 7 à 5 ans.
Karim Wade condamné et non-présidentiable, les Sénégalais qui a pris Macky Sall en grippe, reporteront leurs suffrages sur un autre candidat. Celui que le Bon Dieu aura choisi pour succéder au président Macky Sall. Ainsi, ce n’est pas ce projet, cousu de fil blanc, d’éliminer de la course à la prochaine élection présidentielle un potentiel adversaire de taille, matérialisé aujourd’hui par le ré- quisitoire du parquet spécial, et demain par le verdict de Henri Grégoire Diop, qui va prémunir Macky Sall d’une cuisante défaite si cela devait arriver.
Le président Abdoulaye Wade n’avait-il pas réuni des millions de Sénégalais sur la Vdn à la veille de la dernière élection présidentielle ? Cela ne l’a pas sauvé d’une béré- zina le 25 mars 2012. Macky Sall doit accepter le décret divin et travailler sérieusement pour le Séné- gal. Et pour l’amélioration des conditions de vie de Sénégalais. S’il y parvient, il n’aura même pas besoin de battre campagne. Les bons résultats vont plaider pour lui et il va rempiler les doigts dans le nez.
En vérité, le président Macky Sall est en train de réaliser de belles choses, mais on a comme l’impression qu’il n’y en a que pour la traque des biens mal acquis, qui vampirise tout. La mauvaise communication gouvernementale, les erreurs de casting dans le choix des voix autorisées du pouvoir, l’amateurisme criard à certains niveaux de responsabilité, la posture inconfortable consistant à toujours être sur la défensive et à se justifier en permanence, et enfin, le manque de pragmatisme à quoi on a préféré la litanie de slogans creux et jamais respectés dans la pratique, font le reste.
Cela étant, dans son obstination à foncer dans des trajectoires sans issue, plutôt qu’à suivre la voie de la raison ou à écouter la voix de la sagesse, Macky Sall est en train de creuser lui-même sa propre tombe. Comme tous ses autres homologues qui ont eu à commettre l’erreur fatale de se croire investis d’une mission divine de rédempteur et de souverain à vie de leurs peuples, il risque d’être emporté par un tsunami qu’il aurait dû voir venir.
Seulement, et c’est heureux qu’il en soit ainsi, il est encore temps pour lui de se ressaisir et d’arrêter cette machine judiciaire infernale qui risque d’hypothé- quer l’avenir du pays. C’est lui le seul maître du jeu pour juguler l’escalade, la surenchère et la montée des périls. Cela signifie pour lui, répondre à la main tendue par le président Abdoulaye Wade, pour des discussions sincères et justes, afin de faire la paix des braves.
En Afrique du Sud, malgré les affres du régime odieux de l’apartheid, qui sont infiniment plus cruelles que ce qui se passe aujourd’hui au Sénégal, les Sud-Africains ont fini par se retrouver en 1995 autour d’une Commission Vérité et Réconciliation (Promotion of National Unity and Reconciliation Act) pour sauver « la Nation arc-en-ciel ».
Il faut le dire : ce n’est pas ce réquisitoire fantaisiste du parquet spécial de la Crei qui va réunir les Sénégalais autour de l’essentiel et les réconcilier, ni faire du Sénégal un pays émergent à court, moyen ou long termes. C’est une grosse erreur pour Macky Sall que de chercher une deuxième victoire sur Abdoulaye Wade et le Pds en essayant de les achever et de les anéantir après les avoir vaincus aux élections. Il faut savoir raison garder en se contentant des acquis et d’avancer.
Les acquis ici, c’est le paradigme de redevabilité dorénavant ancré dans les esprits, intégré dans les mœurs républicains et citoyens, et son corollaire, la reddition des comptes. Le combat contre la mal gouvernance n’a jamais été aussi bien encadré et outillé, avec tous ces corps de contrôle de l’Etat et organes de régulation (Crei, Ofnac, Cour des comptes, Ige, Armp, Artp, etc.)
Les garde-fous sont bien là avec toute leur valeur dissuasive. Et c’est déjà ça de gagné pour le Sénégal. Karim Wade et ses co-inculpés, même condamnés à vie, la vie des Sénégalais ne s’en trouvera pas améliorée pour autant. Par contre, la leçon de morale de cette affaire est retenue de tous. Désormais, personne ne pourra jouer avec les biens publics et s’en tirer à bons comptes.
A quoi bon vouloir mettre tout le pays sens dessus-dessous parce qu’on veut « récupérer » à tout prix « l’argent volé à l’Etat du Sénégal et planqué dans des paradis fiscaux », en dé- pensant plusieurs milliards de nos francs tirés de la poche trouée du contribuable sénégalais, pour payer des honoraires d’avocats, des commissions rogatoires qui rentrent toujours bredouille et un procès coûteux, sans aucune garantie de recouvrer tout ou partie de l’argent prétendument volé ? « Ndiarigne loo fekké », disent les wolofs.
L’enjeu n’en vaut pas la chandelle. Surtout que, comme le fait remarquer avec une rare pertinence l’écrivain Boubacar Boris Diop : « On ne développe pas un pays en récupérant de l’argent dé- tourné, on développe un pays en empêchant que l’argent public soit impunément détourné ». La traque des biens supposés mal acquis est déjà un succès en soi dans sa valeur pédagogique. Faut pas forcer.
Aujourd’hui, avec la tournure prise par les évènements, c’est un truisme que de dire que les Séné- galais préfèrent de loin la survie du pays, la paix civile et sociale, malgré les difficultés inhérentes et consubstantielles à la vie, à la poursuite de cette traque déstabilisatrice et dangereuse à terme pour le pays. Ce n’est pas faire injure à l’Etat de droit ou faire l’apologie de l’impunité que d’actionner les leviers et mécanismes de régulation ou de bons offices, bien de chez nous, souvent très efficaces pour sortir notre pays de l’impasse. Chaque pays a ses réalités.
Les marabouts ne sont pas des citoyens ordinaires au Sénégal. Sinon, le chef de l’Etat, qui est sensé être au dessus de tous les Sénégalais, n’irait pas se prosterner devant son « Serigne » pour lui faire allégeance. Par conséquent, les appels à la clé- mence et la retenue que les guides religieux ont adressés à toutes les parties prenantes du bras de fer Macky Sall-Abdoulaye Wade qui prend aujourd’hui tout un pays en otage, ne devraient pas tomber dans des oreilles de sourds.
En disant qu’aucune pression ne pourra être exercée sur lui, le président Macky Sall ferme toutes les portes de dialogue constructif et s’enferme dans un engrenage sans issue. C’est à croire que le chef de l’Etat, chauffé à blanc par les va-t-en guerre qui l’entourent, lui mettent le pied à l’étrier, l’éperonnent et le poussent à foncer vers le mur, porte des œillères et n’est réceptif à rien d’autre. Or, seul élu du peuple sénégalais à la magistrature suprême, le président Macky Sall sera le seul à ré- pondre devant celui-ci à l’heure du bilan.
A lui donc de se ressaisir, de desserrer l’étau de ses « alliés » qui l’enserre et de prendre son courage à deux mains pour sonner la fin de la récréation à travers des mesures hardies de décrispation et de pacification de l’espace politico-social sans quoi ses chantiers majeurs comme le Plan Sénégal émergent seront voués à l’échec et partant, toutes ses chances de ré- élection seront hypothéquées.
Pape SAMB papeaasamb@gmail.com