PRESQUE DANS L'INDIFFÉRENCE
COLORATION BUS ET ÉDIFICES
Les individus qui s'activent à l'aéroport de Dakar ne sont pas emballés par le débat sur la couleur de ce complexe ou des nouveaux bus de transport. Pour eux, rien n'a vraiment changé.
De toute la palette de couleurs disponible et imaginable, le marron-beige est incontestablement celle qui est à la mode. Les couleurs du parti au pouvoir, l'Alliance pour la république (APR), suscitent quelques commentaires critiques. Mais le désintérêt de la plupart des gens est manifeste sur ce sujet.
"Je ne vois pas en quoi tout ce raffut sur le coloris des bus ou de l'aéroport est important. De toute façon, que ce soit blanc, noir, beige ou indigo, il faut bien qu'ils arborent une couleur non ?" s'interroge Sellou Ba, quelque peu indigné de l'importance donnée à cette affaire. Ce vieux fonctionnaire en costume sombre, accroché à la sortie du parking de l'aéroport Léopold Sédar Senghor, est rejoint par beaucoup d'autres dans les alentours du terminal aéroportuaire.
Sur la piste bien entretenue, des agents en chasubles fluo font rouler les caddies de passagers fraîchement débarqués. L'activité est à son comble, malgré le vent fort qui souffle. L'imposante façade aux baies vitrées de l'aéroport affiche marron. Derrière se découpe la silhouette lointaine du monument de la Renaissance. La boutique de change et de services juste à l'entrée du complexe affiche marron-beige, mais sa paroi décrépite montre que la peinture n'est pas de première fraîcheur.
"C'est un non-évènement. Peut-être que c'est le contexte présent qui explique cet engouement. Par contre, rien n'a changé à nos yeux. Ces couleurs ont toujours été là. Je ne vois pas pourquoi on a attendu jusque-là pour en parler", s'étonne un cambiste accoudé sur une des barrières blanches.
Derrière lui, ses congénères qui discutent avec passion de l'issue du combat de lutte de dimanche sont du même avis. "La priorité, ce n'est pas la couleur. Elle est là depuis longtemps. Abdoulaye Wade n'a pas peint l'aéroport en bleu-jaune. C'est hypocrite de vouloir mettre ça sur le dos de Macky", lance un autre cambiste.
Rupture, rupture, vous avez dit rupture ?
Vert et rouge pour la parti socialiste, bleu-jaune pour le Pds et marron-beige pour les ‘républicains' ; peindre certains supports ou édifices publics n'est pas une pratique nouvelle. Dans l'ordre, les bus de la Sotrac, puis Dakar Dem Dikk, sociétés de transport public, portaient les couleurs des différents régimes, lors de leur règne. Plus récemment, les bancs publics de la ville de Guédiawaye ont été peints aux couleurs de l'Apr, juste après l'élection d'Aliou Sall, frère du président, à la mairie de cette ville. Ce qui procède d'un début de "patrimonialisation du bien public", estime Olivier Sène.
"Il est inconcevable que le président de tous les Sénégalais laisse afficher aussi ouvertement les symboliques de son appartenance politique à l'aéroport", estime ce jeune étudiant venu faire le change.
Pour Abdou Camara, la problématique est tout autre. Ce quinquagénaire qui attend un atterrissage reporté à 18 heures ne juge pas le président Macky Sall sur "un acte politique qui s'inscrit dans la continuité et dans une logique de récupération, mais estime qu'il est en contradiction flagrante avec la rhétorique de rupture à laquelle il s'agrippe désespérément", ajoute-t-il.
La réaction de la classe politique reste timide. Seule la plate-forme "Avenir Sénégal bi nu beug" de Me Mame Adama Guèye a publié un communiqué où elle annonce une mobilisation pour lutter contre "la confiscation de ce bien public".