PROBLEME DE FOND ET DE FORME
Giresse parle de manque de concentration, d’absence de cette efficacité qui permet d’établir une différence telle que si elle peut être réductible, elle ne sera jamais soluble. Mais le mal de ces gains perdus devient trop endémique pour tenir à un tir mal
On l’appelle fond de jeu. Quelque chose qui va au-delà de l’expression tactique. Une sorte d’Adn qui fixe une identité pour l’éternité. Une marque qu’on n’a pas besoin de laisser au Bureau des droits d’auteur pour en préserver la paternité.
Tous ceux qui ont pu apporter cette forme de composition chimique au football, ont laissé quelque chose d’aussi identitaire qu’une empreinte digitale. Quatre décennies après, il suffit d’appuyer sur le bouton «Rewind» de certaines mémoires pour que les Espoirs de Dakar deviennent un sujet de fantasme.
A regarder les «Lions» jouer (hormis contre les Ivoiriens à Casa), c’est là qu’on se sent le plus trahi au souvenir de cette capacité enchanteresse à faire corps et âme avec un ballon, à exposer une modélisation du jeu où il peut y avoir des erreurs techniques, mais jamais de faute de goût. Où le talent est l’élément premier de gestion d’un match, avant que l’organisation tactique n’y aide.
On a beaucoup disserté sur les systèmes du 4-4-2, du 4-3-3 ou du 3-5-2. Depuis des années, les sélectionneurs nationaux se succèdent pour perdre, dans ces configurations chiffrées, la logique de l’addition (des lignes), les subtilités de la division (de l’espace) et l’explosivité de la multiplication (des schémas).
On perd surtout de vue que la tactique est une sorte de bombe à retardement. Le jour où la configuration «tac-tic» se transforme en «tic-tac» (tic-tac, tic-tac, tic-tac,…, vous entendez venir ?), la déflagration fatale ne vous laisse plus rien entre les pieds.
Mercredi, à Ouaga, les «Lions» ont passé 55 minutes à chercher la clé du bonheur, l’ont eu entre les mains pendant trente-cinq minutes, pour tout perdre en une minute. Celle du temps additionnel.
Giresse parle de manque de concentration, d’absence de cette efficacité qui permet d’établir une différence telle que si elle peut être réductible, elle ne sera jamais soluble. Mais le mal de ces gains perdus devient trop endémique pour tenir à un tir mal cadré, un dégagement raté ou à un marquage approximatif.
Comme dans la fable du «laboureur et ses enfants», c’est quand le fond (de jeu) manque le moins que les trésors sont mieux défendus et préservés.
Gérer une fin de match pour assurer un résultat repose sur l’intelligence des situations. Dans une discipline où il n’y a pas de contrainte de temps dans la remontée du ballon comme avec les 24 secondes du basket, où le temps de possession peut durer 90 minutes, où l’espace de jeu peut atteindre 10 000 mètres carrés pour vingt-deux hommes, la conservation d’un résultat tient à une auto organisation où chacun, sur le terrain, doit être à même de gérer les rapports d’opposition.
Le mal du football sénégalais, c’est de manquer de talents qui s’expriment dans la capacité à tenir le ballon. Peut-être que cela devient plus difficile, aujourd’hui que les joueurs n’évoluent plus dans des espaces fixes, avec un rôle dont la maîtrise permet d’apporter sa contribution utile à l’ensemble.
Aujourd’hui, le joueur de haut niveau doit être capable de varier ses aptitudes, de diversifier son registre pour répondre à des configurations changeantes et à des positionnements qui peuvent être aléatoires selon les situations de jeu. C’est pourtant cette dynamique globale, où chacun peut participer à une animation cohérente, qui permet de posséder un match.
On doit être talentueux partout. L’équipe nationale souffre de manques à ce niveau.
Le collectif qui marche est une question de talents individuels portés par des joueurs qui savent gérer leur rapport technique avec le ballon, construisent leur mobilité en fonction des espaces et des dynamiques de jeu qui se créent, cherchent les meilleures articulations défensives ou offensives avec les partenaires en fonction des moments du match. C’est là que s’exprime le fond de jeu qui traduit l’art de la possession du ballon. L’application tactique vient ensuite pour définir la mise en place et l’animation permettant de rendre utile cette possession.
Ne pas disposer de cette base fondamentale de jeu au moment de rencontrer des pays arabes comme la Tunisie et l’Egypte est source d’inquiétude. C’est une question d’hommes. Un Roger Mendy en défense, ça ne s’invente pas. Un Guèye Sène au milieu du terrain n’est pas le fruit d’un coup de baguette magique. Le savoir-faire était en eux, avant qu’on ne les expose à l’art de faire. Ce sont juste deux exemples ; on aurait pu en citer des centaines appartenant à une époque plus ou moins lointaine.
Devant la pénurie qui accable les «Lions» et les rend si indigents, le peu de joueurs à même d’animer une stratégie d’accaparement du jeu et de préservation des acquis (Sadio Mané en premier, mais Stéphane Badji et un ou deux autres également) devraient être davantage responsabilisés, mais aussi que leur positionnement sur le terrain et leur rôle soient réfléchis en conséquence.
Il arrive des moments où des joueurs doivent sentir qu’une équipe est la leur. Non pour qu’ils grossissent de la tête, mais pour qu’ils en aient plein le cœur et puissent impulser le rythme des différentes périodes séquentielles qui permettent de jouer juste à tout moment. Jusqu’à ces dernières minutes où les «Lions» défaillissent tant.