QUAND LES ÉLÈVES ROMPENT LE JEÛNE POUR CAUSE D'EXAMEN !
Baccalauréat et Ramadan

Difficile de se concentrer quand on a le ventre creux. C’est du moins l’avis de la plupart des candidats au baccalauréat rencontrés au lycée mixte Maurice Delafosse et au Cem Martin Luther King. Raison pour laquelle, la plupart d’entre eux n’ont pas jeûné durant ces jours d’examen.
Ils reconnaissent tous qu’il est difficile de réfléchir quand on a jeûné. Ce qui pousse la plupart des candidats au baccalauréat, de cette année qui coïncide avec le Ramadan, à rompre le jeûne le temps de terminer leur examen. Ndèye Khady Fall est candidate au baccalauréat. En série L2, elle compose au lycée mixte Maurice Delafosse. Trouvée, hier, assise sur les bancs de la cour de l’établissement en train de savourer un sandwich, après une rude épreuve de français, des cahiers de mathématiques et une petite bouteille de jus à côté d’elle, Khady Faye, à la question de savoir pourquoi elle n’a pas jeûné, rétorque : «Il est difficile pour moi de jeûner en cette période d’examen. Si je jeûne, je ne pourrai pas me concentrer, encore moins réfléchir». En ce sens, elle ajoute : «Je viens de terminer l’épreuve de français qui a été difficile, il faudra que je reprenne des forces pour les mathématiques».
Même son de cloche chez une autre candidate répondant au nom de Coura Seck. Cette dernière à pris l’initiative, comme Ndèye Khady Fall, de ne pas observer le jeûne durant ces trois jours d’examen. Parce que, explique la jeune fille, «je sais que ça sera difficile pour moi, voire impossible de jeûner et de me concentrer comme il se doit sur les épreuves du Bac. Je suis en série L1, le matin (Ndlr : hier matin) j’avais français et il fallait que je me concentre pour ne pas passer à côté. Parce que c’est une de mes matières dominantes».
Toutefois, si ces deux jeunes candidates ont pris l’initiative de ne pas jeûner, chez d’autres, c’est les parents qui ont décidé à leur place. C’est le cas de Mohamed Omar Ndoye Faye. Elève en série L’1, Mohamed passe pour la première fois l’examen du baccalauréat. Entouré de quelques amis, il déguste à coeur joie leur repas dans une salle de classe. Un sandwich à la main et une bouteille de boisson grand model posée sur la table, le jeune Mohamed n’hésite pas à soutenir que c’est sa mère qui lui a fait ce repas.
«Je voulais jeûner, mais mes parents m’en ont empêché. Ils m’ont demandé d’attendre à la fin de l’examen», lâche-t-il avant d’ajouter : «C’est mon avenir qui est en jeu et je crois que si j’avais jeûné, avec cette chaleur, j’aurais tellement faim et soif que je ne pourrais pas me concentrer».
Du côté des arabisants - si on peut les appeler ainsi - qui font le Bac arabe au Cem Martin Luther King, ce sont les mêmes arguments qui sont avancés. Mais, seulement, cette fois-ci, la plupart des candidats rencontrés ont observé le jeûne.
Répondant au nom de Marième Thiaw, cette candidate est à l’assaut de ce premier sésame de l’enseignement supérieur, depuis deux ans. Le visage fatigué, Marième, couchée sur une table- banc dans une salle de classe, atteste : «Je suis épuisée». A la question de savoir pourquoi elle ne rompt pas le jeûne, elle réplique : «Je ne peux pas. J’ai jeuné jusqu’à cette heure, il faudra que je continue. En plus, ma religion m’interdit de rompre pour cause de l’examen. On a écrit nulle part dans le Coran que lorsqu’on fait un examen on peut ne pas jeûner».
CHEIKH EL KABIR LO, PRESIDENT DU JURY 978 AU LYCEE MIXTE MAURICE DELAFOSSE - «Quand on a faim, on risque d’avoir des problèmes de concentration, surtout en fin de journée»
Enseignant à l’université de Dakar, au département de chimie, président du Jury 978 au lycée mixte Maurice Delafosse, Cheikh El Kabir Lô est d’avis qu’il est difficile de se concentrer quand on a faim. «Je dis, généralement, que cela soit l’élève ou le professeur ou le président de jury, quand on a faim, on risque d’avoir des problèmes de concentration surtout en fin de journée», fait savoir M. Lô qui indique, par ailleurs, que «le matin, ça ne pose pas de problème».
En tant que président de jury, M. Lô a reconnu que jeûner en cette période d’examen est fatiguant, d’où des problèmes de concentration. Mais, dit-il, «ça nous laisse plus de temps pour travailler. Parce que, quand c’est le Ramadan, on ne prend pas de pause, on enchaîne. Donc, le travail se fait rapidement». Sur ce, il renseigne que leur travail demande beaucoup d’énergie : «On dépense beaucoup d’énergie. Parce qu’on se déplace dans les salles pour voir comment se déroule les épreuves, si les surveillants ne se laissent pas trop faire. Donc, on fait le tour. Presque à tout moment on est en train de marcher».
Pour ce qui est de l’impact du jeûne sur la correction des copies, M. Lô d’affirmer que «les professeurs sont dans des conditions qui leur permettent de se concentrer. Parce qu’ils viennent d’autres régions, ils sont logés». Ce qui lui fait dire qu’«ils peuvent corriger avec beaucoup de concentration».
Au demeurant, le président du Jury 978 de souligner que pour le moment, tout se passe bien. «Nous sommes à notre deuxième jour (Ndlr : hier), on commence les épreuves à l’heure, tout se passe bien, on n’a pas encore eu de cas de fraudes, ni d’incident majeur à signaler», annonce-t-il.
IMAM LASSANA SEYDI AVERTIT LES CANDIDATS AU BAC - «Les examens ne sont pas une cause qui peut justifier la rupture du jeûne»
Le mois de Ramadan est une obligation prescrite à tout musulman en mesure de faire le jeûne. Et le motifs pour rompre ce jeûne sont bien spécifiés. Et les examens ne font pas partie des motifs principaux évoqués pour rompre le jeûne. C’est l’avis de l’imam Lassana Seydi de l’Union des oulémas du mandé (Ouma).
«D’abord, il faut qu’on soit très clair. Le jeûne du mois de Ramadan est une obligation prescrite à tout musulman majeur, jouissant de ses facultés intellectuelles, en mesure de faire le jeûne, résident, non en état de voyage et n'ayant pas de handicap», a précisé d’emblée imam Lassana Seydi. Membre de l’Union des oulémas du mandé (Ouma), le religieux indique que «les examens ne sont pas une cause qui peut justifier une rupture du jeûne. Le jeûne du Ramadan est obligatoire pour tout musulman pubère, doué de raison. Il n’est pas permis à une personne majeure et responsable de ne pas observer le jeûne du Ramadan à cause d’un examen. Cela ne constitue pas une excuse légale. Il doit plutôt observer le jeûne», a indiqué le religieux qui précise par ailleurs que les motifs principaux évoqués pour la rupture du jeûne sont la maladie, la grossesse, l'allaitement ou un long voyage.
D’ailleurs, dit-il, «certains diront même que le jeûne favorise la concentration et la méditation, et très souvent cela permet d’être plus performant en termes de réflexion. C’est pourquoi d’ailleurs on ordonne à l’enfant de jeûner s’il en est capable pour qu’il s’habitue à le faire. Malgré la contrainte des examens, les adolescents ne doivent pas interrompre le jeûne qui est recommandé par le Prophète (Psl). Au contraire, ces élèves soumis à une épreuve doivent observer le jeûne pour rechercher la bénédiction divine et pour réussir également dans la vie».
A l’en croire, jeûner, même pendant les examens, est un acte de piété qui rapporte beaucoup de bénéfices. «Ce mois béni est une grande occasion pour une bonne pratique cultuelle, pour la dévotion et l’obéissance à Allah. C’est un mois important, une belle occasion, un mois au cours duquel les bonnes oeuvres sont décuplées, les mauvaises aggravées, les portes du paradis ouvertes et les portes de l’enfer fermées. Un mois dont le début est miséricorde, le milieu pardon, et la fin affranchissement de l’enfer», dit-il. «Donc les examens, une fois de plus, ne sont pas une cause qui peut justifier qu’on rompt le jeûne», a insisté imam Seydi.
Toutefois, le religieux a invité les autorités chargées de l’éducation à revoir la programmation des examens au Sénégal, pays à 90% de musulman pour faciliter la tâche aux jeunes musulmans qui sont soumis à ces épreuves