QUAND LES FEMMES DÉFIENT LES PRÉJUGÉS
MÉTIERS SUPPOSÉS RÉSERVÉS AUX HOMMES
La recherche de profit pousse les femmes jadis, confinées dans des travaux domestiques par des croyances sociales ou religieuses, à se donner de nouvelles perspectives. Hormis des activités lucratives qui leur sont spécifiquement réservées, la gent féminine a jeté son dévolu sur des tâches qui, dans la perception de la société sénégalaise, sont destinées aux hommes.
Eu égard aux difficultés sociales, les femmes, autrefois présentes que dans des activités nécessitant moins d’effort, exercent maintenant des travaux qui, du regard de la société sénégalaise, sont incompatibles avec leur état physique. Elles sont taxis-women, mécaniciennes, dans les corps militaires et paramilitaires, dans la vente de cartes de recharge téléphonique, les bâtiments et travaux publics, receveuses avec l’avènement des minibus, dans le cadre du renouvellement du parc automobile, etc.
Des femmes reconverties dans des métiers jadis réservés aux hommes sont les mécaniciennes du garage «Femmes Auto». Au milieu des voitures éparpillées un peu partout à la devanture, de l’atelier, Mariéme et Mami s’affairent aux derniers réglages d’un véhicule sous le regard attentif de son propriétaire. Niché à quelques encablures, de la Voie de dégagement nord (Vdn), le garage «Femme auto» se fait remarquer de par ses couleurs vertes et bleues défranchies sous l’effet de la chaleur.
«Etre mécanicienne, ce n’est pas facile, mais…»
Le travail comme mécanicienne, la maitresse des lieux, Ndeye Coumba Mboup Mbengue, n’y voit plus d’entraves. «A mes débuts en 1993, je ne pouvais même pas en sortir en tenue, mais avec le slogan du président Abdoulaye Wade («Il faut travailler, beaucoup travailler, toujours travailler, encore travailler»-ndlr) appelant au travail, la perception que les gens se font du métier à changer», s’enthousiasme-t-elle. La mécanique, Ndeye Coumba la perçoit comme tout autre métier. «Etre mécanicienne, ce n’est pas facile, mais c’est à l’instar de tous les autres métiers, il faut juste être courageuse», estime-t-elle.
Sous un leadership féminin, «Femme auto», attire la clientèle. Une telle réussite, Ndeye Coumba la doit à sa ponctualité et au respect de ses engagements vis-à-vis de ses clients. Des qualités de plus en plus rares chez les artisans sénégalais. «Je fais tout pour respecter les délais. Je fais aussi le suivi de mes travaux. J’appelle souvent mes clients après la livraison des voitures», confie-t-elle. Outre, la mécanique, on retrouve les femmes dans des travaux autrefois apanage des hommes. Dans l’Armée, la Gendarmerie et la Police, on retrouve de plus en plus la présence féminine. Travailler pour une de ces professions est, si l’on en croit notre interlocutrice, un choix qui est diversement apprécié, mais n’a rien de particulier. Car l’essentiel est, juge-t-elle, de mener une vie descente à travers ses propres moyens.
Métiers guidées par… l’instinct de survie
D’autre part, la multitude des réseaux téléphoniques et la hausse de l’utilisation du téléphone portable a favorisé la vente des cartes de crédit dans des boutiques et kiosques dédiées à cela et dans les rues. Ce domaine aussi n’échappe pas à la gent féminine qui a investi le créneau.
Au centre ville de Dakar, les incessants va-et-vient et le bruit des automobilistes donnent à la Place de l’Indépendance son vacarme des jours ordinaires. Devant les banques qui bordent l’avenue du président Léopold Sédar Senghor, un groupe de jeunes femmes, cartons à la main, exhibent les différentes offres (promotions) des opérations de téléphonies disponibles.
Voile bien noué, le pas pressé, Amy jette des regards furtifs un peu partout à la quête de clients. La vente de carte (de recharge) crédit est, depuis plus d’un an, le gagne pain de cette ancienne élève. «J’ai fait le bac à plusieurs reprises, sans succès. Donc j’ai décidé d’arrêter».
Actuellement, cette dame, la vingtaine dépassée, passe ses journées au centre ville pour écouler ses produits, un métier qui n’est pas de tout repos. «C’est difficile, mais l’essentiel c’est d’avoir quelques choses pour subvenir à mes besoins», a-t-elle laissé entendre.
Les receveuses, ces «intruses» dans les transports en commun
La mise en œuvre du projet de renouvellement du parc automobile, dans le secteur du transport en commun urbain a engendré un autre phénomène nouveau. Des années après le lancement des «taxis-sisters», l’arrivée des minibus, communément appelés Tata, dans le paysage du transport de la capitale est à l’origine du développement d’un métier de vendeurs de tickets ou receveurs. Une nouvelle trouvaille pour nombre de filles et jeunes dames qui se sont reconverties en receveuses. Non loin du centre de formation professionnelle et technique (Cfpt) Sénégal/Japon, le vacarme d’un bus en provenance de la banlieue dakaroise noie les éclats de rires d’un groupe de jeunes filles assises tranquillement, attendant le départ des véhicules dont elles sont préposées à la vente des tickets. Mame, Astou et Salimata profitent de l’arrêt de leurs bus respectifs pour prendre le petit déjeuner. Ces jeunes dames sont dans le lot de jeunes femmes qui, depuis l’avènement des bus Tata sont devenues des receveuses ou vendeuses de tickets. Une tâche qui, il y a de cela quelques années, était la chasse gardée des hommes.
La révolution n’est toutefois pas de tout repos. «Parfois, des clients nous disent: allez faire autre chose, ce que vous faites là, ce n’est pas une affaire de femmes», se désole Mame. Un des problèmes rencontrés dans l’exercice de ce métier c’est, renchérit Astou, l’insolence et le manque de respect dont certains font montre. «Pour un rien, on nous crie dessus. On nous traite de perroquet pour nous rabaisser», déplore-t-elle.
Abondant dans le même sens, Salimata raconte une de ses mésaventures: «j’ai une fois dit à un Monsieur de reculer un peu, mais ce jour là, il m’a traité de tous les noms d’oiseau. N’eut été l’intervention des passagers, il allait me frapper», raconte-t-elle en éclatant, paradoxalement, de rire devant ses «collègues».
Malgré tout, les femmes rencontrées se disent déterminées à continuer le travail car estiment-elles, avec la conjoncture économique, il faut une conciliation des efforts entre l’homme et la femme pour répondre à la demande sociale de plus en plus accrue.
La gestion du foyer, La question qui préoccupe
Jadis, confinées dans des travaux domestiques et à l’entretien du foyer, les femmes doivent aujourd’hui allier les exigences de la société et le devoir professionnel. La conciliation de ces deux est une prouesse que chaque femme doit réussir, de l’avis de Ndeye Coumba Mboup Mbengue, directrice de «Femme auto». «Il faut tout faire pour gérer convenablement la vie de foyer et le travail», soutient-elle. Et pour ce faire, révèle-t-elle, «j’ai engagé des bonnes et j’appelle souvent chez-moi pour voir ce qui se passe».
Contrairement à Ndeye Coumba, d’autres, en revanche, rencontrent des difficultés à allier le travail à la gestion du foyer. «A mes jours de travail, je quitte chez-moi à 4 h du matin pour en revenir à 21h. Ainsi, ma belle famille me tient souvent des propos discourtois. Elles disent que je ne suis d’aucune utilité pour eux», raconte Salimata.
Malgré tout, les filles célibataires exerçant ces métiers souhaitent continuer leurs activités après le mariage. «Avant de me marier, je vais en parler avec mon conjoint, il n’est pas question que j’arrête le travail. Je ne peux pas toujours dépendre de lui et heureusement les hommes n’épousent plus des filles oisives», laisse entendre Mariéme une mécanicienne.
FEMMES ET METIERS DES …HOMMES - LE REGARD DE L’AUTRE
Confiner les femmes dans des travaux domestiques ou à des tâches qui leur sont spécifiques, telle est la place que naguère, la société réservait aux femmes. Pour certains, il ne peut pas y avoir de différence dans l’exercice d’un métier. D’autres, par contre, plus conservateurs, résument les occupations de la femme aux croyances ancestrales. «Il faut aller vers tout ce qu’on aime. Il n’y a pas de norme dans la vie qui restreint la femme à certaines choses», confie Nathalie. D’ailleurs, estime-t-elle, «la société trouve normal que les hommes aient un métier, les femmes doivent aussi s’autoriser à faire ces métiers d’hommes, si elles sont capables de le faire». Abondant dans le même sens, Fatou, une étudiante, trouve que «les gens ne sont plus à l’ère ou les femmes restent à la maison en s’occupant des tâches ménagères seulement. Il n’y pas de métier d’hommes ou de femmes». Et d’ajouter, «les hommes n’assument plus leurs engagements vis-à-vis des femmes, cause pour laquelle elles sont obligées de sortir des maisons et de concurrencer les hommes».
S’inscrivant dans la même mouvance, Mactar Diaw, homme d’affaires soutient «avoir compris très tôt que les femmes avaient effectivement leurs places pour faire les autres métiers». Et, pour étayer ses dires, poursuit-il «j’ai employé dans la plomberie sanitaire, l’addition d’eau et l’assainissement une femme qui est devenue finalement chef de groupe du département de la plomberie». A l’en croire, une telle prouesse est possible. Car, souligne-t-il, parfois, «les femmes ont souvent une expertise plus poussée que les hommes». Par contre, Gora Ngom vendeur de voiture, rencontré sur la Voie de dégagement nord, trouve que «les femmes ont failli à leurs missions, leur place est à la maison». Selon lui, «une femme doit être sous la responsabilité d’un homme». Et d’aouter: «si par ailleurs, elle veut faire autrement, elle serait obligée d’endosser un travail qui n’est pas le sien. Certains travaux ne doivent pas être à la portée des femmes», conclut-il.