QUAND LES TÊTES TOMBENT
On ne parlera pas de génocide. L’histoire a chargé ce mot de manière assez dramatique pour qu’on s’amuse avec. Mais l’hécatombe est tout de même massive depuis que la première tête a roulé sous le banc.
On pourrait parler d’actes fratricides, mais il y a longtemps que les deux camps ne tirent plus le même mégot. Si l’un en est toujours au Camélia et continue à trouer ses semelles en écrasant un bout incandescent toutes les dix minutes (un petit paquet par match), l’autre plastronne dans la loge avec un «barreau de chaise» entre les dents, se chauffant les poumons au Montecristo.
Parler d’homicide reste également trop fort. Car, après tout, il n’y a pas mort d’homme – encore que vu au second degré…
Le couple président-entraîneur a changé de nature avec les mutations qui emballent le foot. Même combat, peut-on toujours dire, mais la fraternité du destin appartient à un autre monde. Entre les deux partenaires, le «coachicide» est devenu un drame permanent.
La pandémie qui emporte les entraîneurs règne sous toutes les latitudes. Le virus, avec ses multiples facettes, peut tuer de «mort subite» ou après une «longue maladie». Rares sont les systèmes humanitaires qui résistent à l’infection, quand le syndrome d’immunodéficience s’installe et que les défaites ravagent les anticorps.
Un grand coach est «mort» samedi, il s’appelle Villas Boas et officiait à Tottenham. Il y a deux saisons, on le pensait inscrit au registre de l’immortalité. Marseille a perdu Elie Baup, il y a une semaine, noyé dans le Vieux Port. La saison dernière, il a accompli le «miracle» de porter l’Om en Ligue des champions.
Ces deux célébrités qui disparaissent cachent une hécatombe d’illustres anonymes et on ne compte guère ceux qui passent chaque weekend à côté de l’Afc (accident fatal du coaching).
Démis ou démissionnaire, le destin demeure le même. Il y a juste ceux qui anticipent la fatalité et préfèrent devancer le bourreau.
Le championnat du Sénégal, qui vient de démarrer, a atteint un niveau ahurissant de «coachicide» la saison dernière. Rien qu’en Ligue 1, six entraîneurs avaient été liquidés. Le professionnalisme dicte sa loi dans une logique implacable. Celui qui paye commande. Comme on ne peut limoger toute une équipe, on agit sur le commandement. N’est-ce pas que le poisson pourrit par la tête ?
Le sujet passionne et le phénomène a fait l’objet d’études poussées. Quelle est l’espérance de vie d’un coach, quand la gangrène de la défaite commence à s’installer ? Un universitaire britannique, Chris Hope, a posé son diagnostic. Selon lui, à cinq défaites de suite on peut commencer à creuser sa tombe. Le successeur est souvent l’adjoint. Ce faux-jeton qui se cale avec aplomb dans le fauteuil, comme d’autres se glissent avec volupté dans les draps de la femme du frère défunt.
Mais les études ne lui sont guère favorables. Son espérance de vie ne dépasse pas une saison. Comme toute roue de secours, elle est appelée à sauter à l’étape du prochain village, devant l’enseigne du premier vulcanisateur qui apparaît.
D’habitude, les dix premières journées sont sans danger. C’est dans l’urgence, quand le titre s’éloigne ou que la descente se rapproche, que l’épée de Damoclès tombe.
Mais toutes les têtes ne se coupent pas de la même manière. Les entraîneurs ne sont égaux ni dans la vie ni devant la mort. Entre ceux qui apprennent leur exécution dans la presse ou par Sms et ceux qui partent avec les formules de politesse, il y a tout ce qui fait la différence entre le coach et la «cloche».
Le cas typique reste celui de Lamine Dieng avec la Douane, la saison dernière. La dérive fut longue et implacable, jusqu’à la descente en Ligue 2. Chez les «Gabelous», on a dû se dire qu’on ne souille pas une icône, préférant mourir avec les convictions nourries à l’endroit d’un technicien à l’expertise reconnue.
Mais dans l’absolu, l’affect a déserté le milieu. On est dans le monde du résultat et de la rentabilité. La science du coaching ne s’évalue plus, elle se quantifie.
On peut regretter le temps où des entraîneurs pouvaient porter des projets dans la durée. Mais en ont-ils désormais la fibre ? Car, sur le banc aussi, l’intérêt financier conditionne la sédentarité ou la transhumance. Les quarante-deux ans de Guy Roux à Auxerre ou les vingt-sept saisons vécues par Alex Ferguson à Manchester United sont sans doute les derniers anachronismes de l’histoire.
Mais (autre question) a-t-on toujours l’étoffe pour faire de si grands hommes ? De plus en plus, le coaching est une affaire de personnage que de personnalité. Depuis le Menotti du Mondial-1978, visage fermé, tiré à quatre épingles, debout à côté de son banc, le technicien vaut aussi ce que vaut son image. D’autres ont le verbe qui fascine et comble le vide qu’il peut y avoir en eux. Et la presse suit, jusqu’à ce que la vanité ne puisse plus emplir la vacuité de l’être.
Mais quand les têtes tombent, on ne peut plus cacher ce qu’il y a dedans. Le temps qui passe est aussi porteur de vérité.