QUAND LES TELECENTRES DEVIENNENT DES REPONDEURS
MANQUE DE DISCRETION, FLORAISON DE LA TELEPHONIE MOBILE, BAISSE DES RECETTES…

Après une période de succès dans les villes et les villages du Sénégal, le phénomène des télécentres (cabine téléphonique) publics et privés tend vers son déclin Des milliers de promoteurs, qui ont fermé boutique pour cause de non rentabilité et forte pénétration du téléphone mobile, parlent d’une mort programmée et provoquée par les services compétents. D’après eux, l’Agence de régulation des télécommunications et des postes (Artp) est responsable des conséquences de l’échec et de la disparition des télécentres qui ont fondu comme du beurre au soleil.
Des 107 216 lignes téléphoniques, qui ont été créées au Sénégal entre 2000 et 2005, il n’en reste qu’une petite poignée. Conséquences: 130 télécentres en moyenne ferment par mois et plus de 3000 gérants se retrouvent au chômage chaque année. A Dakar où Grand-Place a effectué son enquête, la situation n’est pas plus reluisante.
Les télécentres disparaissent en chaine. Les promoteurs évoquent la question de la baisse constante des recettes. Ils ne parviennent plus à couvrir leurs dépenses de fonctionnement. Beaucoup de gérants se sont endettés avant de mettre la clef sous le paillasson. Ceux qui n’ont pas fermé se battent ardemment pour ne pas disparaître.
«Personne ne veut maintenant venir dans un télécentre pour faire des appels. Les gens préfèrent les téléphones portables. Ceux qui viennent, c’est juste pour des courts appels. Ou bien ils viennent pour recevoir des appels de l’extérieur. En quelque sorte, nous servons de répondeur. Je fais difficilement 1000 fcfa de recettes par jour. Avant la prolifération des téléphones mobiles, ma recette journalière dépassait 15 000 fcfa», raconte Aïda Sakho, gérante de télécentre au carrefour du petit marché des Hlm. Promoteur de télécentre privé à Grand Dakar, Abdou Akhate Léye renchérit:
«Les recettes mensuelles ne me permettent pas de couvrir les dépenses de fonctionnement de mes deux télécentres qui s’élèvent à 250 000 fcfa. Quand ça marchait bien, j’arrivais à surmonter toutes ces dépenses jusqu’à faire des bénéfices. Durant 3 mois, je n’ai pas réalisé 100 000 fcfa de recettes. J’ai été obligé de mettre la clé sous la porte».
Plus loin au grand marché de Guélaw sis au quartier de Béne Tally, Abdourhmane Barry, 42 ans gérant de télécentre, passe ses journées à se tourner les pouces. «Les clients ne se bousculent plus devant mon télécentre. Les factures sont payées difficilement les fins du mois. Je passe la journée à regarder de gauche à droite dans l’espoir d’entendre la voix d’un client. C’est très dur», se lamente-t-il.
Dans cette rue, où il y a 2 ans se dressaient une dizaine de télécentres privés, aujourd’hui seul celui d’Abdourhmane Barry n’a pas fermé sa porte. «Je ne tarderai pas à suivre les autres», a-t-il cependant confié.
Au delà des pertes de bénéfices, les promoteurs accusent le développement de la téléphonie mobile d’être responsable de leur déclin. Falou Diallo, propriétaire de 6 télécentres dans la période des vaches grasses, soutient, elle-aussi, que l’avènement des portables est responsable de la fermeture en chaîne de ces centres de services téléphoniques. De ses 12 télécentres, aucun n’est opérationnel aujourd’hui. «Chaque fin du mois, les difficultés se multiplient. Mon patron a été obligé de rendre toutes nos lignes à (Sonatel) et de l’informer de la fin de nos activités», a-t-elle confié.
Pourtant, informe Mme Ndiaye, propriétaire de télécentre et vacataire à la Loterie nationale sénégalaise (Lonase), «le prix à l’impulsion dans un télécentre est moins cher que sur le portable ». La tête inclinée sur la table, elle brandit une ancienne facture qui remonte à trois ans et qu’elle n’a d’ailleurs pas pu régler. L’autre handicap dont souffre ce secteur, d’après un agent d’une maison de télécommunication, «c’est l’absence de textes réglementaires malgré son dynamisme et le nombre important de personnes qu’il attire. De plus, il n’est pas suffisamment structuré et c’est la raison pour laquelle les télécentres sont en train de disparaître au même rythme».
POUR SURVIVRE DES GERANTS TRANSFORMENT LEURS TELECENTRES EN MULTISERVICES
Ils sont nombreux, les promoteurs et travailleurs des télécentres privés qui accusent leur fournisseur principal, la Sonatel et l’autorité de Régulation des télécommunications, d’être responsables de cette situation.
«Au moment de la libéralisation du secteur des télécommunications, ils n’ont pas tenu compte de la survie des télécentres», laisse entendre Abdoulaye Bousso, ancien gérant de télécentre, aujourd’hui reconverti dans la vente des cartes de crédit et la recharge électronique (sédo, Izi, Yakalma). Pour tirer son épingle du jeu et faire en même temps de bonnes affaires, Anta Soumaré transformé son télécentre en multiservices. «Dans mes télécentres, j’ai une panoplie de services. Internet, vente de carte prépayée, recharge électronique, envoi de fax, service bureautique. Le client trouve beaucoup de choses chez nous. Il y a même un réfrigérateur dans tous mes télécentres où on vend des boissons fraîches sucrées», indique notre interlocutrice rencontrée dans les artères de la capitale. Mais, Anta n’est pas la seule à innover pour se maintenir face à la concurrence de la téléphonie mobile. Faty Cissé, une autre gérante de télécentre aux hlm témoigne: «En dehors des recharges électroniques, je vends dans mon télécentre des consommables informatiques. En plus j’ai fait des petites cabines en vitres où le client peut téléphoner en toute discrétion. Cela attire les clients qui ne veulent pas venir dans les télécentres à cause du manque de discrétion».