QUELLE MOUCHE A PIQUE MACKY SALL
«Gardez-vous, dira l’un, de cet esprit critique :
On ne sait bien souvent quelle mouche le pique ;
Mais c’est un jeune fou qui se croit tout permis,
Et qui pour un bon mot va perdre vingt amis».
(Nicolas Boileau)
Le chef de l’Etat était sorti de ses gonds, jeudi dernier, à l’occasion du Conseil présidentiel sur le suivi de la politique économique et sociale. Il a vitupéré sur les lourdeurs du Code des marchés publics, qui l’empêcheraient de faire des réalisations ; on dirait même de gouverner. Le Président Macky Sall refuse «d’être ligoté par des procédures obsolètes». Ainsi, demande-t-il la révision des procédures édictées pour la passation des marchés publics. Sans aucune prudence, il prône purement et simplement la rébellion en déclarant : «Je n’accepterai pas que les procédures nous empêchent de faire des résultats. J’ai été élu pour prendre en charge les préoccupations des populations, même si je reste attaché à la bonne gouvernance».
On pourrait comprendre le souci de Macky Sall de faire une course contre la montre du fait qu’il va bientôt arriver à mi-mandat, sans encore pouvoir exhiber des réalisations effectives. Il peut être agacé d’autant qu’il a pris sur lui de réduire à cinq ans son mandat. Mais pour autant, est-ce véritablement la faute au Code des marchés ? Est-il besoin de rappeler que le Code des marchés est appliqué depuis le 25 avril 2007 au Sénégal, avec ses mécanismes et procédures et cela n’a pas empêché pour autant que le régime de Abdoulaye Wade ait pu faire des réalisations.
Personne ne dira que le Code des marchés est parfait. Il est sans aucun doute perfectible et certaines procédures pourraient certainement être allégées. Seulement, on se demande si le chef de l’Etat s’y prend avec intelligence. En effet, la tactique d’attaquer le Code des marchés, bille en tête, ne pourrait prospérer et lui vaudrait bien des déboires. Il faudrait apprendre des autres. Son prédécesseur Abdoulaye Wade avait refusé jusqu’à l’idée du Code des marchés et s’en prenait même publiquement à son ministre de l’Economie et des Finances, Abdoulaye Diop, qu’il accusait «de vouloir [lui] imposer un Code des marchés sous le diktat des bailleurs de fonds».
Abdoulaye Wade semblait ignorer que la chose était une condition sine qua non des bailleurs de fonds pour continuer leur coopération avec le Sénégal. Il y avait des voix fortes et autorisées, comme celles de Gilles Hervio, délégué de l’Union européenne, Alex Segura représentant du Fmi, Jean Christophe Rufin ambassadeur de France entre autres, pour lui faire savoir que le Sénégal est souverain mais, sans le Code des marchés, il lui faudrait trouver des ressources propres pour financer ses projets. La réalité de la gouvernance mondiale et la pauvreté de son pays avaient vite rattrapé Abdoulaye Wade. Il était incapable de lever des fonds et finira par aller à Canossa. Le Code des marchés avait alors été adopté sans plus de discussions.
Aujourd’hui, sur cette question, Macky Sall n’a pas plus de marge de manœuvre que son prédécesseur. Il ne pourra rien imposer aux bailleurs de fonds. Il ne peut pas demander à ces derniers de lui financer ses réalisations sans suivre les règles édictées. Il s’y ajoute que la rébellion de Macky Sall peut détonner par rapport à ses engagements pour la mise en œuvre d’une gouvernance publique vertueuse.
Son attitude pourrait compromettre tout le capital de sympathie et surtout les réelles intentions de soutiens, de la part de la communauté des partenaires au développement, qu’il avait pu engranger grâce à cet idéal de transparence. Il apparaît malvenu, juste un mois après avoir été un hôte symbolique à la dernière réunion du G8 en Grande Bretagne autour du thème de la transparence dans la gouvernance publique, que Macky Sall donne des coups de boutoirs aux règles de transparence.
Le président de la République devrait d’abord et bien se demander si ses difficultés pour conduire ses projets ne tiennent pas plus aux turpitudes de son gouvernement qu’aux procédures. Le gouvernement éprouve des difficultés pour gérer les chronogrammes des projets. Quelles carences et manques de diligence n’a-t-on pas noté quand il s’était agi de mettre en œuvre des directives du chef de l’Etat pour la réalisation de logements sociaux à Tivaouane Peulh ? Est-ce que le Code des marchés est en cause si le gouvernement n’a pas pu distribuer des semences certifiées aux paysans ?
Est-ce que le Code des marchés est en cause si le gouvernement n’arrive pas encore à procéder au recensement des entreprises en difficultés et leur trouver des solutions de survie, alors que le chef de l’Etat lui avait imparti l’échéance du 28 février 2013 ? Est-ce à cause du Code des marchés que la dette intérieure n’est pas payée dans les délais pour lesquels le gouvernement s’est engagé ? Quelle est la part de volonté de triche et de roublardise des membres du gouvernement qui voudraient faire du gré à gré leur méthode préférée de passation de marchés publics en traînant les pieds jusqu’à finalement invoquer des urgences ?
Est-ce un problème de Code des marchés de vouloir coûte que coûte faire un gré à gré sur le marché de réhabilitation du Building administratif ? Le Président Macky Sall est berné par son gouvernement qui voudrait lui faire croire que la Côte d’Ivoire par exemple n’est pas soumise aux mêmes rigueurs d’un code des marchés. Non seulement les contextes politiques du Sénégal et de la Côte d’ivoire ne sont pas les mêmes mais aussi, la Côte d’Ivoire peut compter sur un gouvernement crédible, qui rassure et inspire confiance à la communauté des partenaires au développement. C’est un secret de polichinelle qu’aucun des principaux artisans des questions économiques et financières du gouvernement du Sénégal ne bénéfice de la confiance des bailleurs de fonds.
Il s’y ajoute que la méthode entreprise par Macky Sall pour amener à réviser le Code des marchés apparaît maladroite. Au lieu de monter au créneau directement, le chef de l’Etat aurait été inspiré de laisser d’abord les récriminations à son gouvernement, aux partis politiques, à la société civile et aux chefs d’entreprises. Une fois le débat bien installé, il aurait demandé à ses partenaires une évaluation du Code des marchés en tenant compte des réactions de cette opinion publique et les amener ainsi à lâcher du lest. Mais l’affaire semble être prise du mauvais bout, surtout avec une attitude qui tendrait à faire des réformes de façon unilatérale… On ne voit pas comment la société civile pourrait l’appuyer dans une telle logique.