QUELLES ORIENTATIONS POUR L’ACTE III DE LA DÉCENTRALISATION ?
SALIOU GUEYE DE SenePlus FAIT PARLER L’EXPERT ABDOULAYE DIARRA (Première partie)
Le débat sur l’Acte III de la Décentralisation continue de soulever un véritable tollé dans la classe politique de même que dans l’Association des maires du Sénégal. Il se susurre même que l’ex-ministre de l’Aménagement du Territoire et des Collectivités locales, Arame Ndoye, a été emporté par les nombreuses contestations soulevées par l’Acte III de la Décentralisation. Si un tel projet révolutionnaire ne parvient pas encore à trouver un écho favorable auprès des populations, c’est parce qu’elles en ignorent le contenu réel. C’est qu’Abdoulaye Diarra, ingénieur des eaux et forêts, aménagiste socio-économiste, ancien Directeur de l’Agence régionale de développement (ARD) de Kédougou, donne un avis d’expert sur ce projet controversé à des fins d’éclairage.
Au regard des résultats auxquels l’Acte II a abouti, il est clair que si nous voulons faire un saut qualitatif vers une amélioration significative de la gouvernance locale, nous devrions nous appuyer très fortement sur les résultats auxquels la réforme de 1996 a abouti. Toute autre voie serait périlleuse et grosse de dangers pour notre jeune démocratie. L’on ne bâtit jamais ex-nihilo, je sais que d’aucuns vont tout de suite essayer de rétorquer en disant qu’il y a eu des termes de référence, des notes d’orientation et toute une panoplie de documents préparatoires à l’Acte III de la décentralisation et qui ont intégré les résultats de l’Acte II. Mais le fait est que des documents préparatoires à eux seuls, ne suffisent pas à garantir une bonne réforme. C’est la raison pour laquelle, j’apporte une modeste contribution à ce débat aussi passionnant que passionné sur cette réforme considérée comme majeure par une bonne frange de l’opinion de notre pays.
Que personne ne s’y trompe, ce n’est ni la propriété du chef de l’Etat, ni la propriété d’aucun groupe. Il s’agit d’une affaire très sérieuse qui va impacter nos vies à nous tous et celles de nos enfants et petits-enfants. Certes, le président de la République est soucieux comme tout dirigeant, de doter son peuple du meilleur dispositif possible pour une éclosion des territoires et des talents. Et cela, dans le monde moderne se fait à travers un bon système politique et administratif, d’où sa volonté à repenser les bases qui doivent faciliter l’émergence.
Aujourd’hui, la décentralisation du système politique et administratif est devenue un enjeu majeur et une orientation principale dans toutes les démocraties dignes de ce nom, qu’elles soient vieilles ou jeunes. C’est pourquoi certainement, elle a occupé une place de choix dans tous les programmes proposés par les candidats à l’élection présidentielle de 2012 et notamment dans celui du candidat Macky Sall devenu président.
RENFORCER LES ECHANGES AUTOUR DE LA REFORME
Force est de constater que nous avons raté un grand moment de débats et d’échanges lors de la campagne électorale précédente en mars 2012. Cela a été l’une des grandes faiblesses de notre démocratie où toutes les parties se sont focalisées sur celui qui devait être porté à la tête du pays au détriment des contenus programmatiques qui ont à peine été discutés. La presse et la société civile ont une responsabilité par rapport à cette situation au même titre que la classe politique. Résultat des courses : les discussions sur une question aussi importante n’ont été entamées qu’après bien des mois sans feuille de route précise et claire. En effet, tout au début de la volonté exprimée par le chef de l’Etat, l’orientation donnée à la réforme, la profondeur de celle-ci, les nombreux chamboulements annoncés n’étaient pas de nature à rassurer la plupart des acteurs. Aussi, pour mener et réussir une réforme aussi profonde, il aurait fallu pour moi que le Président s’implique personnellement où à défaut que le Premier ministre pilote ce dossier extrêmement sensible. Intervenue en 1996, la deuxième réforme consacre la régionalisation, avec, notamment, l’érection de la région en collectivité locale, la création de communes d’arrondissement, le transfert aux collectivités locales de compétences dans neuf domaines, le contrôle de légalité à posteriori. Un des objectifs, du reste atteint, était d’accroitre la proximité de l’Etat et renforcer la responsabilité des collectivités locales. Il faut dire que le contexte et les enjeux du développement local ont sensiblement évolué et justifie peut être que le chef de l’Etat veuille bien procéder à une autre réforme.
Cependant, rien ne permet de dire que les résultats auxquels la réforme de 1996 ont abouti ne seraient pas meilleurs si l’on avait exploité toute la richesse des textes de 1996 et surtout mis à la disposition des collectivités plus de ressources pour mieux prendre en charge les compétences transférées. D’où l’impérieuse nécessité de bien tirer toutes les leçons de notre expérience de 1996.
Ce serait une erreur de penser que ceux qui ont été à la base de la réforme de 1996 n’ont pas pensé à toutes les formules agitées aujourd’hui. Sans revenir sur les échanges avant le vote des lois de 1996, il y a eu véritablement une réflexion très poussée suivie de discussions à tous les niveaux, des échanges entre les acteurs à travers différents débats, rencontres, conférences, foras, etc. je veux dire simplement que l’on s’est donné vraiment le temps de la réflexion. Je pense que c’est le sens qu’il aurait fallu donner à cette décision du conseil des ministres réuni le jeudi 13 septembre 2012. Le chef de l’Etat y engage le Gouvernement, tout en consolidant les acquis engrangés depuis son installation, à garder le cap et à accélérer le rythme des réformes, en prenant soin de bien les préparer, d’expliquer clairement leur sens et leur raison d’être et d’associer les acteurs concernés dans leur conception et dans leur mise en œuvre.
La vision qui guide la mise en œuvre de l’Acte III de la décentralisation s’inspire de celle du chef de l’Etat : «Organiser le Sénégal en territoires viables, compétitifs et porteurs de développement durable à l’horizon 2022». Le chef indique sa vision, mais le technicien éclaire cette vision en lui proposant les instruments utiles et les moyens à mettre en œuvre pour y arriver avec tous les acteurs. Car, il s’agit comme certains l’ont dit d’une relocalisation des politiques publiques qui s’élaborent au niveau des territoires. Rien de nouveau je serais tenté de dire, parce que les politiques publiques sont élaborées depuis quelques années au niveau des territoires : sinon comment il faut comprendre toutes les ressources qui ont été englouties dans l’élaboration des Plans Locaux de Développement (PLD), Plans d’Investissement Communal (PIC), Plans Régionaux de Développement Intégré (PRDI) et Schéma Régional d’Aménagement du Territoire (SRAT). Il s’agit de documents de planification très efficaces conçus depuis quelques années de manière participative dans les territoires considérés jusqu’ici comme viables car je rappelle que les découpages en territoires collectivités opérés l’ont toujours été avec des techniciens, élus et autorités administratives qui se sont appuyés sur des critères. Que des critères politiques président à certains choix peuvent s’expliquer mais en aucun cas ils ne doivent perturber le nécessaire équilibre et le souci d’une cohérence territoriale qui génèrent des entités viables. Certains services techniques de notre pays ont d’ailleurs toujours travaillé en considérant les zones éco géographiques (ZEG), c’est dire que l’idée de partir de ces entités pour appliquer des stratégies à grande échelles n’a jamais été laissée en rade. Doit-on pour autant regrouper encore les régions pour épouser les contours des ZEG ? Il s’agit d’une question cruciale qu’il convient à mon sens de discuter avec tous les arguments relatifs à un meilleur aménagement du territoire. Mais dans ce débat, les questions techniques doivent occuper la même place que celles sociales et économiques.
LA COMMUNALISATION INTEGRALE ?
Aujourd’hui que le débat est relancé à la suite des premières difficultés relevées et des récriminations d’une bonne partie de l’opinion, je vais éclairer un point important abordé dans l’Acte III de la Décentralisation : il s’agit de la communalisation intégrale.
Si celle-ci, comme semblent le dire certains, a comme effet principal, entre autres, de faire accéder à plus de ressources aux anciennes communautés rurales, on peut arriver à ce résultat sans forcément un chamboulement aussi précipité.
Ensuite, sans qu’il y ait eu forcément une réforme totale, les redécoupages successifs procédés par le régime sortant ont été des actes majeurs qui ont déjà impacté sur la vie des communautés. Il ne s’agit pas aujourd’hui de se précipiter pour dire que ces découpages sont mauvais et de vouloir tout redécouper et réorganiser même si l’idée des zones éco géographiques ou des pôles territoires est séduisante, il ne reste pas moins vrai que revenir à seulement 7 régions dans le contexte actuel peut être source de beaucoup de frustrations et de résistances nuisibles à toute réforme. La réforme dans ce cas-là, produit l’effet contraire recherché. Les nouvelles entités créées (communautés rurales et communes) qui n’ont même pas commencé à fonctionner pour donner peut-être la pleine mesure de leurs capacités, verraient leurs élans brisés au nom d’une recomposition/réorganisation «TGV» surtout dans un contexte de faible maîtrise du foncier. Car passer à une autre réforme avec une communalisation intégrale sans avoir réglé de gros préalables serait plus que suicidaire et aventurier pour notre jeune démocratie.
(A suivre)