Quelles réelles retombées pour le Sénégal ?
Visite du président Barack Obama au Sénégal
Barack Obama est venu, a vu mais n’a pas réellement convaincu les Sénégalais ce sur quoi ils l’attendaient : des perspectives fortes sur le plan économique. Aussi en bon touriste, le président américain, accompagné de sa famille et de sa belle-famille, s’est-il procuré quelques heures de repos au pays de la Téranga. La seule fausse note, a-t-il confessé, c’est le fait de n’avoir pas assisté à un combat de lutte pour agrémenter son séjour. Mais somme toute, le président hôte Macky Sall peut se réjouir de l’image du Sénégal symboliquement rehaussée sur le plan diplomatique par la venue du président américain.
Quand Barack Obama se fit élire comme le 44e président des Etats-Unis le 4 novembre 2008, il suscita plus d’espoir pour les Africains que pour les Américains eux-mêmes qui l’ont porté au pouvoir. Le « Yes we can », porteur d’espoir profond de développement, était plus un slogan incitant le continent à une prise de conscience de ses propres potentialités qu’à une assistance séculaire perpétuée par des programmes d’aide qui ont toujours permis au pays de l’Oncle Sam d’avoir une mainmise très solide en Afrique.
Lors de sa visite éclair au Ghana, en 2009, la déclaration de Barack Obama relative à consanguinité avec le peuple noir renforça l’espoir de voir les Etats-Unis accroitre leur intérêt pour le développement économique de l’Afrique. Mais l’attitude postérieure du locataire de la Maison Blanche détonna avec les attentes et les impatiences fortes des Africains. Pour des raisons stratégico-électoralistes, Obama, dont les origines africaines sont avérées, n’a jamais voulu se faire passer pour le président du continent le plus sous-développé du monde. Et cela à juste raison.
C’est ainsi que, sur le plan économique, des actions fortes n’ont pas été posées en direction de l’Afrique, que cela soit en termes d’investissements ou d’aides publiques au développement. Pour preuve, la part des exportations africaines vers les Etats-Unis est tombée de 17 % à 10 % entre 2000 et 2011, quand celle à destination de la Chine grimpait dans le même temps de 3,2 % à 13 %. Ce qui fait que, depuis 2009, le niveau du commerce sino-africain est devenu deux fois plus important que celui du commerce afro-américain.
Les États-Unis sont aujourd’hui le deuxième partenaire commercial de l’Afrique du Sud – deuxième étape de la tournée du président américain – après la Chine dont la concurrence se fait de plus en plus sentir. Ainsi depuis qu’il a été réélu le 6 novembre 2012, Obama, libéré de toute contrainte électorale, se donne comme mission de contrer l’occupation chinoise sur le continent africain.
C’est ce qui expliquerait sa tournée africaine dans des pays comme l’Afrique du Sud et la Tanzanie que le président chinois Xi Jinping a visités récemment. Le numéro 1 chinois, grand invité du groupe des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, South Africa) qui s’est réuni trois mois à Durban à l’occasion d’un sommet, a d’ailleurs promis lors de son voyage en Tanzanie de construire le plus grand port d’Afrique à Dar-es-Salam.
Xi a aussi déclaré lors de ce sommet que la Chine traiterait l’Afrique comme un partenaire « égal », contrairement aux anciennes puissances coloniales occidentales dont les entreprises n’ont jamais permis de relever réellement le niveau de développement des pays où elles se sont établies depuis les indépendances.
Il faut ajouter à cela que si les Etats-Unis ont perdu du terrain en Afrique, c’est à cause de leur politique d’ingérence et d’implication dans la déstabilisation de certains régimes contrairement à la Chine qui ne s’immisce pas dans les affaires intérieures des Etats africains.
On note que dans le cadre de la coopération afro-américaine, le président Obama est à la traîne comparativement à ses prédécesseurs Georges Bush et Bill Clinton. Le premier a marqué sa coopération avec l’Afrique avec son African Growth and Opportunity Act (Agoa), qui accorde un accès privilégié et défiscalisé aux exportations africaines sur le marché américain, et le second, qui a fortement soutenu la lutte contre le sida en Afrique, a eu son Millenium Challenge Account (MCA).
Et c’est pour pallier ce retard que Barack Obama a promis en terre sud-africaine de mettre en place un plan « Power Africa » à hauteur de 7 milliards de dollars qui aiderait certains pays africains à développer de façon responsable des ressources récemment découvertes, à construire des centrales et des lignes électriques, et à élargir les solutions de mini-réseaux et de systèmes hors-réseau. Les heureux élus sont l’Éthiopie, le Ghana, le Kenya, le Liberia, le Nigeria et la Tanzanie, pays affectés par des coupures d’électricité fréquentes.
Mais le Sénégal, qui souffre du même déficit de production électrique et qui a reçu en premier le président américain, n’est pas bénéficiaire de ce plan de production énergétique. Ce qui nous amène à nous poser la question sur les véritables enjeux de la visite d’Obama au Sénégal. Si l’Afrique-du-Sud, qui représente le tiers du PNB africain, et la Tanzanie, qui regorge d’importantes réserves de gaz et de pétrole, intéressent les Etats-Unis pour des raisons économiques, il n’en est pas de même pour le Sénégal dont le volume d’exportations de produits vers le pays d’Obama reste insignifiant malgré les avantages afférents à l’Agoa.
La visite du président américain est plus symbolique qu’économique. Les Etats-Unis d’Amérique accordant une attention particulière aux valeurs démocratiques, il est normal que l’homme le plus puissant au monde ait choisi dans sa tournée africaine le Sénégal, indépendamment de son statut de pays francophone, comme pays référentiel à visiter.
Le voyage d’Obama aura permis plus ou moins au Sénégal de redorer au plan international une certaine image ternie par la politique du président Abdoulaye Wade peu soucieux des bienséances de la diplomatie. Et c’est ainsi que l’on comprend la phrase bienheureuse du président Macky Sall : « la visite du président Obama permis de repositionner le Sénégal sur la scène diplomatique ».
Mais est-ce qu’une simple visite sans enjeux et perspectives économiques réelles de président américain peut faire rebondir, comme l’espère le président Sall, notre pays parmi ceux dont les voix portent et comptent sur la scène internationale sans une véritable politique diplomatique qui serait au service d’un développement économique ? Abdoulaye Wade a reçu Bush comme Abdou Diouf a reçu Clinton mais les choses n’ont pas réellement évolué en termes d’image au plan diplomatique. Le Burkina Faso, qui n’est pourtant pas un modèle de démocratie, continue de faire prévaloir par l’entregent de son président sa voix sur tous les problèmes de l’Afrique occidentale.
La venue d’Obama est plus touristique qu’économique. Le Sénégal, en réalité, n’a été qu’une escale du président américain sur sa route vers les pays où les enjeux économiques sont plus forts et plus importants. Il a visité l’historique maison des esclaves de Gorée – passage obligé de tout président américain en déplacement au Sénégal –, il a reçu une partie de la société civile, s’est brièvement entretenu avec dix présidents de Cours suprêmes, il a dansé le Mbalakh assaisonné de Yéla. Mais les patrons d’entreprises qui font booster la croissance et créent des emplois ont été littéralement ignorés par le président américain et les 500 hommes d’affaires qui l’ont accompagné.
Obama a même regretté de ne pouvoir assister à ce sport abêtissant qu’est la lutte avec frappe. Ç’aurait été le point d’orgue exquis du voyage de loisir du président américain avec sa famille et sa belle-famille. Même si Obama a promis un changement de paradigme dans la coopération entre le Sénégal et les Etats-Unis en promettant un partenariat d’égal à égal, au delà de la simple assistance, on a toutes les raisons de douter de l’importance que son pays accorde au nôtre sur le plan économique même si des organismes comme l’Usaid et le Corps de la paix assistent le Sénégal dans certains projets de développement économique.
Il faut que nos dirigeants évitent de se gargariser de tout triomphalisme ou succès diplomatique après la visite du président américain. Le véritable succès d’une visite doit se jauger à l’aune de ses retombées économiques et de son impact sur nos objectifs opérationnels de développement.
Certes, avoir une voix qui porte parmi ses pairs est une chose mais avoir une économie qui compte parmi les autres nations est encore meilleur. Mais faute de merles économiques, le président Sall peut se contenter de grives diplomatiques. C’est toujours ça de gagné…