QUESTIONS AUTOUR D'UN FINANCEMENT
Birahim Seck du Forum civil s'interroge : combien coûte le sommet de la Francophonie ? Qui a financé l'organisation, le contribuable sénégalais ou la Turquie ?
Dans une tribune que nous reproduisons in extenso (avec des intertitres de la rédaction), Birahime Seck du Forum Civil s’interroge. Il s’interroge sur ce qu’il qualifie de "Francofolie !". Et c’est "le manque de transparence" qui entoure la gestion de l’organisation du XVe Sommet de la francophonie, fin novembre, à Dakar, qui pose problème à ce membre du Conseil d’administration du Forum Civil.
La Dgf a-t-elle des choses à se reprocher ou à cacher ?
"La Délégation générale pour l’organisation du XVe Sommet de la Francophonie (Dgf), qui se tiendra à Dakar les 29 et 30 novembre 2014, a-t-elle des choses à se reprocher ou pire, à cacher ? La vaste campagne de communication à laquelle on assiste, déroulée depuis quelque temps, est-elle pour convaincre les Sénégalais que leur argent a été dépensé de manière orthodoxe ?
En début de semaine, jusqu’à avant-hier, avant l’inauguration officielle du Centre de conférences de Diamniadio, des spots télé ont été diffusés, mettant en lumière des communicateurs traditionnels, des artistes-musiciens (qui n’ont apparemment pas été briefés tant les confusions et les hors-sujets ont été nombreux), ont été mis à contribution.
Quelques jours avant, nous avons été téléspectateurs des visites de chantier de Monsieur le Président de la République, des délégations d’Etats francophones, de journalistes. Dans son édition spéciale du jeudi, la Radio Télévision du Sénégal nous a fait revivre la même ambiance folklorique d’avant le Sommet de l’Oci et le Fesman. Rien n’a changé".
"Ce qui n’a pas changé également, c’est également les méthodes de gestion. La Délégation générale à la Francophonie (Dgf), est en train de prendre le même chemin que ces agences qui ont géré le Sommet islamique (Anoci) et le Fesman. Les images d’euphorie vues, avant-hier, à la télévision nationale, ne doivent pas occulter l’essentiel, si l’émergence, pour laquelle nous aspirons tous est notre credo.
La Dgf sur les pas de l’Anoci et du Fesman
Déjà, il y a un an, dès l’annonce faite par le chef de l’Etat à son retour de Brazzaville qui accueillait en 2012, le XIVe Sommet de la Francophonie, que le Sénégal sera le prochain hôte, des irrégularités et une nébuleuse se sont faites jour. La première est le projet architectural du Centre international de conférence de Dakar (Cicd), attribué sans appel à concurrence, avec la bénédiction du président de la République, pour un montant initial de 269 millions.
Puis, le 22 juin, lors d’une émission sur la chaîne de "Radio Sénégal", le Premier ministre d’alors avait confirmé qu’il n’y avait pas eu d’appel d’offre et que les travaux de construction avaient été confiés à une entreprise turque. L’urgence avait été évoquée par Monsieur Mankeur Ndiaye, le ministre des Affaires Etrangères, non sans avouer également qu’il aurait été possible de rénover l’existant.
En août dernier, dans le journal ‘Sud Quotidien’, Monsieur Jacques Habib Sy, Délégué général au XVe Sommet de la Francophonie, nous informait que "la société turque Summa a été engagée par l’Etat du Sénégal dans le cadre (d’)accords. Summa a sous-traité plusieurs marchés avec des entreprises sénégalaises. Summa a également recruté plusieurs centaines d’ouvriers Sénégalais qui ont bénéficié de salaires et d’assistance sociale réglementaires et ont beaucoup appris auprès des ouvriers spécialisés turcs".
Ces propos, tenus par le directeur de Aid Transparency qu’il était, n’auraient pas dû être. Se présentant en d’autres temps comme un défenseur acharné de la bonne gouvernance, il aurait dû d’abord exiger un appel d’offres, pour au moins faire bénéficier les meilleurs taux préférentiels, pour une durée de remboursement correcte et un délai de grâce compatible avec notre économie".
Nébuleuse autour du financement
"A ce jour, malgré une campagne de communication rondement menée, la Délégation générale à la Francophonie ne nous a pas édifiés sur le coût exact du Centre de conférence.
Dans l’interview d’août accordée à "Sud Quotidien", Monsieur Jacques Habib Sy avait annoncé que ‘le financement du Cicd a fait l’objet d’une subvention de l’Etat turc à travers Eximbank à hauteur de 25 milliards de francs Cfa, le reste étant financé par le Sénégal à hauteur de 15 milliards de francs Cfa. Des travaux supplémentaires suggérés par des conseillers spéciaux du chef de l’Etat ont été engagés et sont en voie de finition’.
Quarante milliards donc étaient prévus. Lors de la rencontre de la Délégation générale à la Francophonie et des patrons de presse, qui s’est tenue le 18 octobre dernier au King Fahd Palace, Monsieur Yakham Mbaye, Secrétaire d’Etat à la Communication, a annoncé que le Centre a coûté 51 milliards sans donner des explications sur le supplément de 11 milliards.
Comment une si importante augmentation a pu arriver entre le mois d’août et le mois d’octobre. Les Sénégalais ont besoin de savoir. Dans un Etat qui se respecte, une hausse aussi vertigineuse devait conduire à la démission du Délégué général à la Francophonie. Cela n’est rien d’autre qu’un pilotage à vue de ‘toute la machine administrative (qui) est mobilisée à plein régime’ pour reprendre ses termes.
Cette augmentation subite constitue un indice devant interpeller la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei), l’office National Anti-Corruption (Ofnac) et la Centif, pour empêcher des dissimulations rapides de mouvements financiers. Dans leurs présentations du montage financier du Centre de conférence de Diamniadio, le Délégué général à la Francophonie, comme le Secrétaire d’Etat à la Communication, laissent à penser que la Turquie finance une partie et le Sénégal l’autre.
Pour rappel, le Délégué général lui-même avait déclaré que ‘le financement du Cicd a fait l’objet d’une subvention de l’Etat turc à travers Eximbank à hauteur de 25 milliards de francs Cfa, le reste étant financé par le Sénégal à hauteur de 15 milliards de francs Cfa".
Quant au Secrétaire d’Etat à la Communication, il a dit : ‘le financement du Centre international est supporté par Eximbank Turque à hauteur de 62% et par l’Etat du Sénégal pour 38%". Autrement dit, 32 milliards sont apportés par les Turcs et 19 milliards viennent du Trésor public sénégalais.
Dit comme ça, il est vite compris que la Turquie nous fait un don. Or, alors il s’agit d’un prêt avec un taux d’intérêt de 3,75% à payer sur une période de dix ans, avec un délai de grâce de 18 mois. Les conditions du prêt ont été révélées par le journal ‘Le Quotidien’. Aucun démenti n’est apporté par les autorités sénégalaises. Comment cela a-t-il été négocié ? Qui a négocié cette convention. La Crei ne doit-elle pas s’intéresser à eux ? Les 51 milliards sont-ils hors ou toutes taxes ?".
Absence totale de transparence
"D’ailleurs, le président de la République vient de confirmer dans son discours d’inauguration du 23 octobre 2014 que c’est un prêt qui a été accordé par Eximbank à la suite d’une rencontre en mars 2013 à Paris avec le patron de l’entreprise turque, Summa. Pire, le chef de l’Etat a avancé le chiffre de 57 milliards de francs Cfa pour situer le coût du financier du centre.
Ce qui est somme toute révélateur. Monsieur le Président de la République, cet acte est en parfaite contradiction avec votre dernier discours sur la transparence tenue lors du Conseil des ministres du 22 octobre 2014, au Palais de la République. En plus Monsieur le Président, la qualité et la diligence doivent s’accommoder de la transparence. Ce qui vous avez perdu de vue depuis la conception du projet jusqu’à sa réalisation.
En outre, la qualité s’apprécie dans le temps et dans l’espace. De plus, votre conseiller-architecte, Monsieur Emile Diouf, nous a rapporté dans un reportage diffusé par la Rts que vous avez fait des recherches dans le monde pour trouver une entreprise qui était capable de réaliser ces travaux de construction du Centre sur une durée de 15 mois. Mais vous n’en avez pas trouvé.
Cependant, nous sommes en droit de se demander, comment cette recherche a été faite ? Sur la base de quel cahier de charges ? Quelles ont été les critères de qualification permettant de sélectionner une entreprise ? Est-ce qu’il y a d’autres entreprises et banques qui ont été saisies pour présenter des offres sur la base minimale du délai de grâce, de la durée de remboursement et du taux concessionnel ?
C’est le minimum de garantie de transparence qu’un chef d’Etat doit s’entourer pour convaincre. A partir du 1er décembre 2014, nous ferons les comptes et les décomptes du Sommet de la Francophonie. La gestion domaniale et financière sera scrutée à la loupe et nous ne manquerons pas de vous revenir avec le contrat de plus de 2,5 milliards, accordé à un directeur d'une entreprise belge nommée Studio Tech".