QUESTIONS D’ÉQUITÉ JOURNALISTIQUE, ÉQUITÉ TOUT COURT
D’avoir rappelé à la presse que tant qu’il faut parler de détenus, il ne faut pas oublier Mamadou Sèye, ancien directeur général du quotidien national Le Soleil, m’a valu des commentaires désobligeants, des attaques ad hominem, certaines doutant même de mes lucidités et capacités de discernement.
D’autres me suspectent d’être de ces journalistes qui réclament une impunité pour tout journaliste quel que soit le délit qu’il aurait commis. Et au passage, ces mêmes contempteurs en profitent pour clamer leur hostilité au projet de nouveau code de la presse, surtout en son passage qui préconise la dépénalisation du délit de presse. Concernant cet aspect, moi, personnellement, je soutiens que c’est à nous journalistes d’être capables d’assumer cette dépénalisation du délit de presse.
A ce sujet, il me revient un propos du chanteur français Carlos (le fils de la célèbre pédiatre et psychanalyste française, Françoise Dolto) disant (je le cite par paraphrase) que « dans ma jeunesse, j’ai eu à voler ma liberté pour sortir de la maison et aller faire quelques espiègleries ; mais si j’ai volé cette liberté, c’est parce que je m’en sentais capable ». Forcément, nous journalistes, devrons être « capables » d’être régis par ce code dont tout le monde – ou presque, sauf les députés de la majorité à l’Assemblée nationale du Sénégal – souhaite l’adoption.
Capables, cela voudra dire que la presse ne soit pas un outil de règlements de comptes ; qu’on ne puisse pas animer un journal qui serait un espace d’apologie de l’irrédentisme, de travers comme la pornographie, la pédophilie… Ou l’instrument de ceux qui agiront avec la conviction ou le sentiment que l’objectif à atteindre vaudra bien le prix que la justice ferait payer à ceux qui auront commis leur délit de presse à ce sujet. C’est là autant d’aléas ou d’inconnus à prendre en compte quand on réclame la dépénalisation du délit de presse.
Jusque-là, il y a comme un suivisme écervelé, des naïfs qui hurlent avec les loups, qui clament dépénalisation parce que c’est dans l’air du temps… Il faudra accepter d’en payer le prix coûtant… Et c’est la vie de l’entreprise de presse qui sera hypothéquée. Entre un ou des journalistes en prison et leur journal en faillite, il y a comme un choix cornélien entre mourir de la preste ou du choléra.
Après cette digression, revenons-en à l’affaire Mamadou Sèye pour confirmer mon légitime dégoût du blackout que la presse a fait là-dessus alors qu’au même moment elle consacre des articles entiers à des individus incarcérés comme Sèye. D’illustres journalistes et d’autres d’un rang intermédiaire m’ont appelé pour avouer n’avoir jamais su que Sèye était en prison ! Une ignorance qui renforce mon sentiment – que d’autres partagent avec moi – que la presse en fait trop pour les autres et pas assez pour Sèye – pas dans le sens de le défendre, mais de juste faire savoir qu’il est en prison.
Il ne s’est point agi pour moi de soutenir que Doudou Sèye n’aurait commun aucune faute – au contraire, sa gestion a été mise en cause par un rapport de l’Inspection générale d’Etat – mais plutôt que tant que la presse se fait autant loquace sur le sort des Karim Wade, Aïda Ndiongue et consorts, elle devrait l’être sur le cas de Doudou Sèye. Souhaiter qu’on tienne la balance égale ne veut pas du tout dire défendre à tout crin et de manière débridée, voire déraisonnable ce que nul ne doit nier.
Pas plus que nous n’avons voulu dire qu’Ibrahima Gaye, lointain prédécesseur de Sèye, n’a fauté – ce qui lui a valu un séjour carcéral. Lui au moins, il a bénéficié d’une solidarité agissante de patrons de presse (je n’aime pas du tout ce terme), de chefs d’entreprises de presse, comme Baba Tandian, Sidy Lamine Niasse, Ben Bass etc. qui organisèrent un tour de table pour collecter les millions de francs nécessaires au remboursement de l’argent que Gaye était accusé d’avoir perçu de manière illicite. Mais, son éditorial au lendemain de l’arrivée de Me Abdoulaye Wade au pouvoir lui a valu des représailles et la mise en exergue, paraît-il, d’« erreurs de procédure » (sic). Cela doit être rappelé.
Jean Meïssa DIOP
Post-scriptum : Aminata Touré a démissionné de ses fonctions de Premier ministre du Sénégal ! Cette fois-ci est la bonne… l’information exacte, bien différente des canulars et autres tuyaux crevés répandus dans la presse au cours de ces derniers mois. Il ne se passait pas un jour ou – au plus une semaine – sans que quelque journal n’annonce le limogeage de Mimi. On ne sait si ce fut un souhait ou la conséquence d’une manipulation. A ce sujet, il faudra lire avec intérêt la chronique de Sidy Diop publié dans Le Soleil du 4 juillet et consacré à « La rumeur, le scoop populaire »; la chute vaut le détour : « Ainsi va la rumeur, jusqu’à ce qu’elle soit supplantée par la dernière nouvelle. »