QUI APRÈS COMPAORÉ ?
Le président Blaise Compaoré a finalement tiré sa révérence sous la pression de son peuple après avoir vainement tenté d’user d’une énième supercherie avec son projet de révision constitutionnelle, finalement retiré. Pourtant la France comme les Etats-Unis n’a jamais sommé l’ex-président du Faso de renoncer à sa forfaiture à part une lettre de François Hollande au ton doucereux, limite timoré. Cela se comprend puisque Blaise était devenu l’interlocuteur privilégié de Paris en Afrique occidentale et en plus, le territoire burkinabè est devenu une base de surveillance et de contrôle pour les Etats-Unis dans leur lutte contre le terrorisme.
Faure Gnassingbé prêt à un forcing
D’ici à deux ans, l’intention avortée de Blaise de vouloir prolonger sa vie présidentielle risque de faire des émules dans six pays ; les quatre sont des ex-colonies françaises et les deux ont subi la colonisation belge. En 2015, Faure Gnassingbé du Togo et Pierre Nkurunziza du Burundi arriveront au terme de leurs mandats respectifs. Itou, 2016, pour Yayi Boni du Bénin, Denis Sassou Nguesso du Congo et Joseph Kabila de République démocratique du Congo. L’année suivante, ce sera autour de Paul Kagamé du Rwanda.
Mais si certains chefs d’Etat pourraient voir leur projet rencontrer des résistances, au vu de la réalité politique chez eux et des intérêts de la France ou des Etats-Unis, il est indubitable que pour d’autres la forfaiture passera comme lettre à la poste.
Selon l’Accord politique global (Apg) de 2006, qui a suivi les violences consécutives à l’élection controversée de Faure Gnassingbé, le mandat du Président togolais se limite à deux. Mais aujourd’hui, cet Apg n’est pas mise en application ; les députés de la majorité l’ayant rejeté. Ainsi ils agitent la thèse selon laquelle la loi n’est pas rétroactive car le premier quinquennat pendant lequel l’Apg avait été conclu n’est pas concerné par la limitation du mandat présidentiel. Mais si l’opposition, la société civile et la jeunesse togolaise se battent à l’instar des burkinabè, le président Faure pourrait reculer.
Ngurunziza, Boni et Kabila dans l’incertitude
De la même façon, Pierre Ngurunziza du Burundi peut reculer sous la pression des Etats-Unis. Mais ce dernier, dont le parti regorge de jeunes, les Imbonerakures (les guetteurs), formés et encadrés militairement, a prévu de lancer sa meute embrigadée pour briser toute velléité de résistance des autres segments de la société burundaise. En sus, la rémanence de la guerre civile qui a fait des milliers de morts peut être un atout pour Ngurunziza dans son projet de modification constitutionnelle.
Yayi Boni, inquiet d’être poursuivi après son départ, hésite à mettre en œuvre son projet de modification constitutionnelle. Mais le paradigme du «pays des Hommes intègres» peut influer sur ses intentions. Joseph Kabila, lui, est presque sûr qu’il ne peut pas compter sur la France et les Américains avec qui il n’est pas en odeur de sainteté à cause de son incompétence à diriger son pays constamment en butte à des rebellions armées déstabilisatrices. Son seul atout réside dans la faiblesse de l’opposition congolaise qui a un problème de leadership fort et confirmé. La société civile est aussi à l’image de l’opposition. Seule l’Eglise reste la principale force de résistance insubmersible à la corruption qui déchire les deux premiers segments susnommés.
Par contre, Sassou Nguesso et Kagamé, en toute quiétude, peuvent modifier leur constitution sans grand danger. Dans chacun de ces pays, l’opposition et la société civile ne sont pas à la hauteur du parti au pouvoir. En outre, ces deux chefs d’État disposent de forces policières et militaires répressives qui n’hésiteront pas à mater toute tentative de s’opposer à leur projet.
Denis Sassou Nguesso en roue libre
Même si Denis Sassou Nguesso n’a pas entretenu le peuple congolais de ses intentions de supprimer la limitation des mandats, il a laissé entendre dans le magazine Jeune Afrique n°2463 (23-28 mars 2008) que «le véritable exercice démocratique exclut la limitation des mandats présidentiels, pourvu que les élections soient libres et transparentes. Le peuple est en droit de conserver un dirigeant aussi longtemps qu’il le juge bon et utile pour le pays».
Pourtant l’article 185, alinéa 3 de la Constitution congolaise du 20 janvier 2002 dispose que «la forme républicaine, le caractère laïc de l’Etat, le nombre de mandats du président de la République… ne peuvent faire l’objet de révision». Voulant matérialiser son rêve de modifier la Charte fondamentale de son pays, l’actuel Président congolais, retourné au pouvoir en 1997, à la faveur d’un coup d’Etat, poursuit qu’«il est faux de croire que le véritable exercice démocratique exclut la limitation des mandats présidentiels».
Ces propos tenus six ans auparavant sonnent très actuels dans le camp de la majorité congolaise décidée à présenter bientôt un projet de suppression du mandat présidentiel afin de rejoindre le club des pays (le Cameroun, le Tchad, l’Algérie, l’Equateur, le Soudan, le Gabon, l’Ouganda, le Djibouti, l’Angola) où la présidence à vie est assurée avec des élections frauduleuses constantes.
Il est indubitable que le dictateur de Brazzaville peut tripatouiller sa Constitution sans encourir des mesures de répression de la part de la communauté internationale, notamment la France et les Etats-Unis. Mais ce qui sous-tend cette complicité implicite des Occidentaux, c’est l’enjeu de l’exploitation pétrolière.
Le groupe français Total assure officiellement près de 60% de la production nationale. Exxon Mobil et Chevron Texaco, firmes américaines tout comme Eni, compagnie pétrolière italienne, sont aussi présents. Et pour ne pas compromettre ces avantages économiques dont ils jouissent sur le territoire congolais, les Occidentaux sont prêts à fermer l’œil sur toute forfaiture allant dans le sens de faire perdurer le régime de Sassou.
Sanctions à géométrie variable
De tous les chefs d’Etat africains qui veulent modifier leur Constitution pour briguer un ou plusieurs autres mandats, Kagamé est le plus sûr de réussir son projet. Non seulement il dirige d’une main de fer son pays, mais il n’existe ni opposition, ni société civile, ni une presse libre dans son pays. En plus le génocide des Tutsi (1994), ethnie à laquelle il appartient lui confère une impunité subjective dans la région des grands Lacs où il joue, au plan militaire, un rôle de premier ordre.
C’est un secret de Polichinelle que le dictateur de Kigali n’a qu’un rêve : détacher le Sud-Kivu et le Nord-Kivu du territoire de son voisin de la République démocratique du Congo et les rattacher au Rwanda afin de constituer un Etat riche et puissant au cœur des Grands Lacs. Même s’il est avéré que Kagamé est identifié comme le soutien financier et logistique, voire l’initiateur des rebellions armées de l’est du Congo, il ne court du reste aucune sanction internationale.
Les richesses minières et pétrolières du sous-sol rwandais représentent un enjeu économique que veulent se partager Belges, Français et Américains. Ainsi soutenir Kagamé dans toute initiative qui prolongerait sa vie présidentielle reviendrait à bénéficier d’une partie de ces ressources minières et pétrolières.
Ainsi, le soutien ou la condamnation des régimes africains tentés de violer leur constitution à la fin de leurs mandats est tributaire des intérêts des uns et des autres. La position géostratégique et le poids économique de chaque pays concerné détermineront le comportement des pays occidentaux.