RADIOSCOPIE D’UN GRAND CORPS MALADE
Crise énergétique
La polémique sur les avantages sociaux qui occupe le devant de la scène cache un mal plus profond dont souffre la Senelec. Déficit de capacité productive, coût de production onéreux, vétusté du réseau, fraude massive, instabilité à la direction. Autant de maux.
Au-delà de la querelle sur les indemnités (in)dues, la Senelec est confrontée à un mal plus sérieux. Résultant particulièrement d’une mauvaise gestion, d’un manque d’investissement et d’une dépendance aux hydrocarbures. Avant la mise en œuvre du plan quinquennal Takkal (2011-2014) comme thérapie de choc, le diagnostic infrastructurel de la Senelec faisait état d’un parc vétuste et d’une capacité de production très limitée. L’étude réalisée dans le cadre du Takkal montre « un déficit chronique (35 MW en 2010) avec une capacité assignée limitée et une très faible fiabilité (40% non disponible au total ».
Le diagnostic met au jour également un parc de production très coûteux dont 90% fonctionne au fuel/diesel. Selon les experts en charge de l’étude, le parc de la Société d’électricité est caractérisé par une grande disparité avec 3 grands « sous-parcs » (parc vétuste, parc intermédiaire et parc moderne et fiable). En dépit de cette situation assez contraignante, la dégradation du parc s’est accentuée, pour plonger la Senelec dans une spirale négative liée à la sous capacité structurelle. Notamment la baisse du taux de disponibilité de 77% à 69% (parc Senelec) et le renchérissement de la production (+23% de 2007 à 2012).
Evolution de la clientèle
Concomitamment à la baisse de la production, la demande est montée en flèche. Le nombre de clients a connu « une évolution moyenne de 4,3% par année entre 2010 et 2013, essentiellement tirée par la clientèle Basse Tension qui a augmenté de 4,3% ; alors que la clientèle Moyenne Tension a évolué de 2,1% par an », note la commission de Régulation du Secteur de l’Electricité dans son rapport 2013 sur la révision des conditions tarifaires de Senelec 2014 – 2016. Le plan Takkal établit une demande en pointe de 430 MW (octobre 2010), avec une courbe de charge classique (saisonnière + pic journalier lumière). A cela s’ajoute une croissance forte avec un doublement de la demande dans les années 2000.
Au même moment, l’entreprise était caractérisée par un net ralentissement de la croissance depuis 2005, « laissant présager une demande latente/non exprimée importante : 80 MW (plus ou moins 40 MW) avec un ralentissement net 2005 (début des délestages) », renseigne le plan Takkal. Le non respect des programmes de maintenance a également favorisé une dégradation importante du parc de production. En guise d’exemple : le coefficient de disponibilité du parc est passé de 77% en 2007 à 69% en 2010.
Perte financière
Pour faire face à cette situation d’urgence entraînant des tensions sociales, la Senelec était contrainte de recourir à des unités de pointe coûteuses pour combler le gap de capacité. De cela résulte le renchérissement du coût de production, qui passe de 61 F CFA le Kwh en 2007 à 75 F CFA/Kwh en 2010. Ainsi, la société a connu un déficit moyen hors compensations de 27 F CFA/Kwh vendu sur 2006-2010, soit un déficit opérationnel cumulé de près de 250 milliards. Le déficit moyen est alors passé à 7 F CFA/Kwh sur la période 2006-2010, malgré les compensations, soit un déficit opérationnel cumulé de 70 milliards sur la même période. Pour maintenir les tarifs appliqués aux ménages, l’Etat a ainsi procédé à une compensation de plus de 130 milliards en 2012 par exemple.
Toutefois, la mesure pourra être abandonnée dans les prochaines années, en raison de la pression constante du Fonds monétaire international (Fmi). Cette crainte est d’autant plus fondée que l’Etat a procédé, cette année, à la baisse de cette compensation. Mais, la mise en service des centrales à charbon (moins couteuses) et la suppression de la compensation, induiront forcément une hausse des tarifs de l’électricité. Toutefois, il faut souligner que la Senelec ne fixe pas elle-même les prix. Il revient à la Commission de Régulation du Secteur de l’Electricité (CRSE) de fixer un prix plafond, sur lequel SENELEC doit s’aligner. « Ainsi, l’écart négatif entre le revenu calculé avec les tarifs en vigueur et le revenu maximum autorisé de SENELEC, induit un ajustement tarifaire ou une compensation budgétaire de la part de l’Etat », explique la Lettre de politique sectorielle.
Raison pour laquelle nombre d’observateurs s’accordent sur le fait que « le secteur de l’énergie reste parmi les mieux réglementés ». Dans ce souci de maîtrise des prix, la CRSE, autorité indépendante, est chargée de la régulation des activités de production, de transport, de distribution et de vente d’énergie électrique.
Remèdes
Le plan Takkal a prodigué des remèdes de choc au grand malade Senelec. Ceux-ci vont de l’augmentation de la capacité de production à l’introduction de nouvelles sources d’énergie. Pour le premier volet, le plan s’est attelé à la mise à niveau rapide du parc, une mise à niveau des réseaux de T & D, une gestion agressive de la demande, la mise en place du Fonds de soutien à l’énergie (Fse). Le Plan Takkal a ainsi mis en œuvre un programme de location de groupes diesel d’une capacité de 50 MW au Cap des biches et 100 MW à Kounoune, pour combler le gap. Cependant, l’inconvénient de ce plan d’urgence réside dans le fait que la location des groupes à des prix prohibitifs contribue à grever le Fse.
En plus, ces petits groupes sont « économiquement moins rentables », comme le soutient Haby Dieng, Sg adjointe du Sutelec. Elle recommande la réhabilitation rapide des centrales de la Senelec à l’arrêt, dotées d’une plus une grande puissance de production. Aussi, le plan Takkal élaboré sans l’avis des travailleurs a concentré tous ses efforts à la production. Or, le transport et la distribution constituent des segments aussi importants que le premier. D’ailleurs, cette anomalie est à l’origine des coupures d’électricité, en dépit d’un surplus de production de près de 20 MW. Compte tenu de tout cela, nombre de cadres de la Senelec recommandent à la direction de rectifier la communication défaillante. Car avertissent-ils : « il est trop hasardeux de soutenir qu’il n’y aura plus de délestages. L’interruption de service peut intervenir à tout moment, à cause de la vétusté du réseau ou d’une panne ».
Diversification
Dans le sillage de la nouvelle Lettre de Politique de Développement du Secteur de l’Energie (LPDSE), 2012-2017, le plan Takkal mise sur la diversification des sources d’énergie pour éviter la forte dépendance aux cours mondiaux du pétrole. Car, ayant constaté que le potentiel hydroélectrique et les autres formes d’énergie renouvelables ne sont pas suffisamment exploités. « Les besoins pour les formes modernes d’énergie sont majoritairement satisfaits par une production à partir d’intrants importés. L’économie n’est, dès lors, pas indifférente aux fluctuations des cours du baril du pétrole », écrit LPDSE. En raison de cette dépendance, le coût de production à partir du fuel est largement tributaire du cours du baril du pétrole.
« L’obsolescence des équipements, l’inefficacité dans le transport et la distribution de l’électricité, viennent accentuer les difficultés du secteur », ajoute la même source. La production d’électricité est restée structurellement en deçà de la demande. Mais, avec le plan d’urgence, un surplus de production est noté depuis quelque temps.
Ce mix énergétique introduit pour faire face au déficit de production et au renchérissement du coût, est perçu comme une panacée. Il vise concrètement à renforcer le charbon et l’hydro-électricité avec une baisse simultanée de l’utilisation des hydrocarbures. Le bilan énergétique en 2010 révélait que les hydrocarbures ont représenté 98% des sources d’énergie de la Senelec et l’énergie hydraulique 8 %. Voulant renverser cette tendance, le plan quinquennal compte à l’horizon 2014 passer à 52% pour le charbon, 9 % pour l’hydraulicité et 39% pour les hydrocarbures. Dans le cadre de la coopération sous-régionale, le pays devrait renforcer ses capacités de production d’énergie hydro-électrique. Permettant ainsi de baisser sensiblement le coût de l’énergie.
Toutefois, la mise en œuvre du mix énergétique accuse un retard. Surtout en ce qui concerne la livraison des centrales à charbon et l’introduction des énergies renouvelables. « Pour impulser les énergies renouvelables, il faut un cadre politique et législatif réglementaires », constate un cadre de la Senelec. De même, l’introduction des lampes basse consommation (Lbc) qui devait baisser la facture énergétique tarde encore à se matérialiser. Egalement, la fraude est montée en épingle par les experts du secteur. Cette fraude sur l’électricité et sur le combustible porte de lourds préjudices à la Senelec.