RETOUR EN TERRAIN "DÉMINÉ"
VISITE DE MACKY SALL À L'UNIVERSITÉ
Macky Sall a de quoi se réjouir, et pas vraiment grand-chose à craindre pour sa visite de demain à l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad). Les différentes composantes de l'université se disent prêtes à lui réserver un bon accueil. Les quelques étudiants qui sont réticents à l'idée d'une telle visite ont été désarmés par les réformes, pour pouvoir soutenir une quelconque opposition.
L'Ucad est sur le qui-vive pour la réception du chef de l'État vendredi. Prétexte à cette visite symbolique dans cette université qu'il a fréquentée et quittée il y a 30 ans, l'inauguration des trois nouveaux pavillons de 1 044 places. Tout un dispositif est mis en branle pour l'accueil. Au rond-point de l'Avenue Cheikh Anta Diop déjà, trois voitures de police aux éléments sur-armés veillent à ce que les perturbations d'avant-hier et d'hier matin n'arrivent plus.
En tout cas, pas à 48 heures de la venue de Macky Sall. A l'intérieur, une effervescence inhabituelle pour ce mois de juillet finissant démontre que l'Ucad est sur le point de vivre un jour pas ordinaire. Une immense image du président sur fond du drapeau national accroche irrésistiblement l'œil du passant qui franchit le portail du terrain de football du Dakar université club (DUC). Une première mi-temps endiablée de finale d'inter-facs opposant INSEPS à la Faculté de sciences se déroule sous les hourras des supporteurs des deux équipes dans l'unique gradin du stade. En face, une dizaine d'ouvriers de l'entreprise "Diaw Bâches", en bleu de chauffe, sont tantôt absorbés par la frénésie du match, tantôt rappelés au devoir d'installer un grand chapiteau métallique, au pied des trois pavillons, sous lequel va se tenir la cérémonie officielle.
Le manager de ce projet de construction, un Américain se faisant appeler Oleg, fait savoir que ces bâtiments aux couleurs orange et gris comptent 59 chambres par pavillon et 19 chambres par étage. "Il ne manque que des travaux supplémentaires de deux escaliers ; autrement tout est fin prêt. C'est même la première fois que les étudiants disposeront d'eau de chauffage", se réjouit-il.
Des pavillons nommés A, B, et C en attendant leur désignation officielle par les autorités, dont la construction a pris neuf mois. Pour le directeur de la gestion de la cité universitaire, Khalifa Diagne, cette visite est une "symbolique forte" puisque le chef de l'État revient dans un lieu qui fait partie de son passé académique, qui l'a vu grandir.
"Macky Sall avait habité dans les pavillons H et A. Nous faisons de sorte que l'université soit parée de ses plus beaux atours. Sa venue est une occasion de parler des difficultés après lui avoir fait un bref exposé de nos missions", lance-t-il au sortir d'une réunion avec les délégués des Amicales, pour mettre au point les derniers préparatifs. Pour lui, il n'existe aucune dissension au sein des communautés estudiantine, syndicale, et administrative quant à l'accueil. Les mouvements d'humeur d'avant-hier mardi et hier, mercredi ne sont point une guerre de positionnement des étudiants, mais un mécontentement du Master I pour la sempiternelle question de bourses.
Les syndicalistes ne sont pas en reste dans ce concert de bienvenue prématurée à Macky. "Nous nous en réjouissons. C'est un honneur, un jour à marquer d'une pierre blanche d'autant que c'est la première fois qu'un président en exercice vient ici", exulte le secrétaire général du Syndicat autonome des travailleurs des universités et centres universitaires, Soriba Cissé. Dans la pénombre de la salle Soweto et ses sièges douillets, une réunion est organisée avec les camarades pour affiner les dernières positions. Les coups de téléphones résonnent dans une ambiance décontractée. Le syndicaliste, qui s'apprête à rejoindre ses camarades, estime que cette visite est "un atout qu'il faut exploiter car si le président se déplace pour vous prêter une oreille attentive, c'est l'occasion d'exposer les bons motifs", ajoute-t-il en faisant toutefois état d'un désir de l'amélioration des conditions des travailleurs du Coud.
Les amicales ok, les étudiants mitigés
Même la communauté estudiantine, habituelle poil-à-gratter des autorités, semble avoir rangé ses vieilles revendications et se fédérer pour recevoir Macky Sall. Le président de l'Amicale des étudiants de la Faculté de sciences économiques et de gestion (Faseg), Élimane Ba, déclare ressentir beaucoup "d'enthousiasme car c'est une opportunité pour toute la communauté estudiantine. Il n'y a aucun étudiant qui ne soit pas d'accord avec cette visite. Seulement il y a des individus qui en profitent pour se faire entendre car c'est une immense opportunité comme je l'ai dit", lance-t-il.
Les éventuelles dissensions quant aux étudiants qui devraient avoir l'honneur de parler au nom de leurs camarades ont été aplanies par une trouvaille assez originale. Seuls les représentants des amicales régulièrement constituées vont prendre la parole. La Faculté de médecine et la Faseg étant les deux seules à répondre à ce critère, depuis la dissolution des autres amicales en 2012, un "médecin" devrait parler au campus social et un ‘économiste' au campus pédagogique, ou vice-versa, fait savoir Élimane Ba. Une position qui n'est pas partagée par certains.
Au pavillon A, les étudiants font des va-et-vient incessants dans le campus social. D'autres dorment sur les balcons. La pilule passe toujours mal chez beaucoup. Dans les couloirs mal éclairés de cette grande bâtisse bleu et blanc, ils sont encore nombreux à squatter les lieux, obligeant les passants à parfois se faufiler entre deux matelas.
Malgré cette harmonie qui semble régner sur la venue du président de la République, la divergence est de mise chez certains étudiants de l'Ucad. Pour eux, la visite de l'ancien pensionnaire de l'Institut des Sciences de la terre (IST) n'est qu'un leurre politique. Ils pensent que si Macky Sall doit visiter l'Ucad, c'est pour constater de visu les mauvaises conditions de vie et d'études des étudiants.
D'autres estiment que c'est aberrant, car les travaux ne sont pas totalement achevés et qu'il est à l'origine de cette crise universitaire. Bilal Keïta, étudiant en Master II de Droit privé, exprime son désaccord : "Il nous a soutiré tous les avantages acquis avec le régime du président Wade. Les réformes universitaires ont entraîné la diminution du nombre des boursiers et l'augmentation des frais d'inscription" ; souligne-t-il. Suffisant pour que son camarade Atou Kanté, doctorant en Droit privé, bondisse de son lit pour le confirmer.
"C'est un paradoxe, c'est impertinent de se glorifier de la construction de trois pavillons alors que cinq résidences ont été démolies en 2012", lance-t-il. Même le responsable des cités universitaires, Khalifa Diagne, confirme que les nouveaux bâtiments font 1 044 lits à la place des 1 495 détruits des pavillonsF,G,H,IetNetB2 sur avis émis en 2010 par la Direction de la protection civile .
Dans cette chambre du pavillon A, personne dans la demi-douzaine d'étudiants présents ne supporte les réformes enclenchées par Macky Sall. Ils ne comprennent pas en outre que le président fasse un déplacement pour cette "avancée primaire" alors que le ministre de l'Enseignement supérieur aurait bien pu présider la cérémonie. "L'heure de faire la politique est dépassée, maintenant il n'a qu'à travailler", lance Aly Bodian du coin de la chambre, fulminant contre le fait de ne pouvoir se rendre à Sabodala pour des recherches environnementales à cause du paiement tardif des bourses et subventions.
Leurs avis ne sont toutefois pas partagés par Edouard Waly Diouf qui trouve normal que le Président vienne à l'université rendre visite aux étudiants. Selon lui, ils sont des Sénégalais avant tout et reçoivent un Sénégalais. Cependant, il déplore la simulation opérée par les travailleurs du Coud. "Il y a une indifférence des autorités à l'égard de l'université. Elles ont attendu la veille de la venue du président pour la réfection des routes et certains pavillons. Cela ne lui permettra pas de constater les difficultés vécues par les étudiants. Le logement est le problème principal des étudiants", proteste-t-il.