"SABARU JINNE", J’AI TOUT DE SUITE AIMÉ
LE POÈTE AMADOU LAMINE SALL À PROPOS DU ROMAN DE PAPE SAMBA KANE
Comme par cette porte de grâces connue du poète qu’il est, Amadou Lamine Sall entre dans le roman de Pape Samba Kane au contact du risque, de l’audace des structures et de la nouveauté. Ce texte, selon lui, innove, dans la maîtrise de la langue d’écriture comme dans l’articulation des thématiques. L’esthète des mots et des images, propriétaire des Editions Feu de Brousse, se laisse séduire par le roman de ce portraitiste, analyste et essayiste qui laisse défiler, au fil des tableaux et des labyrinthes, des techniques narratives aussi déroutantes qu’originales. Voilà, tel un tourbillon, « Sabaru Jinne » (le tambour du diable). Le texte est à l’impression pour paraître dans les semaines à venir.
Pouvez-vous revenir sur la réception que vous avez personnellement réservée au livre de Pape Samba Kane ?
J'ai tout de suite aimé ce texte, car il était étonnant. Il est rare de trouver des textes étonnants dans notre espace littéraire d'aujourd'hui. Etonnant mais aussi bien écrit. Autre rareté.
Comment avez-vous découvert ce texte ? Décrivez également votre émotion personnelle à la lecture du texte et sa qualité littéraire.
L'auteur me l'a donné à lire car, dit-il, il connait mon côté très critique et rebelle. Je l'ai gardé sans le lire. Pour une simple raison: je n'aime pas les romans, sauf ceux que des amis me conseillent ou des écrits d'écrivains dont je connais la force et le talent. J'ai fini par m'y plonger. Quand on a une grande complicité avec quelqu'un, on se dit: tiens, je vais quand même voir ce qu'il a dans le ventre. Ce n'était même plus un ventre, mais un corps entier et un esprit puissant maitrisant son art que je découvrais. La seule chose qui n'allait pas, c'est que Pape Samba Kane était dépassé par Pape Samba Kane. Son œuvre était des rafales qui s'entrecroisent ne laissant aucune marge au lecteur pour souffler. C'est un étourdissement soutenu, un étouffement continu, un enchevêtrement d'espaces et de champs de connaissances illimitées. J'avais en face de moi une forêt dense et odorante. Il fallait tailler des branches pour passer. Pape Samba Kane a accepté de le faire pour donner un beau et solide livre en mettant souvent à la poubelle son grand "je".
A la première approche, un tel titre laisse perplexe. Puis on se dit: lisons et on verra. J'ai vu: les personnages, les trames et non LA trame, les techniques narratives, tout était un tourbillon digne des transes d'une incroyable assemblée de diables. C'est un titre qui va bien au contenu de l'œuvre. Il va également bien à l'auteur car n'est-ce pas lui qui tient la baguette ?
Dans le titre, l’alliance du français et du wolof vous agrée-t-elle ?
J'avais souhaité dès lors que c'était une œuvre d'expression française, privilégier tout naturellement un titre en français. En discutant avec l'auteur, j'ai adhéré sans peine à son idée d'allier les deux langues. Cela ne gênait pas. On entrait tous ensemble, en même temps, dans la folle arène.
Vous êtes un poète majeur. Comment jugez-vous le niveau de maîtrise du français dans ce texte dans un contexte où, en général, règne le chaos sémantique et syntaxique ?
Poète majeur ? Seule l'histoire le dira dans 100 ans! Il reste que la poésie m'a donné de beaux enfants. Nous partageons sans doute, vous et nous, la même tristesse de voir dans quelle guenille la langue française prend froid dans notre espace francophone. Vous parlez de chaos mais il y a longtemps que nous avons dépassé le chaos. Ce qui se passe n'a plus de nom. Alors, quand on entre dans un livre comme celui de Pape Samba Kane, on est dans la jouissance. C'est d'abord le respect de soi-même, le respect et l'amour d'une langue, ensuite. Nul n'est obligé d'écrire en français. Il faut écrire dans la langue que l'on maitrise et quelle qu'elle soit. C'est un problème de respect.
Quelle est l’identité littéraire de ce texte comparé aux publications anciennes et récentes ?
C'est cette question qui ouvre la question de l'énigme identitaire de l'œuvre de l'auteur. Il faudra bien s'identifier au diable pour trouver où classer cette œuvre. Disons pour guérir nos maux de tête: c'est un roman, une œuvre de l'imagination. Mais, bien sûr, que c'est plus que cela. Un de nos membres du comité de lecture des Editions Feu de Brousse parle à la fois de roman dans le roman, roman à tiroirs, roman puzzle, roman de mœurs, roman psychologique, roman d'initiation, roman autobiographique, roman historique. Pour dire combien le lecteur devra être outillé pour sortir de ce labyrinthe. Et voilà l'intérêt de ce texte. Il innove !
Qu’est-ce qui a principalement motivé la publication de ce livre aux Editions « Feu de Brousse » que vous dirigez ?
C'est un livre éclectique, curieux, riche, entrainant, déroutant, qui demande un effort soutenu pour jouer le jeu de l'auteur. Le risque, l'audace des structures, la nouveauté, voila les mots et les raisons des Editions Feu de Brousse pour offrir ce livre au public. C'est déjà rare chez nous depuis maintenant de nombreuses années de parier sur un livre.
Quel regard jetez-vous sur PSK : l’éditorialiste, le chroniqueur, le portraitiste (« Le « Politicien », « Le Cafard libéré », « Le Matin », « Info 7 », « Le Populaire »…) le journaliste d’investigation (Livre sur les Casinos) et maintenant le romancier (« Sabaru Jinne »)?
Pape Samba Kane est une totalité ouverte. C'est un puissant intellectuel à l'esprit raffiné, un théoricien pointu et agaçant, un penseur libre mais pas raide, un homme d'idées à l'appétit robuste et qui a horreur du clientélisme. Il a beaucoup lu et beaucoup voyagé à travers les livres. Lire est un raccourci pour gravir les montagnes. Les bons écrivains qui n'ont rien lu de leur vie sont de redoutables menteurs. Il est aisé pour Papa Samba Kane de porter les robes de lumière qu'il veut. La littérature n'est finalement que le destin collectif du langage. Elle créé sa propre légende entre les mains de celui qui sait l'installer dans de magiques ruptures.
TABLEAU DE BORD DES EDITIONS «FEU DE BROUSSE»
«Notre premier handicap est le manque d'œuvres de qualité»
«Notre devise est que "le meilleur est à peine suffisant". Pour dire, combien nous sommes ambitieux en matière de publication. Notre premier handicap n'est pas l'argent, mais le manque d'œuvres de qualité. C'est là l'impasse. Contrairement à nous, les maisons d'édition qui ont choisi le financement dit du compte d'auteur s'en sortent toutefois fort bien, financièrement s'entend. La promotion du livre leur importe peu. Sachez que notre pays regorge de personnes qui ne rêvent pas de posséder une maison, mais de publier un livre.
«Oui, cela existe. Alors, elles sont prêtes à tout pour voir leurs écrits paraitre. Elles ne peuvent plus attendre que des maisons d'édition comme la nôtre leur fassent des notes de lectures qui prennent au moins six mois avec des recommandations de réécriture de leur texte. Elles filent tout droit payer de leur poche la publication de leur ouvrage chez un éditeur moins regardant, mais à la facture bien salée. Nous ne critiquons personne. Chacun est libre de faire son choix. Mais que l'on ne vienne pas nous parler de la maladie de notre littérature et de l'insoutenable mauvaise qualité des contenus.
«Nous, nous avons opté pour le plus difficile: la qualité. Nous avons également opté pour un financement de la maison d'édition et non l'argent des auteurs. Cela s'appelle au Sénégal choisir entre la faillite et la pauvreté durable. Tant pis pour nous. Notre choix est fait. C'est à ce prix qu'est la renaissance de notre littérature. Nous acceptons de le payer. Par ailleurs, voyez-vous, la promotion d'un livre coûte plus cher que sa fabrication. C'est pourquoi sur la quantité impressionnante d'ouvrages publiés, fort peu sont connus et lus. Sans compter la misère de nos médias qui ne donnent aucune place centrale au livre.
«Je souhaite vivement que l'inoubliable Conseil des ministres sur le livre avec les directives historiques du Président Sall soient enfin appliquées. J'en appelle à la diligence du Premier ministre qui n'était pas en fonction à l'époque et au pragmatisme du ministre en charge de la Culture soucieux de l'avancée du livre. Tout commence par le livre !»
PS : Cet entretien a été publié dans l'édition du Soleil du 11 mars 2015