SAIVET N’EST PAS NDIAYE OU DIOP, MAIS…
On est tout sauf xénophobe dans ce pays. Dans le sport comme ailleurs. Un des défauts qu’on traîne dans le domaine identitaire tient plutôt à un complexe de supériorité qui fait du ñak ce qu’était le barbare au temps de la Rome antique. Une norme de civilisation et de raffinement forgée dans les mémoires collectives sénégalaises depuis la coloniale. Mais une fois l’accent «bizarre» effacé, l’«élégance» assimilée, les codes du «nandite» (pour ne pas dire pire) bien intégrés, le ñak peut avoir n’importe quel nom aux sonorités propres «à faire fuir un lion», il peut disposer d’un label ndiadiane ndiaye.
Les équipes nationales du Sénégal traduisent depuis longtemps cette convergence identitaire qui fait qu’on ne compte plus les patronymes plus ou moins lointains qui ont porté l’emblème du «Lion». Que leurs origines soient béninoises, togolaises, libanaises, etc., cela a toujours été du «nous dans nous».
Par contre, depuis que le nom d’Henri Saivet s’est ajouté à la liste des «Lions», les questions n’ont pas manqué de surgir. De quel groupe ethnique ? L’interrogation ne saurait surprendre. Dans un pays où la généalogie est une part de toute histoire personnelle, on cherche toujours… la tante paternelle.
Mais qu’on ne s’y trompe guère, le Bordelais n’est pas un Sénégalais occasionnel. Ses ancêtres ont «côtisé» depuis plus d’un siècle pour fertiliser le sol de ce pays. On a cherché des Saivet au Sénégal, on en a trouvé qui vivaient du côté de la Casamance au début du siècle dernier.
Cent ans ce n’est pas un millénaire certes, mais au moins avec Saivet on ne s’embarrasse pas d’une histoire de «né à Dakar» ou quelque part ailleurs dans ce pays, par les hasards d’une immigration temporaire.
Saivet se raconte à la page 5, rencontré à Marrakech par Pape Lamine Ndour. On se rend alors compte que le premier jour où il descendra à Léopold Senghor, il ne se demandera point dans quelle soupe on l’a plongé. Il pourrait même avoir son fan’s club et sa banderole dans les tribunes. C’est important. On pourra lui demander des comptes et le secouer au besoin, s’il se «fout de nous», comme fils biologique de ce pays. Il y a aussi, pour Saivet, une adresse où le 12e Gaïndé pourra aller chanter et danser s’il devient le héros d’un soir.
Le Bordelais n’est donc pas un «intrus». Depuis le début de la vague des binationaux, l’équipe nationale a pu garder une identité sociologique reflétant ce que ce pays «est». Ailleurs tel n’est pas le cas. Car quand la Fifa et d’autres fédérations internationales ont fait éclater la barrière de la nationalité sportive pour faire de l’affiliation une question de feeling ou d’intérêt personnel, une certaine dérive est apparue. C’est ainsi qu’on a vu le Brésilien Santos devenir Tunisien. De même, lors de la Can-2012, l’équipe de Guinée équatoriale était un concentré de légionnaires à majorité brésilienne. Des basketteurs américains sont également devenus rwandais et le Qatar s’offre des médailles olympiques avec des athlètes kenyans, etc.
Dans le désordre crée par cette dérégulation, on a failli se retrouver avec des Sénégalais du «troisième type» en équipe nationale. Un certain Samuel Monnet est passé par là, pour un match catastrophique dans la cage des «Lions» qui a limité sa sénégalité aux 90 minutes d’un Sénégal-Burkina (2-4), en amical. C’était en 2002. De même, quelques opinions insistantes ont plaidé à cette époque pour la sénégalisation de Jean-Claude Darcheville. Bon buteur à Bordeaux (entre autres), jamais sélectionné en équipe de France, ce Guyanais d’origine a fait rêver pour l’attaque des «Lions». Mais pas plus.
Saivet est un «boy sicap». Même si ce fut pour trois ans, cela marque les gênes. Il a encore une bonne marge de carrière devant lui, fait partie des espoirs français en devenir, mais se revendique Sénégalais. En plus, il a sa part d’histoire à dérouler dans ce pays.
En visitant quelques sites généalogiques sur Internet, on tombe sur la saga ses Saivet en Afrique. Certains sont bien fournis. On voit par exemple qu’un Saivet venu de France en 1870, pour servir dans l’armée coloniale était sergent au Soudan (actuel Mali). Au Sénégal, dans un méli-mélo de dates et de parcours, on rencontre des Saivet en Casamance aux alentours de 1900. Certains sont rentrés, d’autres sont restés. Des enfants sont nés au Sénégal et la vie a continué. Jusqu’à Henri, qui a vu le jour en 1990, et pourrait bien devenir le plus célèbre des Saivet dans l’histoire du Sénégal.
Bien sûr, Saivet n’est pas Ndiaye ou Diop. Il n’est pas non plus Dupond ou Dupont en France. On le classe même au 186 203e rang des noms de famille existant dans l’Hexagone en termes de nombre. Qu’importe, au Sénégal, on serait fort heureux de le classer par ses nombre de buts avec les «Lions».