SCANDALES DANS LES PRISONS
RÉVÉLATIONS SUR LES 222 LONGUES DÉTENTIONS
La grève de la faim observée au début du mois en cours par des détenus de la Maison d’arrêt de Rebeuss (Mar) pour s’insurger contre leurs longues détentions a permis d’éventer le gros scandale qui se déroule depuis plusieurs années dans les prisons sénégalaises.
En effet, 222 personnes exactement croupissent depuis de nombreuses années en prison, en attente d’être jugées voire même d’être auditionnées. Mais le cas le plus flagrant d’atteinte aux droits de l’homme est celui du prisonnier Babacar Ngom.
Poursuivi dans une procédure de flagrant délit et en détention préventive depuis… le 7 mars 2007, Ngom est pourtant couvert par l’article 50 du Code pénal qui lui accorde une irresponsabilité pénale, puisqu’il ne jouit pas de toutes ses facultés mentales.
Si-nis-tre et affreux est le visage que présentent les prisons du Sénégal, plus particulièrement la Maison d’arrêt de Rebeuss (Mar) où les droits des prisonniers sont piétinés. Et les assurances du chargé de communication de l’Administration pénitentiaire Saliou Ndiaye lors de la récente grève de la faim des détenus de Rebeuss, visant à atténuer l’indignation des populations en niant les longues détentions préventives, n’ont pas réussi à reluire le tableau. Bien au contraire. La réalité terriblement têtue constitue un cinglant démenti à la situation décrite par l’Administration pénitentiaire.
De sources autorisées, 222 personnes dans les liens de la prévention depuis plus de 5 ans, sont dans l’attente inespérée d’être jugées. Pire, nombreux parmi ces détenus n’ont jamais été entendus par un magistrat. Une situation qui renseigne suffisamment sur la pertinence voire la légitimité des motifs de la grève de la faim observée au début du mois par des pensionnaires de la Mar.
A la suite de l’information de la grève de la faim initiée par certains détenus de Rebeuss révélée en exclusivité par "L’As", l’Observateur national des lieux de privation de liberté (Onlpl) dirigé par le magistrat Boubou Diouf Tall a dépêché le 4 mars dernier à la prison de Rebeuss une équipe d’observateurs pour s’entretenir avec les grévistes et s’enquérir des tenants et aboutissants de l’affaire.
Selon nos sources, sur place, les émissaires de l’Onlpl ont eu un entretien de plus de six tours d’horloge avec quarante (40) représentants des grévistes qui leur ont exposé le principal motif de leur diète : les longues détentions. Des détentions dont certaines sont profondément alarmantes voire scandaleuses.
En guise d’illustration, les prisonniers ont cité le cas d’un de leurs codétenus du nom de Ousmane Niang qui a été placé sous mandat de dépôt en 2003. Lors de sa comparution en 2010 en Cour d’Assises, les faits pour lesquels il était poursuivi ont été disqualifiés en détournement de mineure. Plus grave, il est maintenu en prison sans être édifié sur la suite qui a été réservée à son dossier.
Détenu depuis 7 ans, et pourtant Bababar Ngom ne jouit pas de toutes ses facultés mentales
S’ils en sont arrivés à recourir à la grève de la faim devenue une arme redoutable au sein de l’univers carcéral, c’est que les pensionnaires de Rebeuss en avaient assez de voir le système judiciaire bafouer royalement les dispositions les plus élémentaires du Code pénal. L’un des cas les plus graves est celui de Babacar Ngom.
Son dossier constitue un véritable cas d’école. Poursuivi pour tentative de viol, menaces de mort, détention et usage de chanvre indien et détention illégale d’arme, Babacar Ngom est placé sous mandat le 7 mars 2007 dans une procédure de flagrant délit. Ce qui était censé lui donner droit à un procès dans un délai raisonnable.
En détention depuis exactement 7 ans, il attend encore d’être jugé. Un jugement qui pourrait relever d’une véritable gageure en raison de l’inaccessibilité de Ngom à toute sanction pénale, compte tenu de sa démence, conformément à l’article 50 du Code pénal.
Autrement dit, Babacar Ngom ne jouit pas de toutes ses facultés mentales. Bien avant son incarcération, il était suivi au Centre Hospitalier Psychiatrique de Thiaroye (Division 2) soit pour une hospitalisation, soit pour un traitement en ambulatoire.
Sa dernière admission à l’hôpital remonte au… 31 décembre 2013. Son examen psychiatrique révèle des "troubles des conduites sociales avec isolement socio-affectif", une "hyper méfiance", "une rigidité du jugement", une "hypertrophie du moi", "des troubles des conduites instinctuelles avec des insomnies et parfois une inappétence ".
Son discours, d’après l’examen clinique, est "marqué par un délire bien systématisé avec des idées délirantes de persécution de la part de sa famille, de son entourage et même du personnel pénitentiaire qui, d’après lui, a toujours cherché à le tuer en vain".
Présentant un "délire mégalomaniaque", il soutient "qu’il a des pouvoirs surnaturels qui le protègent contre ses ennemis, qu’il est important et que même la chanteuse Coumba Gawlo l’attend pour se marier avec lui".
Ce célibataire sans enfant, conclut son médecin, présente "un moment fécond d’une paranoïa délirante". Ce qui fait que son état nécessite une hospitalisation.
"Coumba Gawlo l’attend pour se marier avec lui"
Avec l’arrivée de Me Sidiki Kaba à la tête de la Chancellerie, les prisonniers espéraient que leurs conditions de détention allaient nettement s’améliorer et que tous les cas de longues détentions feraient l’objet d’une plus grande attention de la part des autorités gouvernementales.
Ils se fondaient sur le fait que l’actuel ministre de la Justice était, dans une autre vie, défenseur des droits de l’homme pour avoir présidé durant de longues années la Fédération internationale des droits de l’homme (Fidh). Mais leurs espoirs ont littéralement fondu comme beurre au soleil.
Au terme de sa visite à la prison de Rebeuss, l’équipe de l’Onlpl a relevé de nombreux manquements dans la conduite des dossiers.
Pour les membres de l’Onlpl, il y a d’abord le non respect de l’ordre d’arrivée des dossiers dans l’enrôlement en session d’assises. Il s’y ajoute l’absence de suivi par les autorités judiciaires. Enfin, ils déplorent bonne la violation du droit à un procès dans un délai raisonnable et de la présomption d’innocence.