MULTIPLE PHOTOSSCANDALES À LA GENDARMERIE
RÉVÉLATIONS DU LIVRE "POUR L'HONNEUR DE LA GENDARMERIE" : AFFAIRE OMAR LAMINE BADJI, MARCHÉS NÉBULEUX, CORRUPTION, ETC.
Affaire Omar Lamine Badji, marchés nébuleux, corruption, montages, manipulation de la plus haute autorité de l’Etat, détournements et même banditisme, le colonel Abdoulaye Aziz Ndaw, ancien Commandant en second de la Gendarmerie nationale, fait de graves révélations sur la manière dont ce fleuron de la Sécurité fonctionne. L’essentiel des accusations est contenu dans le Tome 2, “la mise à mort d’un officier”, de l’ouvrage “Pour l’honneur de la Gendarmerie sénégalaise”. Sur 251 pages, Abdoulaye Aziz Ndaw instruit le procès de la haute hiérarchie des hommes en bleu.
Le 30 décembre 2006, l’ancien Président du Conseil régional de Ziguinchor, Omar Lamine Badji, est assassiné à son domicile, à Sindian, son village natal. Abdoulaye Aziz Ndaw est à l’époque numéro deux de la Gendarmerie. Il explique comment le colonel Maïssa Niang, à l’époque Commandant de la Légion Sud, a été dessaisi de l’enquête, pour des raisons obscures, au profit de la Section de recherches de la Gendarmerie.
“Le lendemain, je reçus un coup de fil très matinal du commandant de Légion, Meïssa Niang. Il me rendait compte que le nommé Abba Diédhiou, principal suspect dans l’assassinat du Président du Conseil régional de Ziguinchor, contre qui la veille, ses éléments avaient réuni des éléments graves et concordants de complicité de meurtre, était décédé dans les locaux de la Brigade”.
Pour le Colonel Ndaw, “le Général mit tout son poids dans la balance et cette affaire était classée sans suite, et avec la thèse de l’accident”, lit-on à la page de 102 de l’ouvrage (Voir Fac similé).
Tentatives de corruption
C’est dans le chapitre 9 intitulé “Le carburant Gendarmerie” que le colonel Ndaw décortique ce qu’il assimile à un réseau organisé dans son mécanisme de fonctionnement, avec un ensemble d’acteurs liés par des intérêts communs. “Un jour, je fus convoqué dans le bureau du Général pour me faire présenter un Libanais du nom de Youssef Saleh, avec qui je devais travailler avec le Colonel Tine pour réaliser les véhicules prévus dans le plan d’équipement”.
A l’époque, le colonel qui assurait le commandement en second de la gendarmerie alors qu’on était en février 2006, révèle qu’il était question d’acquérir “plus de 350 véhicules de tout gabarit (Berline, 4x4, camionnette, motos et camions, sans oublier les engins spéciaux)”.
Saleh qui devait exécuter le marché, à hauteur de 6 milliards, “voulut alors user des méthodes de persuasion en cours en proposant, aussi bien à moi qu’à Tine (Ndlr, Colonel), des moyens considérables. Il me proposa un appartement en plein centre de Dakar, qu’il estima en valeur à deux cent cinquante millions de francs Cfa, dans un immeuble qu’il était en train de construire”.
Plus loin, le colonel ajoute que l’homme d’affaire Saleh lui fit comprendre que “sa sœur (...) réglerait, avec le Général, les modalités de sa participation”. Ndaw écrit avoir repoussé toutes les propositions qui lui avaient été faites à l’époque et “Saleh fut éberlué” par cette posture.
L’homme d’affaires “proposa au colonel Tine d’emblée une trentaine de millions de francs Cfa pour revoir certaines exigences du cahier de charges. Le Colonel Tine refusa et m’en rendit compte”, lit-on dans l’ouvrage. La suite, c’est qu’après cela, “Saleh promit de respecter à la lettre le cahier de charges...”.
Frontex, carburant et corruption
D’autres scandales sont évoqués comme relatés au chapitre 10 intitulé Frontex où le Colonel Ndaw écrit : “Le Frontex a généré des millions, voire des milliards et je ne pense pas que le personnel, sous quelque forme que ce soit, en ait profité comme il se devait”.
Et droit au but, dès la page 123 du Tome 1, “comme d’autres fonds, services rétribués, fonds des élections, ils ont été détournés de leurs objectifs et de leur but par un général véreux, corrompu, avec la complicité de son Cabinet et de certains Officiers placés à des postes clefs pour assurer une prédation continue et sans faille, de toutes les ressources de la Gendarmerie”. Comme un fil d’Ariane, la corruption, le détournement de fonds et d’objectifs traversent le livre de bout en bout.
“Le commandant Manga, révolté et gérant le carburant Frontex, détourna deux chèques de carburant d’une valeur de 7 millions de francs (...) pour régler des problèmes personnels (...) Son geste me dégoûta au plus haut point pour deux raisons dont la première était sa récidive : il avait détourné de l’argent en sa qualité de chef de service Auto, en 2000. Je l’ai puni sans état d’âme (...). Il fut ainsi radié de la Gendarmerie pour faute grave...”, confesse l’officier gendarme.
Une affaire qui n’est que broutille par rapport au scandale décrit au chapitre 14 intitulé “Chantage”. L’exadjoint du Général Abdoulaye Fall évoque un marché de 1,7 milliard pour la dotation de véhicules qui, “en toute bonne foi”, selon l’auteur de “Pour l’honneur de la Gendarmerie sénégalaise”, peut s’estimer “entre trois et quatre cents millions de francs”.
Et d’écrire : “Le Trésor public venait de perdre, par cette opération, un milliard trois cents millions, que les protagonistes de ce marché allaient se partager. Une affaire qui va par la suite mener très loin puisque les noms des Présidents Wade et Sall vont être cités...
PROFIL DE L'AUTEUR
Colonel Abdoul Aziz Ndaw, un officier en colère
Il faut être spécial pour briser un mythe. Le colonel Abdoul Aziz Ndaw a fait parler “la grande muette”. Il vient de démontrer, comme le dit l’adage, que les gendarmes vont toujours par deux comme la loi et l'injustice. Il décrit sa prestigieuse carrière militaire toujours au service de la loi ; et le fondement de sa morale, le refus de l’injustice.
Né le 16 janvier 1955 à Dakar, le futur officier voit le jour dans une famille de fervents disciples mourides ; talibés de Serigne Bara Ibn Serigne Touba Mbacké Khadimou Rassoul. Il fait le daara. Quatre années à étudier le Coran dans les rigueurs de la brousse du Niani, mais la perspicacité de sa mère le conduit sur les bancs de l’école française.
Enfance heureuse dans la Medina de Dakar. Le déclic a lieu quand le jeune homonyme de Serigne Abdoul Aziz Bara voit pour la première fois de sa vie les parachutistes en tenue camouflée prendre possession de la résidence de Mamadou Dia, alors président du Conseil, en 1962. Prytanée militaire de Saint-Louis, la voie royale. Déjà, à l’école militaire préparatoire, il brille mais révèle un côté indépendant et, déjà, ayant une haute idée de sa personne.
“Autant j’ai risqué ma vie pour la défense des intérêts nationaux, autant je défendrai avec toute l’énergie requise mon honneur et mon nom”, répète t-il tout au long de son ouvrage. Les Sénégalais entendent parler dans les médias de cet officier pour la première fois en 2007 quand on le cite dans une sombre affaire de détournements de 02 milliards à la gendarmerie nationale, alors qu’il est le second du général Abdoulaye Fall, “ancien ami”, alors tout puissant patron des hommes en bleu.
“On m’a accusé d’avoir voulu isoler le général et de manquer de loyauté envers mon chef et la gendarmerie”, dénonce t-il ; “On m’a accusé d’avoir fait du népotisme en donnant des marchés militaires à mon épouse et à ma sœur. On m’a accusé d’intempérance, d’enrichissement illicite, d’adultère”. Il n’en pouvait plus sept ans après.
Tout avancement et décorations lui ont été refusés depuis. Il explique qu’il n’a nul besoin de s’expliquer “face à des chefs manipulés et qui refusent de voir plus loin que ce qu’on leur a dit de moi”. Lettres officielles sans réponses, refus de ses supérieurs d’ouvrir une enquête administrative.
Ce sera “un exil doré”, en “attendant la retraite” comme il le dit. L’actuel attaché militaire du Sénégal à Rome est un homme amer après avoir déroulé une prestigieuse carrière. Enoa, choix de la gendarmerie. Il est avant tout un instructeur, un enseignant bardé de diplômes en Droit obtenus à l’Ucad.
Directeur de centre d’instruction, commandant d’unités de gendarmerie mobile ; ou de contingents d’opérations extérieures, . Il a plusieurs spécialités : l’instruction, l’armement-tir, la justice militaire et, surtout, le renseignement.
Au cours de sa carrière, il sera au cœur de plusieurs événements qui auront marqué la jeune république : la guerre du Tchad, la grève des policiers de 1987, les événements post-électoraux de 1988, le Libéria un incontestable fait d’armes, alors que le contingent sénégalais venait d’infliger une mémorable raclée aux rebelles de Charles Taylor.
Il y a aussi eu la Gambie et ses astuces d’agent secret ; Conakry et l’affection du général-président, Lassana Conté. Mais, surtout, la Casamance. Le colonel Abdoul AZIZ Ndaw est sans doute l’un des plus fins connaisseurs de ce dossier. A t-il eu raison de faire dans le déballage ?
Aurait-il parlé s’il n’avait pas été limogé de son poste de haut commandant en second de la gendarmerie nationale ? Les périls qui ont jalonné sa carrière font que l’homme ne manque pas de courage. Le plus important est dans la rage qui sourd de ces écrits. Un officier en colère.
COMMENTAIRE
Le degré absolu de l’indignation
“Ce sont les Hommes et non les pierres qui font les Remparts de la Cité !” Platon
L’état d’une démocratie peut se mesurer au degré de capacité d’indignation de son opinion et des conséquences politiques qui doivent suivre la mise sur la place publique des méthodes de gouvernance exercées au plus haut niveau de l’Etat. Ici, il s’agit de la gendarmerie nationale, composante essentielle des forces armées sénégalaises, corps d’élite et gardien de la République.
Les révélations du colonel Abdoul Aziz Ndaw sont renversantes. Elles font même peur. Elles ne sauraient rester sans suite. Il faut nécessairement que les plus hautes autorités de ce pays prennent la pleine mesure de ce scandale et y répondent de manière appropriée. Vraies ou fausses, les accusations portées par l’auteur font froid dans le dos...
La gravité des faits qui y sont dénoncés, l’ampleur du scandale ainsi révélé et la personnalité des mis en cause font du livre du colonel Ndaw une bombe. Ce brillant officier supérieur a été numéro deux de la gendarmerie nationale ; ancien membre de la direction des services secrets sénégalais. “Pour l’honneur de la gendarmerie sénégalaise” dont le tome 1 porte sur “le sens d’un engagement” est sans doute les mémoires les plus explosifs qu’un responsable de notre pays ait eu à écrire.
Les accusations sont étayées par des faits et le sentiment d’avoir échappé à quelque chose de grave habite le lecteur, bien des jours après avoir bouclé le tome 2 -”La mise à mort d’un officier”-, le plus explosif, celui dans lequel l’auteur explique comment la corruption, le népotisme et la gabegie ont gangréné des années durant ce corps d’élite qu’est la gendarmerie. Pire, un patron de la gendarmerie y est décrit comme “un chef de gang”. Stupeur...
Selon le colonel Abdoul Aziz Ndaw, pendant des années, des officiers supérieurs ont entretenu toutes sortes de trafic en collusion avec les indépendantistes du Mfdc ! Le haut commandement de la gendarmerie, selon toujours le colonel Ndaw, a mis en place, entretenu, encouragé et profité de ses positions pour s’enrichir de manière éhontée.
Face aux accusations de l’officier supérieur, beaucoup parmi ceux qui croupissent à la prison de Rebeuss pour détournements de deniers publics sont des enfants de chœur. En raison de la durée de ces prévarications, mais surtout de la position stratégique de leurs auteurs dans notre dispositif de défense nationale. C’est l’un des plus grands scandales de ces dernières décennies.
L’Etat n’est jamais neutre et les hommes qui le dirigent auront toujours des raisons pour justifier l’injustifiable. Le colonel Ndaw accuse : feu Oumar Lamine Badji, qui a donné son nom à la permanence nationale du Pds, sur la Vdn de Dakar, a été assassiné la veille de la Tabaski 2006, chez lui, à Sindia, alors qu’il était président du Conseil régional de Ziguinchor et membre influent de la direction du Pds. Deux jours après son assassinat, Abba Diédhiou, le premier suspect, militant du Pds, a été arrêté par la gendarmerie.
Lors de son transfert à Bignona, “il aurait sauté hors du véhicule qui roulait en vitesse. Grièvement blessé, il succombera de sa blessure». Une telle version des faits est trop légère: N’a-t-il pas été purement et simplement assassiné pour ne pas impliquer d’autres personnalités de la hiérarchie du PDS ? Son corps a été inhumé dans l’anonymat en catimini dans son village natal. Pourquoi un tel empressement? Sur ce dossier, le colonel Ndaw, d’une plume alerte, pose de pertinentes questions.
Dans un autre mouvement de son ouvrage, il explique comment certains généraux s’enrichissent de manière éhontée. Avec force détails, il révèle une tentative de corruption dans un processus d’acquisition d’engins blindés avec le Libano-sénégalais Saleh, propriétaire du parc d’attraction “Magic Land” dans le rôle principal. Et que dire des crocs-en-jambe, des fuites de responsabilités, des injustices et de l’impunité décrits par l’ancien barbouze, instructeur des écoles d’officiers et sous-officiers, juriste et chef de guerre, mais avant tout gendarme, son arme, sa fierté.
Qui est cet officier supérieur qui a franchi le Rubicon ? Certes, beaucoup de nos généraux et officiers supérieurs ont écrit. Mais ils restaient muets même s’ils ont presque tout dit de leur carrière. Le colonel Abdoul Aziz Ndaw, lui, pour la première fois, a révélé des vérités crues que l’on n’aurait jamais eu avoir à entendre, tant la gendarmerie est respectée au Sénégal. Mais que faire ? En posant cet acte-édition, le preux officier rend (encore) un inestimable service à son pays.
Les Sénégalais ont pris l’habitude d’intégrer les scandales les plus énormes dans le passif de leur vécu collectif et d’oublier très vite. Au lendemain du naufrage du “Joola” en septembre 2002 avec ses plus de 1 800 morts, que n’a-t-on pas dit à propos de la discipline et du respect des règles de protection civile ?
La crise économique et sociale à elle seule ne peut expliquer le fatalisme des Sénégalais face au non-Droit et leur abandon de toute résistance devant l’injustice. Les accusations portées par le Colonel Ndaw sont d’une extrême gravité. Il est d’une impérieuse nécessité que la justice se saisisse des scandales dénoncés dans les deux tomes de l’ouvrage. Il faut que justice se fasse !
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