Seydi Gassama : "Il faut résoudre les causes profondes de la criminalité au lieu de couper les têtes"
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Les défenseurs des droits de l’Homme au Sénégal soutiennent que la question du retour de la peine de mort au Sénégal a été agitée, à la faveur d’un séminaire que Amnesty International Sénégal a organisé en vue de sensibiliser les députés sur un certain nombre de protocoles, dont celui du pacte aux droits civils et politiques que le Sénégal aurait dû, dit-on, ratifier avant d’abolir la peine de mort en décembre 2004. Seydi Gassama de la section Sénégal de cette ONG ne reconnaît aucun lien entre la peine capitale et la criminalité. Il a expliqué le sens du combat pour les droits humains, à la Gazette.
Que vous inspire la restauration de la peine de mort agitée par des députés ?
Le groupe parlementaire majoritaire auquel ils appartiennent n’est même pas informé officiellement, encore moins les structures étatiques. Mais vous savez, ce sont des députés qui ne représentent pas grand-chose. Je peux vous citer El Hadj Diouf, qui ne doit sa présence à l’assemblée qu’au repêchage qui est opéré systématiquement, pour permettre aux petits partis et aux petits candidats d’être à l’assemblée. Donc il y a des gens qui veulent surfer, qui veulent instrumentaliser cette question-là, pour se faire un nom dans la société sénégalaise.
Vous sortez d’un séminaire à l’attention des députés, en vue de leur faire adopter l’idéologie contraire. Mais pourquoi, pour un plaidoyer aussi important, vous ne vous adressez qu’à 30 députés sur 150 ? Est-ce que ça ne fait pas un peu remplissage ?
On n’avait pas 150 députés mais bien les députés de la Commission des lois. Nous sommes prêts, pendant les prochaines semaines, à aller à l’assemblée, à parler aux députés dans leur très grande majorité. Et si ce texte de loi était mis sur la table à l’Assemblée nationale, c’est clair que nous allons demander à être auditionné avant le vote de la loi.
Le texte est annoncé pour fin Juin 2013, avec le soutien, dit-on, d’une certaine majorité d’imams. Ne partez-vous pas perdants dans cette course, quand on sait que la majorité musulmane domine au Sénégal ?
On n’abolit jamais la peine de mort en tenant compte de l’opinion publique. Même en France si la peine de mort était soumise au référendum, c’est clair qu’elle reviendrait. Il n’y a aucun pays dans le monde qui ait aboli la peine de mort par référendum. Le seul pays qui l’ait fait, c’était la Côte d’ivoire mais la disposition abolissant la peine de mort était inscrite dans un package global de réformes constitutionnelles. Au Sénégal, c’est Macky Sall qui a contresigné la loi d’abolition, à l’époque, au même titre qu’Abdoulaye Wade. Nous estimons que ce n’est pas la première fois que des hommes politiques dans ce pays ont bravé des imams et des religieux. Et il faut relativiser, parce que ce ne sont même pas tous les imams qui soutiennent cette initiative.
Mieux encore, la criminalité n’est qu’une cause de la pauvreté qu’il y a dans la banlieue. Les gens qui agressent ne sont pas les fils des gens qui habitent Fann résidence, ou Sacré cœur 2 ou les Almadies, ce sont des fils de pauvres, des gens qui n’ont pas l’opportunité d’étudier dans des bonnes écoles et d’obtenir du travail. Ce sont ces gens-là qui agressent. Il faut absolument qu’on comprenne qu’il faut s’attaquer aux causes profondes de la criminalité, au lieu d’aller vers des solutions faciles qui consistent à couper des têtes.
Que dire de l’aspect justice ? La vie de la victime n’est-elle donc pas supérieure à celle de l’agresseur, comme disent les techniciens du droit ?
Absolument, toutes les vies humaines sont égales et nous compatissons entièrement à la souffrance des victimes. Ce que nous disons, c’est que la peine de mort n’est pas la solution, parce qu’il est prouvé scientifiquement par des études dans des pays qui ont aboli cette mesure - comme des pays de l’Union Européenne ou encore le Canada - qu’à la suite de l’abolition de la peine de mort, la criminalité n’a pas augmenté, bien au contraire elle a chuté de façon considérable. Donc, il n’y a aucun argument scientifique. Ceux qui manipulent la question aujourd’hui, au Sénégal, ne nous apportent pas d’arguments scientifiques.
Au moment où l’on attend la visite du Président Barack Obama, n’y a-t-il pas une raison de vouloir suivre les Etats Unis d’Amérique ?
Barack Obama n’est pas un partisan de la peine de mort. Même si la question se pose au fédéral, il ne peut pas l’abolir, parce qu’il lui faudrait une majorité consistante au congrès pour pouvoir l’abolir. Barack Obama est issu de l’Etat de l’Illinois qui est un Etat ayant aboli la peine de mort. Tous les Etats de la côte Est des Etats-Unis ont aboli la peine de mort. L’Illinois, New York et autres ont aboli la peine de mort.
Mais Barack Obama est le Président des Etats Unis d’Amérique, qui soutiennent en majorité la peine de mort…
Absolument. Mais n’oubliez pas que les Etats Unis avaient condamné les exécutions dans un pays comme la Gambie. Chaque fois qu’il y a eu des exécutions, ils ont condamné, parce qu’ils savent très bien que les systèmes judiciaires dans les pays comme les nôtres n’ont pas les moyens de conduire dans la plus grande rigueur, les enquêtes en ce qui concerne la peine de mort. Aux Etats Unis, malgré les tests d’ADN, malgré toute la technique qui est déployée pour traquer la criminalité, il y a des questions d’erreurs judiciaires qui se posent. Au Sénégal, on n’a pas tous ces outils, en Afrique non plus.
Que répondez-vous à ceux qui pensent à tort ou à raison que les ONG imposent finalement aux peuples des croyances qui ne sont pas les leurs ?
C’est absolument faux. Nous avons défendu des gens dans le monde entier. Nous avons défendu des prisonniers politiques qui aujourd’hui sont au pouvoir en Tunisie, en Egypte et dans d’autres pays arabes. Donc, nous défendons des gens sans tenir compte de leur culture. Nous dénonçons la peine de mort, ce n’est pas parce qu’elle est appliquée à des Américains. Nous ne voulons pas qu’elle soit appliquée à des Sénégalais. Nous ne travaillons pas pour les droits humains des Européens ou des Américains. Nous travaillons pour les droits humains des Sénégalais et des Africains.
On vous voit sur certaines questions excentrées comme l’homosexualité et certains, notamment des avocats dans l’opinion, se posent des questions sur vos intérêts, sur vos financements dans ces ONG-là… (Il interrompt)
Ce sont des avocats démagogues qui tiennent ce genre de propos, parce la mission d’un avocat est de défendre une personne quelle qu’elle soit. Nous posons un postulat fondamental. Les homosexuels sont des êtres humains, oui ou non ? Si on accepte qu’ils sont des êtres humains, nous devons les défendre contre la violence, contre les meurtres. Nous devons les défendre contre toutes sortes de discrimination.
N’y a-t-il donc pas de financements occultes dans les droits de l’Homme ?
C’est absolument faux. C’est l’argument facile qui est utilisé pour diaboliser les gens. Il n’y a aucun financement. Nous sommes financés de façon transparente. Nous avons des rapports d’audits qui sont largement distribués à notre assemblée et à nos partenaires, y compris l’Etat du Sénégal. Il n’y a aucun financement que nous prenons à un quelconque lobby. La Ligue sénégalaise des droits de l’Homme, présidée par Assane Ndioma Ndiaye, a récusé publiquement un financement de l’ambassade des Pays-Bas. Qui disait, lors d’une conférence de presse, qu’elle a de l’argent qu’elle va nous donner pour promouvoir la dépénalisation au Sénégal.
Assane a dit publiquement que nous ne voulons pas de cet argent et que nous n’allons pas nous lancer dans cette entreprise-là. Donc, nous ne sommes pas en train de faire campagne pour qu’au Sénégal on autorise des mariages homosexuels, mais nous disons qu’il faut que le Sénégal reste un pays de tolérance. Lorsque des gens se livrent à des pratiques sexuelles dans leurs chambres ou dans des lieux privés, il n’est pas acceptable qu’on aille défoncer leurs portes, les arrêter, les tabasser, les tuer ou en tout cas les emmener à la police pour qu’on les enferme. Voilà le sens de notre combat.