"SI MACKY SALL S'ENTÊTE..."
BABACAR GAYE, PORTE-PAROLE DU PDS, SUR L'INTERDICTION DE LEUR MEETING DU 21 NOVEMBRE
Les libéraux et leurs alliés- qui sont déterminés à tenir meeting le 21 novembre prochain- n'en ont cure des menaces que le Président Macky Sall a proférées à leur encontre. Dans l'entretien qu'il nous a accordé, Babacar Gaye, porte-parole du Parti démocratique sénégalais (Pds), souffle sur les braises. «Si cette réunion publique ne se tient pas, autant dissoudre le Pds et toutes les organisations démocratiques de ce pays qui ne seront plus d'aucune utilité pour la défense des libertés», assènet- il. M. Gaye se prononce également sur d'autres sujets d'actualité.
Le Pds et ses alliés ont engagé un bras de fer avec le régime, après l'interdiction de toute manifestation, jusqu'au 5 décembre prochain. Quelle appréciation faites-vous de cette situation lourde de dangers ?
Cette situation m'inspire indignation et inquiétudes. Je suis indigné de constater qu'il existe encore dans l'administration publique - que je connais républicaine - des fonctionnaires zèlés et prompts à calquer leurs missions régaliennes sur le désir de l'autorité politique et à anticiper sur les lubies du prince. Mes inquiétudes sont d'autant plus fondées que ce peuple qui s'est mobilisé le 23 juin à Dakar pour dire non à la modification de la Constitution, loin de s'être insurgé contre le Président Wade, avait plutôt décidé de marquer son territoire et défendre la République que nous avons en partage. Entre-temps, il s'est rendu compte de la supercherie qui a abouti à la deuxième alternance démocratique, le 25 mars 2012. Ce vaillant peuple-là, jaloux de ses acquis démocratiques, tient toujours au respect de sa Constitution et à l'Etat de droit. Qui plus est, celui du Burkina Faso vient d'administrer aux apprentis dictateurs que rien ne sera plus comme avant en Afrique. Il y a de quoi s'inquiéter, si le gouverneur veut nous imposer cette forfaiture qui n'engendrera que désordre. Macky Sall sera seul responsable de ce qui pourrait advenir, s'il s'entête à restreindre les libertés, au nom de la Françafrique, dont la quiétude ne devrait pas être troublée à une semaine de la tenue du Sommet de la Francophonie. Certes, le devoir de maintien de l’ordre incombe au gouvernement; mais il doit concilier l’exercice de ses prérogatives et la sauvegarde des libertés publiques qui sont des droits constitutionnels. L'expression libre de l'opinion est la règle, la restriction des libertés étant l'exception. Cette mesure ne peut être d'ordre général. Elle doit être limitée dans un court laps de temps et dans l'espace. Et pour le cas d'espèce, elle s'apprécie au cas par cas. Si malgré tout, Macky Sall entend restreindre les libertés publiques, il doit commencer par respecter l'Etat de droit et user de ses pouvoirs exceptionnels en déclarant l'état d'urgence sur toute l'étendue de la région de Dakar.
Je rappelle au passage que, c'est pour montrer la gravité de la mesure restreignant les libertés publiques, que le constituant a estimé devoir limiter le délai de validité du décret portant état d'urgence à douze (12) jours. L'arrêté du gouverneur est manifestement illégal.
Est-ce à dire que vous allez attaquer cette décision interdisant votre manifestation, d'autant plus que le Premier ministre a révélé qu'aucun arrêté n'a été pris dans ce sens ?
Le Pds et des organisations démocratiques vont se pourvoir en annulation devant le Conseil d'Etat. En attendant le sursis à exécution de cette mesure inique, j'approuve totalement la décision de maintenir l'organisation du meeting prévu, conformément aux dispositions de notre loi fondamentale.
Par conséquent, et par ma voix, le Pds appelle les militants (femmes et jeunes, en particulier) des partis politiques membres du Front pour la défense de la République, des partis de l'opposition, en général, les patriotes et démocrates, de tout bord, à se mettre en ordre de bataille, pour barrer la route aux dérives devenues de plus en plus fréquentes. Si cette réunion publique ne se tient pas, autant dissoudre le Pds et toutes les organisations démocratiques de ce pays qui ne seront plus d'aucune utilité pour la défense des libertés. Cette lutte n'est pas une cause isolée du combat de tous les démocrates pour plus de démocratie, plus de libertés et pour un Etat de droit. N'estce pas l'actuel président de la République qui disait que le droit à la marche est un droit fondamental, et que si les Sénégalais ne sont pas contents, ils ont le droit de manifester leur désaccord ? Aujourd'hui, plus qu'hier, il appartient à la puissance publique de se donner les moyens de concilier notre droit à l'expression de nos libertés et la préservation de l'ordre public prévu par loi. Surtout que le Pds organise un meeting, comme sait le faire tout parti politique, afin de communier avec ses militants. Sinon, c'est le désordre public que nous aurons. Convenez avec moi que depuis plus d'un an, les autorités publiques se cachent derrière leur petit doigt pour interdire systématiquement les manifestations de l'opposition. Et pourtant, les rares fois que nous en avons eu l'occasion à Dakar, à Mbacké, à Dagana, etc. le Pds a prouvé que ses militants étaient suffisamment disciplinés, républicains et responsables, pour réussir de grands rassemblements, sans casse ni violence. Les millions de Sénégalais qui étaient venus à l'accueil de Me Wade sont retournés calmement chez eux, en dépit de l'interdiction qui frappait cette manifestation. Ça suffit maintenant. Et c'est le sens qu'il faut donner à notre décision irrévocable d'organiser ce meeting. Car comme le prescrit l'article 2 de la Déclaration universelle des droits de l'homme : «Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression ». Le Pds s'estime opprimé, traqué et vilipendé par Macky Sall et son gouvernement depuis le 25 mars 2012.
On a comme l'impression que ce Sommet de la Francophonie ne vous intéresse pas…
Que représente le Sommet de la Francophonie pour le citoyen dont les droits politiques, économiques et sociaux sont constamment bafoués? Certes, le Sénégal est le pays de la «Teranga»; mais pas au détriment des libertés fondamentales garanties par notre Constitution. Pensezvous que ces chefs d'Etat ou de gouvernement pressentis à Dakar, une semaine après notre meeting, sont plus honorables que Me Wade, celui qui a fait Macky Sall de toutes pièces. Ils ne sont pas non plus des modèles dans la promotion de la démocratie et de la bonne gouvernance. Vous vous imaginez que Blaise Compaoré aurait pu être traité comme un hôte de marque du Sénégal, compte tenu des relations particulières qui le lient à notre Président. Et au nom de tels invités, le citoyen sénégalais devrait mettre ses revendications en veilleuse, comme si tout est rose chez nous, et après le Sommet, retomber dans les privations et la misère. Que non ! Rappelez- vous que lors du sommet de l'Oci, ainsi que pendant l'inauguration du statut de la Renaissance africaine, beaucoup plus valorisant à nos yeux que cette messe pour la promotion de la culture et de la langue française, Macky Sall, Moustapha Niasse et consorts, ont manifesté librement leur désapprobation. Mais, c'est cela aussi la différence entre la paille et le grain, le despote et le démocrate. Notre disponibilité à accueillir le monde francophone ne doit pas primer sur notre choix irréversible de rester libres et dignes de notre parcours politique vieux de plusieurs décennies. Ce ne sont pas les menaces de Macky Sall qui arrêteront ce peuple déterminé à défendre l'Etat de droit et la République.
L'actualité est aussi marquée par le procès de Karim Wade et de ses présumés complices, dans le cadre de la traque des biens mal acquis. Quel commentaire faites-vous du déroulement de ce procès-marathon ?
Ce procès-marathon comme vous le qualifiez est un feuilleton judiciaire qui ressemble à un navet d'un goût insipide. Le casting a retenu des acteurs qui interprètent un rôle conçu et consigné dans un scénario écrit par le Président Macky Sall, un parquet spécial avec un dossier inconsistant, des juges quelque peu dépassés par la tournure du procès, des témoins manifestement travaillés et téléguidés pour porter l'estocade à Karim Wade, pour l'empêcher de faire face, en toute légitimité, au candidat Macky Sall qui a déjà déclaré sa candidature pour la prochaine élection présidentielle. Le Sénégal ne mérite pas une parodie de justice et autant d'errements contraires à nos traditions judiciaires.
Et le limogeage d’Alioune Ndao de son poste de procureur spécial près la Crei ?
Le limogeage du procureur spécial Alioune Ndao ne surprend guère, au moins pour trois raisons. D'abord, le Parquet spécial a montré ses limites quant à la détermination exacte et exhaustive du patrimoine de Karim Wade fixé initialement à près de 700 milliards de F Cfa, alors que l'arrêt de renvoi n'a retenu que 117 milliards, dont la moitié concerne les chimériques 47 milliards de Singapour. Or, jusqu’à la fin des temps, le Parquet ne prouvera l'existence de ces fonds. Ensuite, Alioune Ndao, nommé sur la base d'une offre de services, n'a pas donné satisfaction à ses patrons. Enfin, c'était un secret de polichinelle que M. Ndao a eu, par moment, des sursauts d'honneur, pour passer outre les instructions qu'il recevait du gouvernement, soit pour arrêter des poursuites entamées contre des personnes qui bénéficient de la protection du pouvoir ou pour faire preuve de mansuétude dans le traitement de dossiers concernant une caste privilégiée. Pour tout ce qui précède, Alioune Ndao ne faisait plus l'affaire du Parquet et celle de Macky Sall qui, pour des raisons politiques, est resté le premier maître des poursuites. N'a-t-il pas avoué avoir lui même mis certains dossiers de corruption et d'enrichissement illicite sous son coude. C'est la preuve irréfutable que la Crei, qui est une juridiction d'exception politique, est instrumentalisée pour salir et décrédibiliser des adversaires politiques.
Le limogeage d’Alioune Ndao ne change en rien dans la perception que nous avons de la Crei qui est une juridiction politique, anticonstitutionnelle, inique. Aucun changement dans son management ne pourrait changer l'avis que les démocrates, les organisations des droits de l'homme et les hommes de droit, ont de cet instrument politique à la solde des pouvoirs politiques. Par voie de conséquence, son limogeage et la suspension du procès Karim Wade, jusqu'après le Sommet de la Francophonie, cachent mal une gêne d'un régime qui veut, coûte que coûte, poursuivre cette mascarade judiciaire, et condamner, sans la moindre preuve, Karim et ses présumés complices. Le Pds ou aucun homme épris de justice ne l'acceptera. Karim Wade et consorts doivent être libérés et la Crei dissoute.
«LE PSE EST PARTI POUR ETRE UNE ARLESIENNE»
L'absence de Me Abdoulaye Wade au procès de son fils suscite moult commentaires. Comment expliquezvous cette attitude du chef de file de votre parti ?
Me Abdoulaye Wade, même s'il est le père de Karim Wade, n'a pas besoin d'aller au tribunal pour prouver qu'il soutient le plus célèbre détenu politique de notre histoire. D'abord, parce que Mme Wade le fait bien en tant que mère. Ensuite, les principaux responsables du parti, dont il est le chef de file incontesté, sont toujours présents aux côtés de Karim qui est à la fois frère et militant. La présence de Me Wade risquerait de gêner le déroulement du procès dans la sérénité. Cela procède de son charisme particulier.
La succession de Me Wade à la tête du Pds se pose de plus en plus avec acuité. Ne craignez-vous pas une implosion du parti, après le départ du «pape du sopi», au vu des ambitions affichées par de nombreux responsables libéraux ?
Ce serait vraiment un gâchis que de rater la succession de Me Wade pour des considérations subjectives : ambitions personnelles ou intérêts particuliers. Si la direction du Pds actuelle fait de cette transition une priorité absolue et dirimante, il n'y a pas de raison que nous ne la réussissions pas. Nous sommes d'égale dignité, avons partagé un parcours commun et avons, la plupart, le profil idéal pour succéder à Me Wade. Nous n'irons pas chercher le successeur de Me Wade dans les rangs de l'Apr, du Ps ou de la société civile. Il sortira forcément de nos rangs. Et nos militants du Pds sont assez bien formés pour s'organiser afin de se choisir démocratiquement un chef de file. Le moment venu, les mécanismes internes du parti vont départager les différents candidats qui ne manqueraient pas de se signaler. L'essentiel est de poursuivre l'oeuvre du maître et de sauvegarder le patrimoine commun à notre génération et fruit de l'action politique de Wade et de ses compagnons. Pour cela, et compte tenu de la particularité du charisme inégalable et du parcours exceptionnel du père du libéralisme social, l'avenir du Pds ne se conjuguera que dans une approche inclusive et la promotion d'un leadership partagé.
Réellement, pensez-vous que le Pds survive à son créateur ?
Franchement oui. Mais, ce sera une gageure. Je comprends que d'aucuns privilégient une échappée solitaire, au moment où l'essentiel des troupes restera fidèle au choix démocratique des militants, béni par la personne morale du parti qu'est Me Wade. C'est pourquoi vivement que Dieu lui laisse longue vie et bonne santé pour qu'il continue de nous inspirer. Il demeure le ciment de notre compagnonnage, en dépit qu'en pensent nos adversaires.
Comment vivez-vous le fait que le Pds soit scruté comme un gros boeuf de «Tamkharit» à se partager. Idy veut sa part, Macky veut son quartier. Ils semblent oublier que c’est un parti qui a une identité, un long vécu politique par rapport à leurs formations à eux. Y réussiront ils?
C'est légitime et politiquement correct que les personnalités que vous citez cherchent à nouer des alliances ou organiser des retrouvailles avec ceux qu'elles ne parviendront pas à débaucher. Cependant, en ce qui concerne les authentiques compagnons de Wade, c'est échec et mat. Maintenant, on ne peut pas retenir toutes les âmes fragiles qui sont sensibles aux sirènes du pouvoir et l'argent. Le fort de la troupe est pétri de valeurs qui l'ont immunisé de la transhumance ou de la trahison.
Sous Diouf, le Pds a toujours fait del’entrisme dans le gouvernement. Seriez-vous encore prêts à cet effort pour la construction nationale ?
La concorde pour la construction nationale vaut toutes les messes. Avec Diouf, Me Wade avait comme interlocuteur un démocrate doublé d'un homme d'Etat qui avait une haute compréhension des enjeux. C'est pourquoi, leur rapprochement n'était pas difficile, entre deux campagnes électorales, pour prendre en charge, dans une commune volonté d'aller de l'avant, les défis de développement qui nous assaillent. Aujourd’hui, tel n'est pas le cas, quand bien même Macky Sall serait sortie de ses entrailles. S'y ajoute l'acuité des agressions multiformes, dont le Pds fait l'objet de la part de son régime. Le Pds ne peut pas passer à pertes et profits, la détention arbitraire de nos principaux responsables dans le cadrede la traque des biens supposés mal acquis qui est organisée pour museler l'opposition. Une coopération politique avec le Président Sall passe inéluctablement par la réduction de ces divergences profondes.
L'Acte III de la décentralisation continue de faire des vagues. Après le maire de Dakar, d'autres édiles ont eu à monter au créneau pour dénoncer des blocages dans le fonctionnement de leur institution. Comment expliquez-vous cet état de fait ?
Il serait très fastidieux de faire le point de l'échec de l'Acte III portant réforme des politiques publiques axées sur la gouvernance locale. Tous les acteurs de la décentralisation et les spécialistes de la question sont unanimes : la mise en oeuvre de cette réforme a été une catastrophe. Mais, nous ne sommes pas surpris de cette tournure, pour avoir tiré la sonnette d'alarme à temps, aussi bien sur la cohérence territoriale, les échelles de gouvernance, que pour ce qui concerne les ressources nécessaires pour la prise en charge des compétences transférées. Le gouvernement a réfléchi seul dans la précipitation et s’est trompé seul, au grand dam des vrais acteurs que sont les élus locaux. Ils ont mis l'approche académique, au détriment des vrais praticiens. Le Sénégal mettra des décennies entières pour se remettre de cette catastrophe.
Le Président Macky Sall est à mimandat. Quel bilan d'étape tirezvousde son magistère ?
L'heure n'est plus au bilan. Les Sénégalais se sont déjà fait une religion de l'incompétence de ce gouvernement. Et en 2017, ils en tireront toutes les conséquences politiques afin de fermer cette malheureuse parenthèse qu'ils n'auraient jamais dû ouvrir.
Pour finir, quelle appréciation faitesvous de la Déclaration de politique générale (Dpg) du Premier ministre Mahammad Dionne ?
L'Assemblée nationale a reçu la Déclaration de politique générale du Premier ministre qui viole la Constitution et la loi. Les délais impartis étant largement dépassés. Donc, le Pds ne peut accorder aucun crédit aux déclarations d'un Premier ministre hors la loi, même si Mahammad Dionne est un homme correct, affable et présumé compétent. C'est un ami, et sous ce rapport, il m'est très difficile de porter un jugement objectif sur l'offre qu'il fait aux Sénégalais qui sont fatigués de cette instabilité institutionnelle qui nous bouffe l'oxygène et qui montre que le Président Macky Sall ne prend pas conscience de ses insuffisances et ne sait pas où il va. Plusieurs programmes et trois Premiers ministres en un si court laps de temps, cela frise l'incohérence et le pilotage à vue. Sans entrer dans les détails, le Pse est parti pour être une arlésienne. Les conditions de sa réalisation ne pourraient être réunies, tant que les structures de l'économie sénégalaise ne sont pas aptes à porter une telle vision. Une messe, le temps d'une journée de discours ne me semble pas suffisante pour régler la question de la gouvernance politique, les lourdeurs administratives, l'inadéquation du système éducatif et du curriculum pour la formation, le déficit vivrier, l'insuffisance de la production agro-industrielle, la rareté des ressources financières, l'absence d'une Technopole et une attractivité de notre économie pour les investissements directs étrangers. Le Premier ministre a du pain sur la planche et le Président Macky Sall pense plus à un deuxième mandat que la réalisation des pré-requis pour l'émergence. Il n'est que temps que l'on n'en finisse avec ces Dpg qui se suivent et qui ne se ressemblent pas. C'est le président de la République qui devrait, une fois installé, faire sa déclaration de politique devant une Assemblée crédible. Le reste n'est qu’utopie pour le citoyen lambda.