SPÉCULATIONS SUR LE DOMAINE DE L’ÉTAT
En retournant la terre sur laquelle trône le fameux Monument de la renaissance, inscrit au panthéon de l’histoire comme un symbole d’illégalité, d’expropriation, de détournements de fonds et d’objectifs, on découvre en fait que le prédécesseur de Macky Sall n’a fait que s’engouffrer dans une brèche ouverte par le régime socialiste. Celui-ci, en 1987 puis en 1994, a fait sauter les verrous du domaine privé de l’Etat et ouvert un boulevard à la spéculation foncière. Des verrous que l’actuel régime devrait s’empresser de remettre dans le cadre de la réforme foncière, si toutefois la bonne gouvernance demeure son cheval de bataille.
La question a été soulevée il y a quelques semaines à SalyPortudal, dans le cadre d’un séminaire d’imprégnation du Projet d’appui à la réforme de la gestion du foncier urbain (PAGEF), en partenariat avec le Collectif des journalistes économiques du Sénégal (COJES). Ce projet phare dans la dynamique de modernisation de la Direction générale des impôts et domaines (Dgid), vise globalement à contribuer à l’amélioration de la gouvernance foncière au Sénégal. Une gouvernance foncière qui, comme le disait l’ancien Premier ministre Abdoul Mbaye, «est malade de ses textes» dont beaucoup ont pris un coup de vieux, mais aussi «malade du comportement de certains de ses acteurs».
En la matière, le dossier relatif au monument de la renaissance apparaît comme un cas d’école.
A travers la loi 76-66 du 2 juillet 1976 portant Code du domaine de l’Etat et son décret d’application n°81-557 du 20 mai 1981, le législateur avait pourtant réglé la question de l’accès au foncier relatif au domaine de l’Etat subdivisé en domaine public et domaine privé. Ainsi avec son domaine privé, l’Etat peut certes se comporter comme un particulier et concéder, entre autres, des droits de propriétés à travers la vente. Mais ce droit est particulièrement encadré par les dispositions de ladite loi 76-66 du 2 juillet 1976 notamment en ses articles 41 et 42 qui verrouillent le dispositif. Avec ces deux verrous, la loi stipule clairement qu’ « aucune terre dépendant du domaine privé de l’Etat ne peut être vendue sans l’intervention d’une loi ». Autrement dit sans la manifestation de la volonté du peuple à travers ses représentants par l’Assemblée nationale.
Du moins jusqu’à ce que la loi 87-11 du 24 février 1987 autorisant la vente des terrains domaniaux à usage d’habitation situés en zone urbaine et la loi 94-64 du 22 août 1994 autorisant la vente des terrains domaniaux à usage industriel ou commercial, viennent faire sauter les verrous des articles 41 et 42 du code du domaine de l’Etat.
Une brèche béante dans laquelle l’ancien président Wade ne s’est pas privé pour s’engouffrer, dans une opération foncière inédite qui défraie encore la chronique.
26 hectares sur le site de l’aéroport dont la valeur financière mais surtout le mode de cession continuent de faire polémique. Certains l’évaluent à 30 milliards de FCfa d’autres à 75 milliards de FCfa. La seule certitude est que ces terres qui faisaient partie du domaine privé de l’Etat ont été cédées, après expropriation de l’Asecna et sans aucune consultation préalable, à la Promobilière, société appartenant à Mbakiyou Faye, en contrepartie du financement de la construction du Monument de la renaissance.
Une opération qui s’est avérée comme la plus grosse escroquerie foncière sur le dos du contribuable sénégalais, par le biais d’une spéculation scandaleuse qui a fini de faire du Monument de la renaissance, le symbole le plus achevé de la mal gouvernance et de la déprédation des ressources nationales orchestrées par Abdoulaye Wade.
Confirmant par la même occasion que les problèmes fonciers au Sénégal ne résultent pas forcément des lois et règlements-mêmes qui organisent la gestion et l’administration des terres dans notre pays, mais davantage de la pratique partisane des responsables politiques et administratifs, chargés de leur mise en application.
Sous ce rapport et dans le cas d’espèce, il apparaît qu’à la décharge de l’ancien chef d’Etat libéral, c’est son prédécesseur socialiste qui a introduit le ver dans le fruit, dans sa volonté de dessaisir l’Assemblée nationale de ses prérogatives dans le domaine foncier. Quand bien-même le régime libéral, alors fort de sa majorité mécanique parlementaire, n’aurait sans doute rien fait pour extirper le ver du fruit, bien au contraire.
Revenons sur l’article 41 de la loi 76-66 du 2 juillet 1976 portant code du domaine de l’Etat qui dit expressément : «La vente a lieu de gré à gré ou par adjudication, celle-ci étant réalisée aux enchères publiques ou par procédé combiné des enchères verbales et des soumissions cachetées, avec obligation de mise en valeur et aux conditions fixées dans chaque cas.» L’article de préciser qu'«elle doit être autorisée par une loi».
Plus loin dans la section II relative aux terrains mis en œuvre, l’article 42 dispose : «Les immeubles non affectés consistant en terrains portant des constructions, installations ou aménagements, peuvent faire l’objet d’autorisation pouvant comporter, entre autres, la vente des constructions, installations ou aménagements existants, dans des conditions qui seront déterminées par décret.» Là également, l’article que «la propriété ne peut en être transférée qu’en vertu d’une loi».
Sous cette loi, la seule dérogation où la vente peut être autorisée par décret concerne les ventes de terrains faites à des Etablissements publics et à des sociétés d’économie mixte spécialement créées en vue du développement de l’habitat. Il résulte clairement de ces dispositions que la vente des terres du domaine de l’Etat doit être autorisée par une loi.
Pour contourner la représentation nationale, la loi 87-11 du 24 février 1987 ouvre la première brèche en autorisant la vente des terrains domaniaux «à usage d’habitation» situés en zone urbaine et son décret n° 87-271 du 3 Mars 1987 portant application de la loi autorisant la vente de terrains domaniaux situés en zones urbaines «destinés à l’habitation».
Ce décret détermine les conditions particulières de l’aliénation des terrains domaniaux destinés à l’habitation situés en zones urbaines, le seul préalable exigé aux attributaires ou occupants des terrains étant la détention des titres d’occupation prévus par le Code du domaine de l’Etat, tels que : Permis d’habiter, autorisation d’occuper, bail ordinaire, bail emphytéotique, concession de droit de superficie, etc.
Voies de contournement
Pour ne pas s’arrêter en si bon chemin, la Loi n°94-64 du 22 août 1994 est venue élargir la brèche, autorisant fois-ci la vente des terrains domaniaux à usage industriel ou commercial et son décret d’application n°95-737 du 31 juillet 1995. Au demeurant, c’est sous cette seconde loi que le titre foncier n° 13044/Grd d’une superficie de 17.000 mètres carrés environ aurait été cédé en 2008 par l’Etat à une société dont Alioune Aïdara Sylla serait actionnaire.
Certes un processus d’amélioration de la transparence dans les transactions foncières aussi bien en matière de cessions de titres fonciers que de baux du domaine privé de l’Etat a été entamé et se poursuit aujourd’hui avec le Projet d’Appui à la Gestion du Foncier Urbain (PAGEF), qui a comme objectif principal l’informatisation de la gestion domaniale.
Mais il convient surtout de corriger la législation sur la vente du domaine privé de l’Etat, en faisant obligation à celui-ci, pour certaines superficies, de vendre par voie d’adjudication, à moins de l’obliger à repasser par l’assemblée nationale. C’est en tout cas ce qui apparaît comme une alternative à l’application défectueuse des dispositions légales par ceux qui ont en charge la gestion et l’administration de ces terres.