SYMBOLE DE L’IMMOBILISME
L’État prend de la main gauche le quintuple de ce qu’il donne de la main droite. Et l’aide à la presse ne saurait régler les problèmes des médias, tant que le gouvernement ne mettra pas en œuvre des politiques hardies pour ce secteur
La subvention annuelle allouée à la presse, communément appelée Fonds d’aide à la presse, vient d’être payée. Comme par le passé, le Groupe avenir communication (Gac), éditeur du journal Le Quotidien, a reçu un chèque de 17 millions de francs Cfa. Ironie du sort, cette subvention tombe dans nos caisses au moment où le fisc exécute une saisie-vente sur nos biens pour un recouvrement de 35 millions de francs, sans compter que des moratoires souscrits auprès d’institutions publiques comme l’Institution de prévoyance retraite du Sénégal (Ipres) et la Caisse de sécurité sociale (Css) sont arrivés à échéance.
C’est dire que l’Etat vous prend de la main gauche le quintuple de ce qu’il vous donne de la main droite. Mais là n’est pas notre propos, car il a été démontré depuis longtemps que cette fameuse aide à la presse ne saurait régler le moindre des problèmes des médias, aussi longtemps que le gouvernement ne mettra pas en œuvre des politiques publiques hardies pour remettre à niveau ce secteur.
Je m’étais aussi juré de ne plus évoquer cette question. Seulement, il est difficile de ne pas entendre les récriminations et cris d’indignation qui surgissent des rédactions chaque fois que cette enveloppe de 700 millions de francs Cfa est partagée aux différents médias du pays. Qui a reçu combien et sur quelle base ? Nous n’avons eu de cesse de demander la publication de la décision procédant à la répartition de l’aide à la presse.
Depuis le temps du Président Abdoulaye Wade, les médias exigent de la transparence dans la gestion de ces fonds publics, mais jamais l’opacité n’a été aussi grande que sous la gouvernance du Président Macky Sall.
En effet, la désinvolture est telle que les différents ministres de la Communication ne s’embarrassent même plus de procédures pour consulter une commission qui devrait être mise en place à cet effet. Les demandes de communication de l’arrêté portant répartition sont ignorées alors que la loi précise que ledit arrêté doit être rendu public et notifié aux ayants droit. Nous avions proposé de mettre gracieusement les colonnes de nos journaux aux fins de publication de l’arrêté portant répartition de l’aide à la presse. Comme cela, tout le monde en aurait le cœur net.
Diantre ! Que nous cachet-on ?
Dans ces conditions, comment les gens ne continueront-ils pas à nourrir une certaine suspicion sur les conditions de distribution de ces fonds et même de penser que c’est un moyen d’enrichissement personnel pour des ministres de la Communication ?
La rumeur voudrait que des sommes importantes sont régulièrement affectées à des entreprises fictives ou des organes de presse fantômes. La Cour des comptes avait tenté d’y voir un peu plus clair, mais nous attendons impatients son premier rapport pour une mission de vérification qui dure déjà trois bonnes années.
La manière désinvolte avec laquelle le fonds d’aide à la presse continue à être distribué, en dépit des professions de foi de transparence et d’équité manifestées par les acteurs qui se succèdent à la tête du ministère de la Communication, renseigne à suffisance que le secteur des médias constitue le véritable symbole de l’inertie de la gouvernance de Macky Sall.
Ce mode de gouvernance on ne peut plus cavalier a été de mise dans l’installation des organes de gestion de la Maison de la presse. Tous les schémas élaborés en concertation avec les acteurs des médias ont été ignorés. En outre, peut-on citer la moindre réforme entreprise et réalisée dans le secteur des médias ?
Assurément non ! Déjà, le gouvernement n’a pas encore tenu la promesse présidentielle d’augmenter l’enveloppe de l’aide à la presse. Mais là où le bât blesse le plus, c’est que même des réformes structurelles qui étaient initiées sont gardées dans les tiroirs. Qu’est-il advenu par exemple du projet de nouveau Code de la presse ?
Le gouvernement, en dépit des engagements réitérés à maintes reprises par le chef de l’Etat, ne daigne pas faire avancer le projet de loi dans le sens de son adoption. Il y a quelques mois de cela, une initiative du groupe parlementaire dirigé par Moustapha Diakhaté a été tuée dans l’œuf. Il était question d’appeler les différents acteurs pour une séance de relecture du Code de la presse en vue de son adoption.
Le député Sy, président de la Commission communication de l’Assemblée nationale, n’a pas non plus eu plus de chance pour une pareille initiative. C’est la même chose qui est advenue des autres projets de réforme dans le secteur. Le patronat de presse avait fait des propositions précises, inspirées de ce qui se fait en France et dans d’autres pays africains comme le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire ou le Ghana, en matière de fiscalité appliquée dans le secteur des médias.
Les autorités de l’Etat avaient promis de prendre en compte de telles propositions dans la refonte du Code général des impôts, mais on constate que ces engagements demeurent encore de belles promesses. Il en est de même des autres reformes préconisées dans le domaine du marché de la publicité, dans celui de la distribution des journaux ou de l’élaboration d’une loi sur l’accès à l’information publique.
La proposition de mettre en place un organe de contrôle des tirages n’a pas suscité de l’intérêt au niveau du gouvernement. Est-ce trop demander pour les responsables des médias de souhaiter que l’Etat élabore et mette en œuvre des politiques publiques inspirées des meilleures pratiques en cours dans d’autres pays ?
Le même gouvernement fait la sourde oreille aux différentes propositions de reformes structurelles faites par le Conseil national pour la régulation de l’audiovisuel. Le manque d’intérêt des autorités gouvernementales pour des médias crédibles et forts se traduit par l’abandon de l’Agence de presse sénégalaise (Aps) dans une situation de dénuement total.
En définitive, on finit par se demander si le gouvernement ne cherche-t-il pas a maintenir les médias dans une situation de précarité afin de mieux jouer sur cela pour les asservir. De toute façon, le manque de considération à l’endroit du secteur des médias est si manifeste que la désignation d’un ministre de la Communication tend à devenir un choix par défaut.
Il est curieux que personne parmi les principaux acteurs des médias ne veuille se dévouer à la fonction.