TERMINUS D'UNE ÉPOQUE
CENTENAIRE DE LA GARE FERROVIAIRE DE DAKAR
Les plus belles années de la gare de Dakar ont, aujourd’hui, cédé le pas à un état de décrépitude avancé. Ce bâtiment au passé glorieux, qui a fêté son centenaire d’existence, fait partie aujourd’hui des édifices menaçant ruine. Entre grandeur et décadence, la gare de Dakar est affligée par le poids de l’âge.
Les souvenirs de sa grandeur de jadis sont aujourd’hui évanescents. Les réminiscences sur sa splendeur passée se ramènent à quelques cartes postales de plus en plus rares dans les bureaux de Poste. Les pages de son histoire chahutées par la mémoire défraîchie de quelques dinosaures qui, entre deux rêvasseries, refont l’ambiance, ainsi que les lieux de cette vieille Dakar avec ses anciens édifices où l’orgueilleuse gare pavoisait, égérie d’une architecture coloniale, hub d’une sous-région et fierté d’une Afrique de l’Ouest.
Dans un jeu passé-présent, les données ont changé. La gare de Dakar, naguère fierté locale, s’est rétrécie dans son déclin, comme une peau de chagrin au soir de son existence centenaire. Aujourd’hui, ce vieux fossile, après avoir fermement bataillé et résisté face aux performances d’orgueilleux bâtiments flambant neufs qui habillent Dakar, a fini par déposer les armes, s’est recroquevillé dans son passé bourré d’histoires, dans l’attente (prochaine ?) de la fin.
Pourtant, ce diagnostic qui coule de source, depuis ses entrailles infectées, peut sembler fortement compromis tant le vestige cherche encore, vaille que vaille à sauver encore la mise, à déjouer les pronostics et continuer à tirer son épingle du jeu.
A la première approche, depuis la statue de Dupont et Demba, icônes de la guerre mondiale, la gare semble tenir le coup. Le clinquant de sa façade est rehaussé par les dorures des reliefs. De quoi contenter les flashes crépitant des appareils photos des touristes et répondre aux exigences d’une capitale métamorphosée. Ça s’arrête juste là.
Existence centenaire
L’arrière-cour est d’une désolation déprimante. En plongée, et depuis les rails, le bâtiment est en totale décrépitude. Devant, les rails s’étendent paresseusement attendant patiemment la prochaine locomotive. Ils s’arrêtent pile devant ce bâtiment à l’ancienne et ses cheminées d’un autre âge. La peinture écailleuse laisse des pans entiers découverts.
L’enchevêtrement de fils participe à cette ambiance morose. Sur les étages, des climatiseurs usagés tentent d’insuffler une once de modernité à cet amas.
Toute cette lèpre respire vieillot. Les échelles décrochées, étendues mangées par la rouille agonisent à côté des toilettes posées juste à côté. Cet ensemble morne n’est juste égaillé que par les quelques conversations à l’intérieur des murs tandis que les locaux désaffectés croulent sous les tas de poussière.
A l’extérieur, les choses sont plus gaies, les coloris plus vifs. Les gargotes posées tout à côté accueillent les ouvriers, manœuvres, journaliers. En ces heures chaudes, ils taillent causette, indifférents devant cette déchéance. Devant les plats de riz, diversement apprêtés, les thèmes varient, sport, politique, religion. Tout y passe, sauf la question de la gare.
De l’autre côté des voies, les commerçants maliens draguent les clients. Les relents de beurre de karité et autres produits embaument l’air. De hautes herbes séparent les commerçants de la gare, voilant d’une maladroite pudeur cette déchéance.
L’image sacrosainte de ce vestige de l’ancienne Dakar raconte un passé heureux, présent douloureux, futur pathétique. Devant l’ancien bâtiment, d’autres loin d’être neufs et posés en bordure des rails servent de locaux. Il y a encore ce même bleu ciel défraîchi. Une succession de bureaux dans lesquels plusieurs agents opèrent.
Dans l’un d’eux, Malick Fall, chef de la Subdivision matériel et moteurs. Assis derrière une table rustique encombrée de paperasserie et d’un appareil téléphone fixe à l’âge incertain, il ne détone pas de ce milieu et ne rompt pas le charme désuet de son minuscule bureau.
Seuls ses deux téléphones portables qui carillonnent sans cesse le rapprochent de la modernité. Le mobilier sommaire de son bureau est fait d’un ventilo oscillant, d’un tableau. Sous son uniforme bleu, il accueille et consent à revisiter l’histoire de son lieu de travail. Avec la gestuelle de ses mains qui avaient tant tripoté de machines, il raconte l’ancienne époque.
Les locomotives entrent en gare, essoufflées, en proie à des crises de hoquet et de longues et déchirantes complaintes. Harassées, elles déposent leurs précieuses charges de vies humaines et de marchandises avant de repartir pour un autre voyage.
Devant elles, la fière et insolente architecture de la gare s’est depuis des années laissée dominer par ses voisins comme le Grand Théâtre et le prochain Musée des civilisations noires, ensemble utopique des 7 merveilles de Wade enterrées ( ?) en même temps que la chute du Pape du Sopi. Ses rails ne font plus le poids devant les larges voies à l’asphalte. La gare attend son renouveau.