THÉORIES RACISTES
Les propos de Wade sont dangereux pour la cohésion nationale et outrageux pour l’image de l’Afrique
Après l’échec du buzz politique et du lobbying maraboutique pour faire libérer son fils, Abdoulaye Wade essaie la calomnie et le chaos. Rongé par le chagrin et la rancune, l’ancien chef de l’État a fait preuve d’une nervosité verbale inouïe. Son attitude rappelle le machiavélisme et la cupidité des esclavagistes et penseurs européens qui, jadis, s’efforçaient à justifier et à banaliser la traite et l’asservissement des Nègres. À cet égard, Wade insulte tous les Africains.
Extrapolations haineuses
Abdoulaye Wade, qui se voit comme un des plus grands intellectuels africains, corrobore les clichés fantaisistes et extravagants développés dans des ouvrages philosophiques et des récits coloniaux sur l’anthropophagie en Afrique. Les racistes qui traitent les Noirs de sauvages peuvent se frotter les mains.
Dans les récits des missionnaires et barons de l’époque coloniale, l’anthropophagie y est décrite comme une réalité généralisée en Afrique. Ils y décrivent des communautés africaines qui raffolent de la chair humaine qu’elles trouvent succulente ; qui mangent les dépouilles du défunt pour hériter de ses qualités physiques et morales ; qui consomment la chair humaine pour humilier la tribu de l’ennemi tué ou opérer des représailles.
Selon ces clichés, même des tribus qui ne consomment pas la chair humaine encourageaient l’anthropophagie en Afrique : pour infliger une sanction pénale aux auteurs de crimes odieux, ils les remettraient à des tribus cannibales qui s’engagent à les exécuter et à les manger.
Les missionnaires européens ont créé le cliché selon lequel des tribus africaines tenaient des fora d’esclaves où ils les engraissaient comme du bétail, avant de les envoyer à des boucheries de chair humaine où on pouvait précommander la partie du corps qu’on veut acheter. De sorte qu’aujourd’hui, si on est originaire de la région d’Oubangui au Congo, descendants des tribus Zolos ou Bondjos qui s’entretuaient, selon les missionnaires, pour avoir de la chair fraîche, on peut être accusé, à tort, de cannibalisme.
Les propos de Wade confortent ces ignobles extrapolations et créent un antécédent pour le Sénégal : les noms Sall et Thimbo (respectivement celui du père et de la mère de l’actuel président sénégalais) pourraient dorénavant être associés à tort au cannibalisme. Wade cause ainsi un préjudice à tous ceux qui portent ces noms et à leurs parents. Une partie importante de la population sénégalaise, les Hal pulaar, pourrait être affectée par ces affabulations éhontées de Wade, dangereuses pour la cohésion nationale et outrageuse pour l’image de l’Afrique.
Théories esclavagistes et racistes
Des penseurs occidentaux ont développé des arguments d’inspiration philosophique et religieuse pour banaliser l’esclavage des Nègres. Montesquieu a soutenu que les européens étaient fondés à asservir les Nègres parce qu’il leur était impossible de supposer qu’ils étaient des hommes ; parce que Dieu, qui est un être très sage, n’eut pas pu mettre une bonne âme dans un corps tout noir.
Des intellectuels Noirs comme Aimé Césaire, Léon Gontran Damas et Léopold Sedar Senghor ont œuvré vigoureusement, à travers la Négritude, contre le ternissement de l’image du Nègre. Wade, lui, en diffamant Macky Sall avec l’esclavage, banalise l’asservissement de l’homme par son semblable, et salit la mémoire des victimes de cette cruauté humaine dont la seule évocation déclenche chez beaucoup de Noirs, d’Afrique comme de sa diaspora, un sentiment de frustration et de colère.
Ses propos confortent la thèse infamante selon laquelle la traite négrière était une entreprise humanitaire qui, en vendant des esclavages africains outre-Atlantique, les épargnait de l’atroce supplice que leur faisaient endurer leurs propriétaires africains. Les Noirs-américains, descendants d’esclavages, seraient probablement révoltés par l’attitude de Wade.
Les thèses de l’esclavage décomplexé ont forgé d’affreuses caricatures et dénégations du Nègre, qui sont aujourd’hui le soubassement lointain du sentiment raciste contre les Noirs et les migrants africains dans les pays occidentaux. Au fil des temps le Nègre a été décrit comme un être monstrueux aux traits grossiers et aux mœurs rétrogrades, au nez en pied de marmite, aux lèvres exagérément grosses, privé d’intelligence et d’expériences techniques. Un être non inscrit dans l’histoire qui, par sa morphologie et son quotidien primitif, était plus proche du chimpanzé que de l’homme civilisé, et pouvait de ce fait être traduit en esclave sans remords.
Voltaire, dans son Essai sur les mœurs, affirmait sans complexe que les Noirs sont d’une intelligence inférieure. D’Alembert, promoteur de l’Encyclopédie, y a dressé un portrait méprisant du Nègre qui justifiait qu’on puisse l’asservir : un être guidé par ses habitudes indolentes et aveugles, un être féroce, cruel, perfide, lâche, et paresseux. L’opinion et la conscience collectives européennes tirent largement leur haine du Nègre, de ces représentations dédaigneuses. Abdoulaye Wade vient de rajouter un poids de plus sur la charge, déjà très lourde, de cette image sombre du Noir.
Tout ça pour faire libérer son fils
Wade essaie-t-il de semer les germes du chaos au Sénégal pour que le peuple, aveuglé par la quête de la paix et par la compassion, exige la libération de son fils ? Etre le fils d’un ancien Président ne doit être ni une circonstance aggravante, ni une circonstance atténuante dans le procès de Karim Wade. Hormis le fait que la légitimité de la Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite peut-être remise en cause, Karim Wade est un justiciable qui doit être traité, ni plus ni moins, comme tout délinquant présumé. Le libérer ou être complaisant à son égard, parce qu’il est le fils d’un ancien président qui sème le trouble dans son pays, c’est manquer de respect aux fils de Sénégalais lambda qui croupissent dans les prisons. C’est torpiller la justice sénégalaise et établir un privilège de justice en fonction de la naissance ou du statut social.
L’attachement viscéral de Wade aux rênes du pouvoir lui fait peut-être oublier qu’il n’est plus président du Sénégal. Mais les violences et le traumatisme social générés par son acharnement à garder le pouvoir, en manipulant la constitution, laissent penser qu’il est prêt à semer le chaos dans le pays, juste pour faire libérer son fils. Il faut saisir Wade avant qu’il ne sombre dans une déviance périlleuse pour la paix sociale.
La violence et l’absurdité des propos de Wade amènent certains à se demander s’il n’a pas définitivement perdu la raison.
Aliou Tall est le président du Réseau Africain de Défense des Usagers, des Consommateurs et du Citoyen (RADUCC)
Email : raducc@hotmail.fr