THOMAS NE TOMBE PAS DANS L’OUBLI
VISITE AU CIMETIÈRE DE DAGNOEN DE OUAGADOUGOU
Le soulèvement populaire qui a embrasé pendant la dernière semaine d’octobre 2014 le Burkina Faso, balayant le régime de Blaise Compaoré, a aussi permis de libérer l’accès au cimetière de Dagnoen gardé pendant plusieurs décennies par des militaires armés. A l’époque, il n’y avait presque pas de visite sans laissez-passer officiel, à l’exception d’un seul jour dans l’année. Mais aujourd’hui, les choses ont bien changé. La tombe de Thomas Sankara fait l’objet de pèlerinage. Le mythe reste encore vivant et l’on va jusqu’aux extrêmes pour lui ressembler ou avoir son aura.
Le corps du défunt Président Thomas Sankara a été enterré au cimetière de Dagnoen au secteur 29 de Ouagadougou. C’est du moins la version communément repandue. Venir à Ouagadougou et ne pas aller se recueillir sur cette tombe, c’est pour beaucoup de personnes, comme passer à côté d’un prophète et ne pas tourner son regard. 10 minutes à moto à partir du centre-ville et nous voilà dans une décharge publique clôturée par un long mur.
Au fur et à mesure que l’on approche du portail d’entrée, la clôture du cimetière se fait interminable. «Est-ce vraiment dans ce dédale que le capitaine est enterré ?», s’interroge notre compagnon. Puis soudain, nous voilà au lieu indiqué.
A peine l’entrée franchie, l’on aperçoit au loin cette tombe unique, dont la photo a fait le tour du monde. Les inscriptions qui y sont gravées sont lisibles même de loin : «Noël Isidore Thomas Sankara....» Entourée d’herbes sèches et de détritus, cette tombe semble posée au milieu de nulle part. Et sous un soleil de plomb, seuls quelques animaux traînent dans cet immense cimetière de Dagnoen.
Personne ici n’interdit l’entrée aux visiteurs. Pourtant, dans la ville de Ouagadougou, les rumeurs les plus folles racontent que depuis l’arrivée au pouvoir des autorités de transition, l’on y a placé des militaires qui interdisent systématiquement l’accès au public et surtout à ceux qui veulent s’orienter vers la tombe de Sankara. Il s’agit dit-on, de mesures de précaution visant à empêcher les esprits malveillants d’ouvrir le caveau à l’insu des autorités.
Surtout que depuis quelques temps, ce débat portant sur l’identification du corps qui se trouve dans la tombe, est agité dans tout le Burkina. Il faut souligner que ces rumeurs sur l’existence ou non du corps du capitaine dans ce caveau, ne datent pas d’aujourd’hui.
Depuis le 29 septembre 1997, date de la première plainte pour assassinat déposée par la veuve de Thomas Sankara, Mariam, et par ses deux enfants, l’affaire qui n’était jusque-là que politique a pris des allures de véritable feuilleton judiciaire dans lequel les procédures se suivent et se ressemblent.
Il y a quelques mois encore, le Président de la transition Burkinabè Michel Kafando, avait annoncé qu’il allait traiter diligemment le dossier concernant l’identification du corps de Thomas Sankara.
«Au nom de la réconciliation nationale, des investigations seront menées pour identifier le corps de Thomas Sankara, les investigations ne seront plus assujetties à une décision de justice mais à celle du gouvernement», avait-il dit. Depuis lors, «ces paroles très applaudies à l’investiture ont changé de tournure», informe-t-on.
Une tombe plus que prestigieuse
Cheikh, un homme de taille courte et d’un certain âge s’avance la mine serrée pendant que nous nous recueillons sur la tombe. «Nous ferat-il partir de force ?» s’inquiète l’un des visiteurs. Non ! Ce Burkinabè, la cinquantaine révolue est juste venu aux nouvelles. «Vous êtes des visiteurs ? Vous êtes ici dans le cadre du Fespaco ? Nous, nous surveillons la propreté des lieux parce que les gens y jettent trop de déchets....», sert-il sur un ton courtois, après nous avoir proposé de nous prendre en photo.
Une discussion s’engage. Il dénonce l’interdiction que bravent les autochtones pour venir enterrer leurs morts à Dagnoen alors que l’Etat l’a interdit depuis plusieurs années. «Les gens viennent nuitamment pour enterrer ici leurs morts. Alors que c’est interdit. Nous, nous veillons à tout cela. Mais parfois, on constate juste le lendemain» explique Cheikh.
Puis il enchaîne : «Vous savez les rumeurs sur la sépulture de Sankara ne datent pas d’aujourd’hui. Le lendemain de son décès, la rumeur sur l’emplacement des corps que vous voyez ici, s’était répandue dans toute la capitale et les premiers curieux ont découvert des mottes de terre surplombées de papiers portant les noms des victimes dont celui de l’ancien Président. Ce sont à ce jour les seuls témoignages tendant à prouver que le corps de Sankara est bel et bien dans sa tombe».
Cheikh, tel un conservateur de ce lieu emblématique et de son histoire, confie également que depuis ce temps, le cimetière de Dagnoen est devenu le lieu de tous les intérêts et de tous les gens de passage au Burkina.
A l’en croire, au-delà de ce débat portant sur l’existence ou non du corps de Thomas Sankara sur ces lieux, et de la volonté de sa famille de faire identifier le corps, la tombe du guide de la première révolution burkinabè est visitée pour de multiples raisons. Quelles sont alors ces autres raisons pour lesquelles on peut venir dans ce cimetière si ce n’est pour se recueillir et repartir. Notre interlocuteur, d’un air sérieux s’approche pour faire des confidences plus intimes.
«Je vous le dis, pour beaucoup de gens, Thomas Sankara est un génie, c’est un grand type qui a des dons. Donc, il y a certaines personnes qui viennent ici, dans l’intention de prendre un de ses organes et aller faire du Wakk (de la magie) avec et devenir riche, ou puissant comme lui», explique-t-il sur un ton convainquant.
Sankara et ses douze apôtres
Cheikh, mis en confiance, poursuit sa confession intime : «Moi, je suis ici depuis des années et je vous affirme qu’il y a beaucoup de choses qui se passent ici. Les gens viennent ici et à défaut de pouvoir toucher à la sépulture, ils repartent avec le sable qui est aux alentours de la tombe pour aller faire des gris-gris avec...»
Mais est-ce que cela marche ?
«Si vous voulez tout de suite, je peux vous lire les cauris ici dans le sable qui entoure la tombe. Moi, je sais qu’il y a des forces surnaturelles ici. Thomas n’est pas n’importe qui...», réagit Cheikh.
Il s’empresse de révéler également qu’à l’époque, il y avait non loin de la tombe du capitaine, un égout. «C’est dans cet égout que ceux qui les ont tués ont lavé leur sang et y ont jeté les habits maculés de sang», dit-il.
Notre interlocuteur insiste également sur le fait que «Thomas Sankara a été enterré ici, avec douze de ses compagnons». De quoi faire dire à l’un des visiteurs que ce chiffre douze est très significatif. Car, estime-t-il, «Jésus Christ avait douze apôtres et Thomas est enterré ici avec douze de ses compagnons.... C’est surement prémonitoire».
A vrai dire dans la croyance chrétienne, puisque Thomas Isidore Noël Sankara était un chrétien, le nombre 12 renferme plusieurs symboliques. Il sert à exprimer l’élection. Ainsi, parlera-t-on des 12 tribus d’Israël, bien qu’en fait l’Ancien Testament en signale plus de 12 ; mais ce qu’on veut signifier, c’est que ces tribus sont élues. De même, on ramène à 12 le nombre de prophètes mineurs de l’Ancien Testament.
L’Évangile, à son tour, mentionne 12 apôtres de Jésus et les nomme les Douze, parce qu’ils sont les élus du Seigneur. On lit également que Jésus assure de tenir à sa disposition 12 légions d’anges. L’Apocalypse, quant à elle, parlera des 12 étoiles qui couronnent la femme, des 12 portes de la Jérusalem céleste, des 12 anges et des 12 fruits de l’arbre de Vie. Et ce n’est pas que dans la religion chrétienne que le chiffre 12 a un sens.
«Le 12 est le nombre des divisions spatio-temporelles. Il divise le ciel, considéré comme une coupole, en douze secteurs, les douze signes du Zodiaque, qui sont mentionnés dès la plus haute Antiquité», explique-t-on. Il y a également les douze mois de l’année. D’ailleurs, certaines personnes font également savoir que pour les Dogons et les Bambaras du Mali, le chiffre 12 est «le symbole du devenir humain et du développement perpétuel de l’univers».
Aussi, l’unité de mesure chez les grossistes est la douzaine. Et chez les musulmans analyse-t-on, La ilahilahou en arabe est composé de 12 lettres, Mouhamadou Rassouloulahi est aussi fait de 12 lettres. Mais surtout dans le Saint Coran on retrouve 12 fois le mot Imam.
Autant de sens à ce chiffre qui poussent à la fois «chrétiens, musulmans ou animistes» à donner un sens au passage sur terre de Thomas Isidore Sankara et surtout à vouloir tirer chacun à sa façon, profit de cette tombe plusieurs fois profanée.
Pour la postérité
Sankara est mort. Peut-être finirat-on un jour par connaître la vérité sur cet assassinat. Aujourd’hui quelques questions s’imposent tout de même à la conscience collective : Que restera-t-il de cette révolution d’octobre inspirée par Sankara ? Punira-t-on un jour les assassins du Capitaine ?
A Ouagadougou, les visions sont partagées sur ces sujets. Beaucoup restent encore sur leur garde malgré le départ de Blaise Compaoré. «Il y a des sujets qui fâchent ou qui poussent à la confrontation. Et il vaut mieux les éviter», répond d’emblée Patient Ky, étudiant en licence de communication.
Surtout que certains anciens dignitaires du régime précédent restent dans l’ombre et s’activent toujours pour le contrôle du pouvoir. C’est le cas mentionne-t-on, du général Gilbert Diendéré, ancien chef d’Etat-major particulier de Blaise Compaoré, accusé d’avoir envoyé ses hommes assassiner Sankara ce fameux jour d’octobre 1987.
Thomas Isidore Noël Sankara n’est plus. Mais au cimetière de Dagnoen ou partout ailleurs, il vit à jamais et continue d’opérer le mystère autour de ce qu’a été son aura. Le «Che Guevara africain», restera longtemps encore au regard du monde, un leader singulier, charismatique et visionnaire.
Un homme qui avait une politesse malicieuse, qu’il a su inculquer à ses concitoyens. Au pays des Hommes intégres et sous son inspiration, l’histoire est en marche... Surement qu’elle fera date.