THOMAS SANKARA
L'ÉTERNEL HÉROS DU BURKINA, SOULÈVE L’ÉMOTION AU FESPACO DE OUAGADOUGOU
Ouagadougou, 4 mars 2015 (AFP) - Idole du récent "printemps burkinabè", qui vit chuter fin octobre l'ex-chef de l'Etat Blaise Compaoré, le président Thomas Sankara, iconoclaste et révolutionnaire, fait encore se lever les foules au Fespaco de Ouagadougou, où un documentaire lui est consacré, près de 30 ans après sa mort.
"Capitaine Thomas Sankara", d'une durée de 90 minutes, dresse un portrait flatteur de ce chantre de l'anti-impérialisme et du panafricanisme. Son réalisateur, le Suisse Christophe Cupelin, l'y présente de son arrivée au pouvoir - par un coup d'Etat le 4 août 1983 - jusqu'à son assassinat quatre ans plus tard lors d'un autre putsch.
L'ancienne colonie française s'appelle alors la Haute-Volta. Mais sous l'impulsion du "Che" africain, ce pays sahélien pauvre changera de nom, pour devenir le Burkina Faso, ou "pays des hommes intègres".
Ses oeuvres, ses discours teintés de phrases chocs, son engagement pour l'unité de l'Afrique, pour la libération de la femme africaine, et surtout ses discours visionnaires marquent le spectateur.
A la tribune de l'Organisation de l'unité africaine (devenue depuis Union africaine), Thomas Sankara appelle "l'Afrique" à ne pas payer sa dette aux pays occidentaux. "Si nous la payons c'est nous qui allons mourir", lance-t-il.
Au président français François Mitterrand, en visite à Ouagadougou, il donne une leçon de droits de l'Homme. Paris accueillit officiellement le rebelle angolais Jonas Savimbi et le sud-africain Peter Botha en plein apartheid.
"Comment a-t-on laissé ces gens aux mains et aux pieds tâchés de sang, souiller la France si propre et si belle ?", ironise-t-il, avant d'ajouter, glacial : "Tous ceux qui ont autorisé cela en portent l'entière responsabilité ici, maintenant et à jamais".
Le président burkinabè, devant l'ONU, dénonce pèle-mêle les guerres impérialistes, l'apartheid, le conflit israélo-palestinien, la pauvreté. Il invite déjà à lutter contre les changements climatiques, dont il rejette la responsabilité sur les pays industrialisés.
Interrogé sur son bilan après quatre années de révolution, Sankara botte en touche. Car "le danseur ne saurait dire qu'il danse bien". Mais il reconnaît des erreurs.
- 'la bataille continue' -
Pour dresser un bilan, Christophe Cupelin multiplie les statistiques : sous son autorité, le taux d'éducation passe de 6% à 22% en quatre ans, plus de deux millions d'enfants sont vaccinés en quinze jours, des logements sociaux sont construits, tout comme des milliers de centre de santé.
Le produit intérieur brut double. L'année de sa mort, un journaliste l'interroge sur des rumeurs d'attentat contre lui. Sankara lui confie : "Le jour que vous apprendrez que Blaise (Compaoré) prépare quelque chose contre moi, n'essayez pas d'intervenir, il sera trop tard".
Le jeudi 15 octobre 1987 à 16h, le capitaine Thomas Sankara est assassiné par un commando à la présidence alors qu'il se rend au palais pour un conseil de ministres extraordinaire. Il porte un survêtement, car tous les jeudis soirs sont consacrés au sport de masse, obligatoire pour tous.
A Ouagadougou, l'émotion est réelle encore aujourd'hui. Chaque phrase choc est ponctuée d'applaudissements nourris par le public du "Ciné Neerwaya" - 3.000 places -, où le film est projeté pour la première fois au Burkina.
Les apparitions de Blaise Compaoré provoquent à l'inverse des huées. Des cris de dégoût se font entendre lorsqu'il affirme "regretter" la mort de Sankara. "Partout, le film a été accueilli de la même manière : très positive", raconte à l'AFP Christophe Cupelin.
En Argentine, où une dictature militaire fit des ravages entre 1976 et 1983, les spectateurs "se sont levés comme un seul homme et ont applaudi" lorsqu'ils l'ont entendu dire : "Un militaire sans formation politique est un criminel en puissance", se souvient-il.
"Le discours de Sankara s'adapte à tous les citoyens du monde", remarque le réalisateur. Emu après la projection, Moussa Ouédraogo, un Burkinabè de 37 ans, ancien "pionnier de la révolution", se dit "très nostalgique et très fier".
Et d'ajouter : "la bataille continue, nous maintenons haut le flambeau !" "Je comprends mieux tout ce qui se passe, l'élan que le peuple veut donner ou plutôt redonner au pays", commente Maria Gaschet, une spectatrice française, en référence à la révolte populaire qui a balayé Blaise Compaoré.
L'ex-président, qui a tenté de se maintenir au pouvoir en révisant la Constitution, en a été chassé fin octobre par des centaines de milliers de jeunes imprégnés des discours sankaristes. "Malheur à ceux qui bâillonnent leur peuple", disait le capitaine Sankara.