ON TOMBE DANS LE VAUDEVILLE !
PROCÈS KARIM WADE
Présenté comme le deuxième grand procès historique du Sénégal indépendant après celui du président du Conseil du gouvernement, Mamadou Dia, en 1963, le procès de Karim Wade est l'occasion d'une bataille judiciaire intense dont le déroulement laisse croire à un véritable vaudeville.
Les débats animés et houleux qui agitent les audiences auxquels s’ajoutent les maladies réelles ou fictives et postures mutiques de certains prévenus accréditent la thèse d’une mise en scène théâtrale qui ne manque pas de passionner un public friand d’intrigues et pour la plupart stipendié pour applaudir et encourager le fils de l’ancien président de la République dans cette épreuve qu’il traverse.
A chaque acte, l’acteur principal de ce vaudeville, jour après jour élégamment habillé (boubou blanc, écharpe de même couleur comme pour dire qu’il est blanc comme neige) vient au tribunal tel un homme assuré de sa victoire sur l’Etat du Sénégal qui l’accuse d’enrichissement illicite, saluant avec le V de la victoire ses supporters avec un sourire "bananesque". Une attitude qui est aux antipodes de celle de son principal co-accusé, Mamadou Pouye, qui vient toujours discrètement avant de se mettre en arrière-plan comme l’adjuvant qui aide le héros à accomplir sa mission périlleuse.
Si les premières exceptions de nullité soulevées par les avocats de la défense ont été rejetées par la Cour, les suivantes sont jointes au fond pour permettre au procès d’entrer dans la seconde phase qui est celle de l’interrogatoire des prévenus. On en est arrivé un moment à se demander si réellement certains avocats, qui font plus de tohu-bohu qu’ils ne parlent de droit ou qui créent sciemment des incidents avec les juges de la Cour pour occasionner des entractes ou suspensions d’audience, si ces avocats, donc, veulent réellement que le fond du procès soit abordé.
Mais ceux qui s’attendaient à des débats contradictoires épiques entre les prévenus, la Cour, le Parquet spécial et les avocats ont vite déchanté car le principal accusé d’enrichissement illicite, par accoutumance très volubile, s’est engoncé dans un mutisme abyssal auquel se heurtent tous les téméraires qui veulent lui arracher un seul mot sur les faits qui lui sont reprochés. Ibrahima Aboukhalil Bourgi dit Bibo, quasi-agonisant, presque mourant et pièce-maîtresse de toute cette mise en scène que l’on joue au palais-théâtre de Lat-Dior, est le Christ sauveur de tous ces pécheurs qui défilent devant la barre de l’Impérial président Henri Grégoire Diop et ses assesseurs. Les apôtres Karim Wade et Mamadou Pouye se sont résolument agrippés aux basques de leur sauveur pour dire qu’ils ne répondront que si ce dernier, malade, n’est pas soigné jusqu’à ce qu’il soit en état de comparaitre. D’ici là, évidemment, les poules auront eu le temps de pousser des dents…
Heureusement que Mbaye Ndiaye, l’ex-patron de l’Agence des Aéroports du Sénégal (ADS) et Pierre Agboba, PCA de Aviation Handling Services (AHS), ont donné vie au spectacle qui commençait à être soporifique en daignant répondre aux questions posées. Bien préparés par leurs avocats, ces deux prévenus ont séduit de par leur prestance et leurs prestations même si on sentait la prudence calculée sur toute question relative au Christ-Bibo, le sauveur des âmes pécheresses de ces messieurs les accusés.
Défense de parler de la moindre chose relative à Bibo ! On sentait que la stratégie de défense des avocats des prévenus Mbaye Ndiaye et Pierre Agboba était bien huilée. Ayant bien assimilé les rôles qui leur sont attribués, ces derniers ont eux aussi versé dans la mise en scène avec de fausses colères préméditées, des énervements calculés ou des malaises intentionnels. Et opportuns.
Incontestablement, le maillon faible de ce vaudeville, c’est Samba Alioune Diassé, "propriétaire" de Aéroport Bus Sénégal devenu successivement Aéroport Bus Service et Airport Bus Service. Ce dernier, solipsiste, n’a pas bénéficié d’une bonne préparation de ses avocats. Et pour cause, son brillant avocat, Maître Moustapha Diop, est malheureusement décédé le 16 juin dernier, soit à 45 jours du début du procès. Son autre avocat, Maître Ousmane Sèye, avait pris des vacances médicales au Canada.
Quant à Me Alioune Badara Cissé, qui s’est constitué par la suite, il s’occupe plus de Karim Wade que du supposé complice de ce dernier, Diassé. Me Samba Améty, qui a rejoint récemment ces deux avocats, lui, malgré son talent incontestable, ne joue pas encore dans la Cour des grands pénalistes. Diassé s’appuyant douloureusement sur une béquille semble marcher sur des œufs. Seulement voilà, malgré ses précautions oratoires, il s’est emberlificoté dans ses propres contradictions et contre-déclarations.
Il n’a pas échappé aux questions insidieuses du Parquet spécial, surtout celles du redoutable substitut du procureur spécial, Félix Antoine Diom, qui, depuis le début du procès, affronte seul l’armée des trublions de la défense. D’ailleurs, au deuxième jour de l’interrogatoire de Samba Alioune Diassé, il a mis le feu aux poudres en présentant des pièces probatoires qui enfoncent le désespéré et solitaire Diassé. Pour arrêter la furia destructrice du teigneux Diom, qui fonde sa démarche sur l’article 414 du code de procédure pénale, les avocats de la défense ont eu beau jeu de dénoncer ce qu’ils qualifient de "rupture d’égalité".
Les pièces n’étant pas cotées selon eux dans l’arrêt de renvoi de la Commission d’instruction de la CREI (Cour de Répression de l’Enrichissement illicite), ne devraient donc pas, estiment-ils, être présentées contre un prévenu durant l’interrogatoire. Cette aubaine a permis aux avocats spécialistes de l’obstruction procédurale tels que Maîtres Baboucar Cissé et El Hadji Amadou Sall mais aussi leur consoeur Corinne Dreyfus, qui nous vient de Marianne, de bloquer le bon déroulement du procès.
Ce même si certains de leurs confrères de leur propre camp donnent raison au substitut du procureur spécial. Au cours de ces derniers jours, le droit a fini par déserter la salle surexcitée pour laisser place aux invectives et propos insultants surtout entre les deux grandes gueules du barreau, en l’occurrence les robes noires Baboucar Cissé et El Hadji Diouf. Heureusement pour le public, au moment où les avocats "procé-orduriers" se crêpaient le chignon, Diassé, victime d’un malaise, était déjà en route vers la clinique Suma Assistance pour aller se reposer dans une cabine douillette et se mettre loin à l’abri des boules puantes que se balançaient les avocats.
Lesquels ont fini par rendre l’air de la salle des audiences irrespirable voire suffocant. Et cela, malgré les containers de "thiouraye" que lui, Diassé, commercialisait jusqu’à se constituer une fortune de 210 millions de nos francs. Tant mieux pour lui qui, certainement, reviendra encensé et en forme après son repos bien mérité à la clinique. On espère surtout qu’il reviendra avec une autre stratégie de riposte. Alioune Ndao et son substitut sont avertis.