TOUCHE PAS À MA RELIGION !

Pardon et regrets, c’est sans doute ce qui restera du livre du professeur Oumar Sankharé. Pendant une semaine, la presse, l’opinion publique et les foyers maraboutiques ont tous relayé et fustigé les propos contenus dans le nouvel ouvrage du double agrégé et professeur d’université.
Les revues de presse s’en sont donné à cœur joie, reprenant les diatribes et autres insultes suscitées par le livre « Le Coran et la culture grecque ».
L’auteur lui-même a dénoncé le fait que certains aient eu à le critiquer sans même avoir lu son ouvrage. Cependant, n’est-ce pas lui également qui a déclaré, dans la même interview qui a lancé la polémique et accordée au quotidien L’As :
« ce livre, je l’ai terminé depuis longtemps, mais je n’ai jamais osé le publier parce que je savais que ça allait donner ces réactions-là. J’ai failli être lynché en Algérie lors d’un colloque. Ce sont des policiers qui me gardaient dans mon hôtel. Voilà des années que je l’ai terminé, parce qu’on ne peut pas être helléniste et ne pas voir ces choses là. »
Comme pour dire qu’une forme de clairvoyance l’avait déjà mis en garde sur une éventuelle polémique que son livre pourrait susciter. Alors, pourquoi ne l’a-t-il pas écoutée ?
Pendant une semaine, tout un pays a été embarqué dans un débat d’autant plus passionné, voire passionnel, qu’il concernait la religion.
L’auteur s’est laissé emporter, pour sa part, dans sa relation passionnante entretenue avec la culture grecque en tant qu’helléniste, comme on le sait et comme il se revendique. Le maître mot, dans cette histoire, reste alors la passion qui s’est manifestée de part et d’autre sur un sujet aussi sensible que l’Islam et son prophète Mohamad (Psl).
Après les menaces reçues, l’auteur a dû se confondre en excuses au risque de continuer à vivre dans la peur, lui et sa famille. Les excuses ont été acceptées, à condition qu’il se repente sincèrement et que l’on ne l’y reprenne plus. Dans son émission « Senegal ca kanam », du mercredi 28 mai, Mamadou Sy Tounkara a invité le Pr Sankharé à revenir sur les thèses développées dans son ouvrage.
Au risque de jeter de l’huile sur le feu, au moins Tounkara aura permis à beaucoup de mieux cerner l’homme et l’universitaire qui est revenu sur son parcours et sur son amour immodéré pour la culture grecque.
Dans ce débat, la religion a été opposée et comparée à la science. La démarche a été sans doute maladroite et l’auteur a heurté bon nombre de ses compatriotes en développant ses idées.
Mais comment peut-on convoquer un débat d’idées sur un sujet aussi sensible et vouloir ensuite inviter sa famille intellectuelle à l’enfermer dans l’espace universitaire, alors que celui-ci, en faisant référence à la première religion du monde, ne saurait tracer une ligne de démarcation virtuelle pour en exclure ces mêmes croyants et qui sont les principaux concernés.
Pourquoi fuir la confrontation d’idées entre les deux parties si l’on est si sûr de son fait ? En s’interrogeant, au tout début de la polémique, sur ce que le professeur avait bien pu dire pour susciter des réactions aussi violentes, un ami a eu pour toute réponse que reprendre les propos de Sankharé seraient blasphématoires.
En revanche, un autre professeur, éminent historien, Iba Der Thiam, a pourtant été le seul, sans doute parmi ses pairs, a osé porter la réplique intellectuelle à son collègue. Dans une longue contribution, il démonte l’analyse de l’helléniste avec force arguments et vérités historiques.
Usant d’un certain recul et avec moins de passion, il pose ce débat d’idées que certains médias se sont abstenus d’organiser. Lorsqu’il s’agit de politique, réunir autour d’une même table les représentants de partis adverses relève de la normalité, dans un pays démocratique où la liberté d’expression continue à exister.
Cependant, lorsqu’il s’agit de religion, adopter une telle démarche relève de la provocation et pourtant, comme il aurait été facile, pour les médias, d’organiser une telle confrontation entre l’érudit de culture grecque et les érudits de l’Islam : un grand moment de télévision ou de radio auquel ont été privés les Sénégalais et qui aurait dépassionné le débat.